Plus qu'un besoin être informé sur le droit
positif et ses évolutions, est pour les praticiens du droit un
devoir.
Les relations qui les lient à leurs clients, font peser
sur eux de véritables obligations de connaissance (exhaustive, fiable,
complète) et vigilance du droit applicable susceptibles d'engager leurs
responsabilités civiles sur le fondement du droit commun64(*), dont la jurisprudence a
tendance à envisager largement les manquements.
En ce sens, les compétences personnels d'un client et
la présence à ses côté d'un autre professionnel du
droit ne déchargent pas un professionnel de son devoir de
conseil.65(*)
Ces obligations: quelles sont-t-elles
?
1) Comme pour tous les professionnels, pèse sur
eux un devoir d'information et de conseil: « l'obligation d'informer
et d'éclairer les parties ».
A ce titre, les professionnels du droit sont tenus
« de conseiller leurs clients conformément au droit positif en
vigueur » et de leur délivrer une information juridique sur
leurs droits, leurs situations et les conséquences de leurs actions.
Commet ainsi un manquement à ce devoir:
-le notaire qui n'attire pas « l'attention des
parties sur l'importance et les risques de leurs
engagements ».66(*)
-l'avocat qui n'informe pas « son client sur
l'existence et les formes des voies de recours, existant contre les
décisions rendues à son encontre »67(*)
-ou l`« avocat qui agit pour son client en
méconnaissance d'une nouvelle jurisprudence de la Cour de
cassation.68(*)
2) Pèse également sur eux
« un devoir général de loyauté, de prudence, et
de diligence. »69(*)
A ce titre « l'avocat doit recueillir, de sa
propre initiative auprès de ses clients, l'ensemble des
éléments d'information et les documents propres à lui
permettre d'assurer, au mieux, la défense de leurs
intérêts.70(*)
3) Pèse, enfin, sur eux, une obligation
d'assurer l'efficacité de leurs actes.
Commet ainsi un manquement à cette obligation,
l'huissier de justice qui ne conseille pas ses clients sur l'utilité et
l'efficacité des actes qu'ils sont requis d'accomplir.71(*)
a-2-3) Synthèse des besoins.
Les besoins du premier marché de l'édition
juridique découlent pour l'essentiel de la nature complexe, instable et
foisonnante du droit.
Et, si l'on entend souvent dire que cette situation est
dangereuse pour la sécurité juridique des citoyens qui sauraient
difficilement respecter un droit qu'ils ne connaissent ou ne comprennent pas,
on remarque qu'elle l'est tout autant, si ce n'est plus, pour celle des
professionnels du droit dont la responsabilité peut plus facilement
être engagée: « La complexité croissante du droit
multiplie les risques d'erreur ».72(*)
Certes, la question se pose sans doute dans une moindre
mesure pour les universitaires, les étudiants, et les autres
professionnels. Cependant, ayant tous affaire quotidiennement au droit, ils
sont comme les professionnels confrontés à sa densité et
son instabilité, qui font qu'il est de plus en plus difficile, d'y
trouver l'information pertinente et utile.
Ainsi les besoins en information juridique des publics du
premier marché déjà assimilables à ceux de leurs
auteurs (publics et auteurs de l`édition se confondent), peuvent
être assimilés, sans peines à ceux des praticiens du droit,
qui sont à l`appui de cette thèse, les publics les plus
représentés de ce marché.
· Les éditeurs juridiques disent, en
effet, « s'adresse[r] « quantitativement » davantage
à des praticiens, avocats d'affaires et autres, soucieux de solutions
juridiques concrètes qu'à des théoriciens férus de
doctrine ».
Ce qui est pour eux un des effets de l'«
l'influence [...] de la culture juridique anglo-saxonne », qui aurait
transformé les besoins des publics de l'édition : « La
recherche de solutions immédiates prend[rait], de plus en plus, le pas
sur la quête d'arguments de raisonnement »73(*):
« C'est le fantasme du
précédent : plutôt que de raisonner, de passer par
l'abstraction, les praticiens sont persuadés souvent qu'existe
déjà une décision leur donnant raison dans la situation en
cause.
[...]On assiste à la naissance de
nouvelles valeurs, d'essence marchande plus qu'intellectuelle :
l'exhaustivité (la quantité prime la qualité ; le client,
le consommateur de droit, prime le juriste : je veux pouvoir tout acheter pour
être sûr de tout avoir), l'actualité (comme en d'autres
domaines, la tyrannie de l'actualité s'exerce dans le domaine juridique
: un article, un ouvrage juridique a une valeur parce qu'il traite d'un sujet
d'actualité [telle réforme, à peine adoptée], donc
il se vend bien), la réactivité (même idée :
caractère jetable du commentaire immédiat, sa valeur tient
à ce qu'il est le premier disponible ; « vite écrit, vite
lu, vite périmé, vite oublié »), le décryptage
: le lecteur veut un mode d'emploi, une explication de la loi et de la
jurisprudence, opérationnel,
simplifié. »
Les besoins des publics du premier marché
de l'édition son ainsi au nombre de trois :
1) Ils ont besoin d'avoir accès
à une information juridique sur le droit positif et ses
évolutions, qui soit fiable, actualisée, facilement et rapidement
accessible. Soit triée, sélectionnée,
synthétisée, pratique, guidée, complète et
exhaustive.
2) Ils ont également besoin d'un
accès à une information juridique enrichie d'une analyse du droit
positif scientifiquement discutée, éclairée et
commentée.
En ce sens:
· Cette jurisprudence, que le praticien est contraint
à connaître, est le strict résultat d'un travail de
synthèse et réflexion des auteurs de l'édition.
« Dans la remarquable thèse
qu'elle a consacrée à « la jurisprudence en droit
privé », et où elle cherche à faire la
« théorie d'une pratique », E. Serverin a
parfaitement mis en lumière le rôle des ouvrages de droit-et en
particulier des revues -dans la fabrication de la jurisprudence: en soi, le
fait qu'une décision, quelle que soit son importance, soit rendue, ne
suffit pas à la faire accéder au statut de
« jurisprudence », et ceci, d'ailleurs, quelle que soit
l'importance que la jurisprudence elle-même prétend lui
donner.
Ce statut jurisprudentiel suppose que la
décision en question, qui aurait pu demeurer obscure, sera reçue
par la communauté des juristes comme porteuse d'une règle
jurisprudentielle. »74(*)
« Les conséquences
attachées aux dispositions légales et aux décisions
jurisprudentielles sont déterminées, non par application, mais
par l'intermédiaire de transpositions, de compléments,
d'enrichissements qui sont de l'ordre du savoir, de sa constitution et de sa
transmission...
Certaines réformes limitées, des
revirements de portée réduite, prennent une ampleur inattendue,
tandis que d'ambitieuses refontes se heurtent à d'insidieuses
résistances.
[...] Les ouvrages de droit... assurent la
promotion des décisions qu'ils retiennent. Ils en changent la nature;
d'un jugement, d'un arrêt, ils font une référence porteuse
de la règle qu'ils semblaient se borner à
illustrer »75(*).
· Les professionnels ont également
besoin, que soient traités « des
problèmes » qu'ils rencontrent « dans l'exercice de
[leurs] métiers » et de pouvoir trouver des
« réponses aux questions que [leur] pose leur activité
quotidienne. »
Ce qui est pour Pierre Grimaldi, l'attente
« d'un professionnel légitimement soucieux de sa
compétence, en un temps où la densification et
l'instrumentalisation du droit en rendent difficiles la connaissance et plus
encore la compréhension. »76(*)
3) Et ils ont enfin besoin de lieux
où s'exprimer, échanger et débattre sur le droit, les
innovations qu'ils peuvent lui apporter, et précisément pour les
universitaires, les thèses et théories qu'ils
développent.