b) Les blogs des universitaires.
Si Dimitri Houtcieff et Fréderic Rolin ont un
temps envisagé l`éventualité que ces blogs
s`érigent en concurrents des revues174(*), ayant très vite écarté cette
thèse au profit d'une « relation de
complémentarité», ils leur attribuèrent trois
fonctions.
· Une fonction de
« vulgarisation scientifique » :
Parce qu`ils « sont [...] aisément
accessibles, non seulement aux initiés, mais également aux
profanes », ils contribueraient à une « meilleure
diffusion de la science juridique en permettant à ceux qui ne la
fréquentent pas habituellement d'y avoir accès » et
participeraient ainsi de la « vulgarisation juridique ».
· Une fonction d`« ouverture [de la
doctrine] vers le grand public [...] les décideurs
publics » et les « débats
publics. »
Parce ce que « leur audience potentielle
dépasse[rait] de loin la sphère juridique habituelle »
et, également, parce ce que citoyens et décideurs seraient
« potentiellement plus sensibles aux échos suscités par
un billet publié sur un blog et abondamment relayé qu'à
l'impact - nécessairement différé - d'un article
destiné à la seule communauté scientifique des
juristes », ils permettraient de faire « résonner la
voix de la doctrine au coeur des débats publics. »
· Une fonction d`« ouverture vers la
communauté universitaire » :
Les blogs « favorise[raient] le travail en
réseau et la discussion collective. »
Qu'en a-t-il réellement été ? Quel usage
les universitaires ont-ils fait du blog ?
b-1) Le blog une oeuvre de doctrine ?
En 1997, dans le premier article qu'ils
consacrèrent à la doctrine et, qui pour nous présente
l`avantage d`avoir été écrit avant l`émergence des
blogs175(*), Philippe
Jestaz et Christophe Jamin soulignaient que « pour se faire
admettre » « dans le club de la doctrine juridique
française », l'aspirant-membre devait « avoir
publié des ouvrages qui soient considérés [...] comme
véritablement doctrinaux. ». Ce qui découlerait de ce
que « certains écrits relatifs au droit positif [ne seraient]
pas considérés comme faisant partie de la
doctrine. »
Et à l'appui de leurs propos, les deux
compères indiquaient:
« Le jugement d'exclusion tombe par
exemple sur un ouvrage de capacité en droit (en dépit,
ajoute-t-on, des précieux services qu'il rend aux étudiants), sur
un bref commentaire à chaud de la loi nouvelle à l'usage des
praticiens, plus généralement sur des ouvrages qualifiés
de purement descriptifs, etc. »
Ce qui est pour nous et l'étude que nous menons riche
d'enseignements.
En effet, lorsqu'on analyse ces quelques lignes plus en
détail:
· On relève d`une part que « la
capacité en droit [qui] est « un diplôme court,
largement accessible (il suffit d'avoir 17 ans), permettant un retour vers des
études universitaires à des salariés ou à des
jeunes en situation d'échec scolaire (équivalence avec le
baccalauréat et même, pour les meilleurs, entrée directe en
deuxième année de DEUG Droit) »176(*), participe en un sens d'une
mission de vulgarisation du droit à l'égard du grand public.
Ce qui serait l'une des fonctions du
blog.
· On remarque ensuite qu'il est souvent
attaché aux blogs cet aspect
« purement descriptif » que Philippe
Jestaz et Christophe Jamin rejettent comme portant la marque d'une doctrine.
· Il apparaît enfin que l`expression
« bref commentaire à chaud » est
souvent associée aux écrits des blogs.
Ainsi, à s'attacher à la définition
de l`écrit doctrinal qu'ont dégagé Philippe Jestaz et
Christophe Jamin en 1997, les écrits des blogs, qui relèvent du
commentaire à chaud, participent d'une fonction de vulgarisation du
droit et sont souvent « purement descriptifs », ne peuvent
être qualifiés de doctrine.
Partant de constat, j'ai interrogé les quelques
universitaires-blogueurs qui ont su m`accorder un peu de leur temps sur les
raisons qui les ont poussées à créer leurs blogs et la
question de savoir si ils pensaient y faire oeuvre de doctrine.
Avec une attention particulière portée au
professeur Cédric Manara qui, en 2007 questionnait:
« Fait-on de la doctrine sur un blog
? »177(*) .
b-2) « Fait-on de la doctrine sur un blog
? » Ce que les universitaires en disent.
· Réponse du professeur Christophe
Roquilly:
Professeur de Droit à l'EDHEC et directeur du
« Pôle LegalEdhec », il possède deux
blogs « Stratégies juridiques » et
« performance juridique », dont le premier se contente de
renvoyer au second.
Dans ce second blog, il présente comme dans l'autre
sommairement ses activités et renvoie au site du pôle de
recherche qu'il dirige.
Il y est indiqué qu'il souhaite rassembler les
passionnés du « droit, [de] l'impact du paramètre
juridique sur la vie des entreprises, leurs activités et leur
stratégie ».
On remarque par ailleurs que l'objet de son blog se rattache
directement à l'objet d'étude de son centre de recherche dont les
travaux portent sur la « performance juridique et [la]
compétitivité des Entreprises ».
« J'ai créé ce blog
(que je n'ai malheureusement plus le temps d'alimenter) pour plusieurs raisons
: partager certaines réflexions avec d'autres personnes, qu'elles soient
chercheurs, praticiens, ou étudiants; communiquer autour de mes
réflexions et travaux de recherche; "garder la mémoire" de
certains faits et cas m'ayant amené à écrire des
"billets". Je n'ai jamais eu la prétention de faire oeuvre de
doctrine par ce Blog. Sans m'engager dans une discussion sur ce qu'est la
"doctrine", je pense que celle-ci passe par les revues académiques, et
non par un Blog. »
Professeur Christophe Roquilly.
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· Réponse du Professeur Cédric
Manara:
Professeur de droit à l'Edhec, à se fier
à la présentation qui en est faite, son blog serait
« expérimental » et « s'inscrirait dans
[ses] travaux [...] sur le droit et les technologies. »
Il est pour lui un espace de
« nano-publication », « un work-in-progress, un
journal en ligne et pas une étude académique
achevée ».
Aussi, il indique que si « certaines prises de
position » « s' [y] avér[aient]
contradictoires », elles « ne sauraient être
utilisés ou interprétés contre [lui] dans ses
activités. »
« La "prédiction" qu'ont faites mes
collègues Rolin et Houtcieff l'a été dans une
période d'effervescence dans la "prise de plume électronique" et
l'émission d'opinions. Quatre années plus tard, on se rend compte
que cette période de bouillonnement est passée, les auteurs
s'étant épuisés - à commencer par
Frédéric et Dimitri. C'est dommage - mais le constat touche la
France, pas les pays anglo-saxons par exemple. Si vous étudiez le
paysage, aux Etats-Unis notamment, vous pourrez constater que le blog est le
prolongement naturel de l'activité professorale.
En ce qui me
concerne, c'est d'ailleurs alors que je travaillais aux Etats-Unis que j'ai
fait comme mes collègues de l'époque, en ouvrant un blog. Il
s'agissait d'en faire le compagnon d'étude de mon sujet, les noms de
domaine, sur lequel je rédige une monographie. Il s'agissait donc d'en
faire usage au sens premier du terme blog : un journal de bord, un bloc-notes.
Petit à petit, il est devenu, bien malgré moi, un objet dont le
contenu a été cité sur d'autres parutions
électroniques, parfois même cité dans des ouvrages (et
même un jour en justice !). Ma démarche était donc
purement personnelle... mais elle est, singulièrement, devenue
professionnelle par la suite ! »
Professeur Cédric Manara
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· Réponse du professeur Vincent
Tchen:
Vice-président de l'université de Versailles
Saint-Quentin-en-Yvelines et maître de conférences en droit
public, son blog offre un « panorama des textes essentiels et des
grands arrêts » relatifs au droit des étrangers et
aborde les projets de loi en cours.
Son blog n'est pas ouvert aux commentaires et il n'yest pas
indiqué d'adresse où le contacter.
« Très sommairement, la création de
ce blog répond à une réflexion tournée vers un
ouvrage que je publie depuis 2000, le code commenté des étrangers
chez Litec. Sa publication intervenait pour les 5 premières
éditions tous les deux ans - elle est passée en édition
annuelle depuis l'an passé.
A côté d'informations pratiques - comme celles
liées à des colloques que j'ai pu organiser -, je souhaitais
avant tout proposer aux lecteurs une forme de "banque de données" des
informations les plus essentielles - dans la mesure du possible, je mets les
pages qui sont concernées par les actualités -. Le code Litec
renvoie pour sa part au blog.
Vous pouvez déduire de là l'ambition
limitée du blog. Les informations sont simplement rapportées en
quelques lignes, brutes, sans grande analyse; je n'ai donc pas souhaité
faire oeuvre de doctrine.
Je concède également que je n'ai pas voulu
m'inscrire dans une démarche citoyenne: les données n'ont rien de
"pratique" pour des étrangers en difficulté et s'adressent
à des juristes. J'ai d'ailleurs écarté toute demande de
consultation, conscient qu'elles n'auraient été que
superficielles. Depuis deux ans, j'ai d'ailleurs bloqué la
possibilité de déposer des questions sur mon blog qui visaient
des situations trop personnelles. Pour l'essentiel, ces questions
étaient incompréhensibles sans rencontrer les personnes qui le
plus souvent ne résidaient pas en France. Dans ce cas, j'ai
renvoyé aux associations qui assistent les étrangers, notamment
le Gisti, ou des avocats lorsque la personne le souhaitait.
J'ajoute que le blog est alimenté par de futurs
commentaires du code Litec mais également des informations
d'actualité que je rédige pour le même éditeur, dans
le cadre de la mise à jour que Lexis Nexis propose à ses
abonnées.»
Professeur Vincent Tchen.
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· Réponse du professeur Serge
Slama:
Maître de conférences rattaché au Centre
de recherche et d'étude sur les droits fondamentaux (
CREDOF) et militant
associatif, le professeur Serge Slama anime un blog dont les billets
émanent de professeurs de droits, de doctorants et de militants
engagés, et qui à s'en fier à sa page de
présentation serait consacré à « la promotion
des droits de l'homme », « se veut [...] être un blog
académique »,
« valorise [...] des travaux d'étudiants en
Master Droit de l'homme » , « relaie « les
actions du monde associatif et militant » et délivre des
« points de vue engagés sur [ses] actualité[s]».
Les contributions y sont libres et ouvertes à
« tous ceux qui veulent partager leurs points de vue engagés
sur l'actualité des droits de l'homme ».
Pensez-vous faire oeuvre de doctrine sur votre blog? Ou
s'inscrit-il comme votre présentation le laisse penser dans une
démarche personnelle et militante?
« Pour répondre à votre question je
dirai: ni l'un ni l'autre. Combats pour les droits de l'homme n'est pas un
blog doctrinal, même si dans certains billets on peut esquisser certains
analyses doctrinales qui seront prolongées par ailleurs. CPDH n'est
pas non plus une démarche personnelle dans la mesure où il se
veut un projet collectif, porté par moi-même mais auquel participe
d'autres universitaires (essentiellement du CREDOF) ou d'autres militants
associatifs. »
Professeur Serge Slama.
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· Réponse du professeur Jérôme
Bonnard.
Professeur de droit à l`Université d`Herblay,
à se fier à la page de présentation de son blog, il
l'aurait créé « pour mélanger deux genres
» : « Le sérieux: avec
l'actualité du droit et des universités, des mises à jour
apportées à [ses] manuels; et des documents pour [ses]
étudiants » et « La fantaisie: avec
la publication de dessins et de nouvelles mettant en scène nos
Facultés de Droit [le nom de son blog], et« des cartes
postales anciennes des Facultés de Droit françaises et
étrangères, et [...] de la ville d'Herblay du Val
d'Oise. »
Le blog n'est pas ouvert aux commentaires.
Pensez-vous y faire tout au moins partiellement oeuvre de
doctrine ?
« Le mot doctrine que vous utilisez a un tel sens de droit
savant que je n'ai jamais pensé faire une quelconque oeuvre de doctrine
que ce soit dans mes écrits papiers ou dans ceux
numériques. »
Quelles sont les raisons, qui vous ont poussé à
commencer ce blog ? Etait-ce pour maintenir un lien avec vos
étudiants? Vous rendre plus accessible? Cela s'inscrivait-il dans une
autre démarche ?
« D'abord et surtout un lien avec mes étudiants
à qui en L1 je devais faire le cours du second semestre et dont les
manuels n'étaient pas à jour. De la sorte, les articles
d'actualité que j'ai mis sur le blog étaient en fait des parties
de cours que je leur traitais et ceux qui ne pouvaient assister au cours
pouvaient gratuitement et simplement les consulter ou télécharger
sur le blog. Pour tout les reste, roman feuilleton, photos, histoire, c'est
venu après lorsque je me suis rendu compte qu'il fallait le remplir de
temps à autre. De plus, l'idée de départ était
aussi d'avoir un outil pour actualiser régulièrement mes manuels.
L'éditeur de mon manuel d'intro au droit ayant accepté cela,
dès la semaine prochaine, chaque mois je vais publier une mise à
jour de ce manuel qui vient de sortir la semaine dernière en librairie.
De la sorte, gratuitement les étudiants qui auront cet ouvrage auront
une mise à jour immédiate pendant plusieurs
années.
Malheureusement ou heureusement, je ne sais pas, les
pages les plus consultées sont celles relatives aux enseignants
chercheurs, donc par mes collègues, car nous sommes tous très mal
informés de notre "condition". En tout cas ce n'était pas mon
souhait au départ et je me demande même si à la
rentrée je ne vais pas laisser tomber ces chroniques relatives aux
enseignants chercheurs. »
Professeur Jérôme Bonnard.
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· Réponse du professeur Olivia
Tambou:
Professeur de droit à l'université Paris
Dauphine, son blog ouvert aux commentaires fait l'objet d'une
présentation sommaire qui se réduit à quelques mots :
« Europe, Droit, enseignement, recherche et
citoyenneté ».
Elle n'y indique pas être professeur de droit.
« La création d'un blog correspondait pour
moi plus à l'envie de faire partager l'actualité et de travailler
en réseau avec d'autres collègues voir étudiants mais pas
vraiment de faire doctrine. Il s'agissait plutôt d'un outil de partage
permettant aussi de diffuser le travail et les réflexions des autres y
compris les colloques. Les articles rédigés ne correspondaient
pas à des analyses aussi poussées que celles que j'aurais pu
faire dans la presse spécialisée écrite. Cela dit, la
gestion d'un blog m'est apparu très chronophage et difficile sans une
véritable politique de rédaction avec une équipe
pédagogique permettant une répartition du travail. C'est la
raison pour laquelle la mise à jour de mon blog laisse à
désirer. »
Professeur Olivia Tambou.
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* 174 S'agissant plus
particulièrement des universitaires, le support du blog offre un espace
de publication nouveau au point, que l'on peut se demander s'ils se posent pas
en concurrents potentiels de l'édition juridique traditionnelle.Dimitri
Houtcieff et Frédéric Rolin, « Blogs juridiques contre
Edition juridique traditionnelle concurrence ou complémentarité
?», Dalloz 2006.
* 175 Philippe Jestaz
Christophe Jamin, « L'entité doctrinale française dans
le monde juridique », Recueil Dalloz 1997 p. 167.
* 176 « La
capacité en droit », Rapport établi à la demande
du Ministère de l'Education Nationale, Edith Jaillardon.
* 177 Cédric
Manara, « Où est la doctrine de demain ? Sur le Web Que font
les auteurs de demain ? Ils bloguent ».
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