II). Un mode de vie traditionnel
Comment se confrontent les modèles familiaux
traditionnels et ceux de la société d'accueil ? Est-il
forcément pertinent de les placer en opposition ? Tradition et
modernité constituent parfois deux ensembles au sein desquels les
immigrés puisent des ressources dans un effort de « bricolage "
constructif. Comment les élèves d'origine italienne
gèrent-ils ces deux milieux, représentant l'un comme l'autre une
bonne partie de leur quotidien ?
A). Une population fortement imprégnée par
la religion, une éducation traditionnelle.
Si le début de notre période est un moment
où l'émigration pour des raisons politiques existe dans des
proportions non négligeables, les Italiens immigrent tout de même
principalement pour des raisons financières. Cependant, comme d'ailleurs
pour tous les phénomènes migratoires, ce ne sont, globalement pas
les plus démunis qui prennent le chemin de l'exil. En effet, il est
nécessaire d'avoir un capital de départ pour quitter la terre
mère et quelques menues économies pour « tenir » si
l'on arrive sans contrat de travail en France. L'immigré « type "
des années 1935-1955 est tout de même généralement
pauvre et, quand il y a été, il a reçu de l'école,
en Italie, une instruction que l'on peut qualifier de « minime ". La
plupart du temps, l'adulte reproduit l'éducation traditionnelle qu'il a
lui-même reçue de ses parents. Bien sûr, des changements
s'opèrent entre les deux générations mais ils sont
infimes. Les valeurs liées à la religion catholique, en
particulier, sont presque toujours transmises par les
témoins116.
L'immigration familiale et le caractère catholique des
Italiens sont d'ailleurs deux ferments d'assimilation vigoureusement
défendus dans les milieux religieux autochtones. N'oublions pas qu'ils
s'installent alors dans une nation qui a longtemps été
appelée « fille aînée de l'Eglise "117.
Cependant cette caractéristique, nous le verrons, a un rôle pour
le moins ambivalent dans l'opinion française : tantôt
lénifiante, tantôt repoussoir, elle n'est pas toujours un facteur
évident d'intégration.
116 « Des deux côtés, c'était
catholique : petit, j'allais à la messe et je suis toujours allé
dans des écoles privées. »
Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009
-- Basse Goulaine).
117 R. SCHOR, « Religion et intégration des
étrangers en France dans l'Entre-Deux-guerres ", dans L. GERVEREAU, P.
MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au
XXème siècle, Paris, 1998 (p. 248).
Dès lors, on peut s'interroger sur la part d'enfants
d'origine italienne scolarisés dans l'enseignement privé,
celui-ci étant nécessairement confessionnel à
l'époque qui nous intéresse. Les Italiens sont majoritairement
très catholiques comme on peut l'observer à la lumière de
ce tableau réalisé grâce aux données d'Alain Girard
et Jean Stoetzel. Cette analyse de leur pratique cultuelle montre ainsi que 96
% des Italiens de France se déclarent catholiques, même si
seulement la moitié d'entre eux sont pratiquants.
|
Italiens
|
Catholiques pratiquants
|
49%
|
Catholiques non pratiquants
|
47%
|
Autres
|
4%
|
Tableau n°2 : La pratique
religieuse, dans les années cinquante, des Italiens arrivés en
France avant la Seconde Guerre mondiale118.
Pourtant, les Italiens ne sont que peu nombreux à
scolariser leurs enfants dans le secteur privé. Cette proportion est
effectivement plus faible chez les élèves issus de l'immigration
que chez les Français de naissance119, seule l'immigration
polonaise constitue une exception à cette règle. Cette faible
proportion d'étrangers s'explique d'abord par le coût des
écoles privées mais pas seulement. En effet, pour les parents de
sensibilité communiste, et donc la plupart du temps athées voire
« anti-cléricaux », il n'est pas question de scolariser leurs
enfants dans les établissements confessionnels. Walter Buffoni, issu de
géniteurs ayant fuit le fascisme, explique ainsi le choix de son
école et de celle de ses soeurs : « mes parents, de
sensibilité communiste, tenaient à ce que nous allions dans le
public »120.
Nous avons veillé à interroger des
témoins issus de l'enseignement public comme de la sphère
privée, nous pouvons identifier les raisons principales qui
poussèrent les parents à choisir les écoles
confessionnelles catholiques au moment de l'inscription des enfants. Les
explications de ce choix s'expliquent souvent par la volonté de
maintenir une tradition catholique. Globalement, les témoins en savent
peu sur la foi de leurs parents. La question portant sur leur pratique
religieuse les étonne souvent :
118 Sondage réalisé au cours des années
cinquante sur des Italiens arrivés en France avant la Seconde Guerre
mondiale.
Cité par R. SCHOR, « Religion et
intégration des étrangers en France dans l'Entre-Deux-guerres
» dans L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire
de l'immigration en France au XXème siècle,
Paris, 1998 (p. 250).
119 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004
(p. 251).
120 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
« on allait à l'église mais comme tout le
monde, quoi !»121. Cette réflexion est surtout
rapportée par les témoins de l'Ouest de la France. Il semblerait
que, dans cette région, de 1935 à 1955, la pratique religieuse
étant toujours globalement forte chez les Français, les Italiens
aient été moins stigmatisés en tant que « papistes
» et « curetons »122. Cependant le choix ne se fait
pas toujours de façon aisée ou naturelle : Jacqueline et Daniel
Fantin m'expliquent ainsi que la décision de les placer en école
privée à Nantes était celle de leur mère et qu'elle
a provoqué des disputes nombreuses à la maison123. En
ce qui concerne les témoins avec qui nous sommes en contact pour cette
étude, on remarque une quasi parité entre ceux scolarisés
dans les établissements privés et les élèves issus
des écoles publiques. Il ne faudrait pas étendre cette
donnée à l'ensemble de la France de la période 1935-1955
puisque, en effet, il y a déjà, à l'époque une
disparité de répartition des écoles confessionnelles en
France. L'Ouest compte un grand nombre d'établissements privés
par rapport au reste du pays. Nous touchons là une des limites de notre
étude : ne disposant pas de chiffres précis quant à
l'inscription des Italiens de France, nous ne pouvons qu'apporter des
suppositions sur la disproportion observée entre l'Ouest et les autres
régions du territoire français.
Il semble ici nécessaire de faire un rapide bilan de ce
qu'était l'enseignement privé à la période qui nous
intéresse. Le débat entre école publique et école
privée est ancien, on trouve ses origines au XIXe siècle, le
problème repose alors sur l'origine du financement des
établissements. Rapidement, les débats se tournent vers la
question de la laïcité. Dans le contexte tendu des rapports entre
les gouvernements républicains français et l'Eglise, les lois
Ferry (1881, 1882 et 1886) établissent un enseignement primaire publique
gratuit, elles instaurent l'obligation de l'enseignement
élémentaire et la laïcisation des programmes des
écoles publiques. La loi Goblet de 1886 laïcise le personnel
enseignant des écoles publiques. Au coeur de notre période, le
régime de Vichy critique ces principes laïcs mais, à la
Libération, les aides financières de l'Etat aux écoles
privées sont à nouveau supprimées avant d'être
restaurées en 1951 par les lois Marie et Barrangé.
Les valeurs catholiques sont donc revendiquées par les
immigrés Italiens pour des raisons de conservation d'un certain nombre
de caractéristiques propres au pays récemment quitté.
Par
121 Entretien avec Maria C, (24 novembre 2009 -- Nantes).
122 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 39).
123 Jacqueline fréquente ainsi le pensionnat du
Sacré-Coeur de mars 1945 au 14 juillet 1955 et l'école de la
Châtelaine du 15 septembre 1955 jusqu'en septembre 1958. Daniel est
scolarisé en 1947-1948 à l'école maternelle Saint Clair de
la rue Ampère puis, jusqu'en juillet 1954, il étudie à
l'école élémentaire Saint Clair de la rue Danton.
- Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.
- Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 -- Vertou).
46 ailleurs, le caractère majoritairement catholique du
phénomène migratoire de la population originaire de la
péninsule italienne est souvent mis en avant par les Italiens comme une
des caractéristiques communes avec les Français, en tout cas, il
est rarement dénoncé comme un frein à l'intégration
dans le creuset hexagonal. La scolarisation au sein des écoles
confessionnelles serait dès lors un gage de sérieux auprès
des Français et un moyen de valoriser les traits communs entre les deux
pays. Le passage du public au privé, bien qu'exceptionnel, a pu se faire
dans de rares cas, et ceci non sans difficultés. Citons ainsi Maria
Cera-Branger, dont l'expérience est un bon révélateur des
tensions entre les établissements confessionnels et ceux «
appartenant » à l'Etat :
« Pendant la guerre, on a été «
réfugié total », c'était du côté
d'Héric, Blain. Là, j'ai eu des difficultés, non pas parce
que j'étais italienne mais parce que j'arrivais d'une école
laïque. J'ai dü aller à l'école chrétienne et
là les instituteurs ne me mettaient jamais la première si j'avais
bien travaillé et, pour la cantine, je ne mangeais pas à la
méme non plus »124.
Nous pouvons tout de même observer quelques cas
isolés, en général relevés lors de contacts avec
des Français aux opinions ancrées à gauche. Les jeunes
élèves français issus de familles « politisées
», en relation avec des enfants élevés dans la tradition
italienne catholique, feront parfois des remarques acerbes sur ce
caractère de « christos » des Italiens : « probabilmente
perché i nostri erano visti come dei gran bestammiatori »
interprète le journaliste italien Gian Antonio Stella.125 Ce
type d'insultes est aussi « investi » par les jeunes
élevés dans la foi chrétienne mais qui,
répétant là les discours de leurs parents, critiquent
l'aspect plein de superstition, selon eux, du culte transalpin. D'ailleurs, les
enfants issus d'un couple mixte et bénéficiant donc d'un «
double appartenance » tiennent parfois sensiblement les mêmes
discours, comme Maria Cera-Branger :
« Mon papa n'aimait pas l'Eglise, pourtant on
était croyants, comme tous les Italiens : c'est-à-dire plus
superstitieux que croyants ! Se prosterner dans les églises, embrasser
les pieds des statues et tout ! »126.
Les instituteurs sont assez représentatifs de cette
classe sociale de gauche souvent athée et assez parfois
anticléricale. Citons ainsi l'analyse de l'enquête de 1951
menée par des maîtres d'école
124 Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
125 « Probablement parce que nous (les Italiens, NDLA)
étions vus comme des grands blasphémateurs ». Dans G.
A. STELLA, L'Orda. Quando gli albanesi eravamo noi, Milan, 2003
(p.285)/
126 Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
47 sur les cultivateurs italiens installés dans le
Lot-et-Garonne. L'attitude de ces enseignants est assez représentative
de ce que l'on peut entendre dans les témoignages des jeunes italiens de
la période 1935-1955 :
« Un fond d'anticléricalisme qui fait partie de
leur culture laïque se reflète parfois dans la manière dont
les maîtres d'école évoquent la pratique religieuse des
immigrants. Et son assiduité à aller à l'encontre de la
norme dans un département non seulement déchristianisé,
mais de tradition rouge »127.
En effet, on s'inquiète de la nouvelle poussée
religieuse apportée en France par les Polonais ou par les Italiens. En
1936, en France, les religieuses italiennes gèrent encore une dizaine
d'écoles128. Même dans les milieux catholiques, on
craint l'attitude de ces étrangers qui, bien que pratiquant la
même religion que la majorité des Français, ont des rites
assez différents. Leur piété est jugée trop
ostentatoire, ouvertement superstitieuse. Effectivement, « ces
comportements faisaient craindre à la gauche et aux syndicats que le
clergé étranger ne maintînt ses ouailles sous la coupe de
traditions réactionnaires et sous le contrôle de gouvernements
tyranniques »129. Pendant et après la Seconde Guerre
mondiale, on observe une brèche dans le pouvoir
hégémonique, restrictif et autoritaire du clergé
italien130. La scolarisation dans les écoles de France
entraîne l'élève d'origine italienne à vouloir
fréquenter le catéchisme et le patronage des paroisses
françaises afin d'y retrouver leurs camarades de classe. Le mouvement
d'éducation populaire des patronages prend de l'ampleur en France mais
sans réelle coordination nationale, il connaît son apogée
entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années cinquante. Il
existe des patronages de filles et de garçons, qui peuvent être
laïcs, privés, municipaux, ou encore paroissiaux.
127 R. HUBSCHER « 1951, une enquête sur les
immigrés : la réalité biaisée ? » dans M-C
BLANCCHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003 (p.
195, 196).
128 R. SCHOR, « Religion et intégration des
étrangers en France dans l'Entre-Deux-guerres », L. GERVEREAU, P.
MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au
XXème siècle, Paris, 1998 (p. 249).
129 R. SCHOR, Français et immigrés en temps de
crise (1930 À 1980), Paris, 2004 (p. 67).
130 « Les prêtres étrangers,
autoritaires, enclins à intervenir dans la vie privée des
individus, interdisant aux enfants de fréquenter le catéchisme du
pays d'accueil, mettant les parents en garde contre une imitation des moeurs
immorales de la France et les intentions assimilationnistes
prêtées à celle-ci. »
Dans l'article de R. SCHOR, « Religion et intégration
des étrangers en France dans l'Entre-Deuxguerres », L. GERVEREAU,
P. MILZA et E. TEMIME, Op. Cit. (p. 250).
« J'y allais le jeudi et le dimanche. J'ai
commencé, j'avais trois ans. Il y avait une petite garderie, avec des
bénévoles. C'était très grand le patronage, mais
c'était formidable ! On jouait aux échasses, à la balle au
chasseur. Chaque étage correspondait à un age [...]. Il y avait
une chorale, il avait du théâtre, il y avait du basket
»131.
Par ailleurs, même dans les milieux de droite et dans
les rangs des autorités catholiques, on s'inquiète de l'aspect
« nationaliste » présenté par le catholicisme italien.
Les prêtres étrangers sont nombreux dans l'Hexagone, ils diffusent
l'idée que les processions doivent se faire en costumes nationaux et que
les cantiques doivent être chantés dans la langue du pays. Laura
Teuillères, historienne, et Yolande Magni, institutrice d'origine
italienne, expliquent que des membres du clergé d'Outremont arrivent
d'Italie en même temps que les immigrés issus d'un village
près de Bergame, la colonie tout entière s'installe à
Blanquefort, dans le Gers. Quatre bonnes soeurs italiennes s'occupent ainsi des
jeunes filles. Une de leurs « élèves », Constance
Gavazzi témoigne ainsi « ils [les Français] faisaient
attention à ce qu'on reste catholiques. Ils voulaient qu'on se marie
avec des Français »132. L'assimilation des
immigrés voulue par les autorités ecclésiastiques
françaises est donc en péril : on cherche dès lors
à remplacer les prêtres étrangers par des Français
polyglottes.
Cependant, si la doctrine « à l'italienne »
se maintient parfois dans les colonies transalpines, au sein des écoles
privées et confessionnelles, les élèves étrangers
suivent totalement le « dogme à la française ».
B). L'espoir d'une immigration temporaire : une
intégration moins forte dans l'Ecole française ?
« Tous les individus interviewés insistent sur le
fait qu'ils n'auraient jamais cru, au moment du départ, que leur
expérience migratoire durerait au point de les emmener à
construire en France leur vie et celle de leurs enfants. [...] D'ailleurs,
méme les récits de ceux qui se sont installés
définitivement [...] font apparaître des trajectoires relativement
hachées et marquées souvent par de longues périodes de
crise et par des changements de direction soudains et pénibles. Toutes
les expériences de vie, particulièrement intenses et difficiles
qui s'y dessinent, semblent souvent le fruit d'une série
d'évènements fortuits qui transforment progressivement en
réalité définitive ce qui à l'origine
n'était que provisoire et temporaire »133.
131 Louis PELLINGHELLI dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les
Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années
1880-1960), Rome, 2000, (p. 434).
132 « La vie rêvée des Italiens du Gers »,
documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.
133 Lucia GRILLI, « Entre Naples et Paris : les migrants
napolitains des années cinquante » dans Marie-Claude
BLANC-CHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003
(p.225 à 227).
Cette observation de l'historienne Lucia Grilli concernant les
migrants napolitains des années cinquante installés à
Paris s'applique en fait à la quasi-intégralité des
Italiens arrivés en France entre 1935 et 1955. Dès lors, on peut
s'interroger sur l'influence de ce caractère précaire des
trajectoires de l'immigration des Italiens sur les enfants italiens et leur
scolarisation en France. Leur intégration va-t-elle en souffrir ? Avant
d'étudier cette question, nous nous devons de rappeler sur quels piliers
fondamentaux est bâtie l'intégration. Jacqueline Costa-Lacoux en
compte cinq : l'égalité des droits, la lutte contre les
discriminations, les politiques compensatoires des inégalités,
les modes de participation à la vie de la Cité et l'accession
à la citoyenneté par l'entrée dans la communauté
nationale 134 . Pour ces deux dernières
caractéristiques, la volonté, de la part du migrant, de
n'être que de passage ne va pas faciliter l'intégration.
Cependant, l'immigration terrienne et catholique bénéficie
déjà d'un regard assez bienveillant des milieux conservateurs qui
considéraient que ces travailleurs étaient globalement dociles et
fermement tenus par la main nationale. Ces milieux, pourtant traditionnellement
relativement enclins à la xénophobie, voyaient d'un oeil peu
inquiet une main d'oeuvre de travail qui, souvent, n'avait pas immigré
avec l'objectif de s'implanter durablement sur le territoire
français.
· Les « nomades » de l'immigration :
différentes étapes en France avant l'installation
définitive ?
L'image véhiculée en France est celle d'une
immigration qui s'est stabilisée au sein du creuset français. Il
est logique que l'on pense essentiellement, lorsque l'on parle d'immigration
transalpine, à ceux qui sont toujours en France aujourd'hui et
naturalisés la plupart du temps. Cependant, n'oublions pas qu'il existe
des Italiens qui resteront toujours des migrants et ne passeront jamais de ce
statut à celui d'immigré de France. La source qui permet de
suivre les parcours des Italiens itinérants nous est donnée par
les documents d'immatriculation qui devaient être tamponnés en
mairie. Bien sûr, certains ne se déclareront jamais mais ceux
là sont des hommes venus seuls, sans enfants. Presque toujours, les
Italiens de la période 1935-1955 pensent n'aller en France que pour une
courte période, pour des raisons de travail. Le seul vrai indice
objectif d'une volonté de vivre en France de façon permanente est
la naturalisation. Or, et c'est
134 J. COSTA-LACOUX, « De l'assimilation à
l'intégration », dans L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME,
Toute la France. Histoire de l'immigration en France au
XXème siècle, Paris, 1998 (p. 212, 213).
50 ce qui nous intéresse ici, cette décision est
souvent liée à la présence d'enfants. Etre père de
famille est d'ailleurs un des deux critères les plus efficaces pour
obtenir la naturalisation135. En outre, les enfants qui naissent sur
place consolident le lien avec le pays d'accueil et ce tant au niveau du
ressenti de la famille qu'au plan légal. En effet, ces fils et filles
d'Italiens nés en France acquièrent d'emblée la
nationalité française. En somme, lorsque le souhait de la famille
de rester en France existe, il est possible, la plupart du temps, d'obtenir la
nationalité, ce, du moins, avant la Seconde Guerre Mondiale.
Effectivement, la France est alors appauvrie en enfants et, donc, en soldats
potentiels. En somme, ce mouvement de naturalisations massives et
précipitées à partir de 1938 n'a en rien l'apparence de
l'intégration. Nous avons vu que l'école est souvent le moteur
principal qui pousse les parents à demander à être
naturalisés, de même, les perspectives de carrière jouent
un rôle important dans la naturalisation comme en témoigne
d'ailleurs WM, se souvenant de sa motivation à enrayer la situation
« nomade » de sa famille (il a d'ailleurs changé quatre fois
d'école) :
« On est en France, on est des étrangers... On
n'est pas chez nous, on n'est pas bien ! On ira mourir chez nous. Quand on aura
gagné quelques sous, on ira chez nous... C'était ça
jusqu'à la guerre. Mais arrivé à la guerre... moi j'avais
seize ans, je me sentais géné de pas pouvoir faire ce que je
voulais ! Parce que déjà à seize ans, je voulais
être à mon compte. Je me disais, je ne suis pas français,
je ne peux pas ou j'aurais des difficultés alors j'avais
encouragé mes parents à demander la nationalité.
»136.
Souvent le caractère précaire de l'installation
en France de la famille n'est pas seulement lié à ses
déplacements dans l'Hexagone mais aussi à ses allers-retours de
chaque côté des Alpes. Que ce soit pour des raisons
professionnelles ou de voyage, l'enfant « subit » les
conséquences sur sa scolarité de ses voyages et des migrations
pendulaires de sa famille137.
? Le problème de l'absentéisme.
En effet, la non fréquentation scolaire et
l'absentéisme des étrangers, problèmes intimement
liés aux déplacements de travail des familles de migrants, sont
parfois abordés dans les études. Cependant, si une étude
de 1927, citée par Gérard Noiriel dans son Atlas de
135 Le deuxième facteur aidant à la naturalisation
est d'avoir fait la guerre.
M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien.
Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000
(p. 401).
136 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
137 Par exemple, pour son élève, un natif de
Bedonia, le maître d'école écrit :
« Interruption de scolarité pour un voyage en
Italie. Turbulent, mais bon partout. Placé à la campagne par
l'Assistance publique. »
l'immigration en France, montre que, sur 257 000
enfants d'immigrés de 6 à 13 ans (soit 8,4 % de la population
scolaire), 22 000 ne vont pas ou très peu à l'école, ces
chiffres diminuent ensuite. Les enfants étrangers ne suivant pas les
cours dispensés (on ne parle ici que de personnes n'ayant pas la
nationalité française) représentent donc 8 % en 1927.
Globalement ce taux d'absentéisme diminuera doucement tout au long de la
période de l'Entre-Deux-guerres138. Malheureusement, nous ne
disposons pas ici nouveaux chiffres sur ce taux d'absentéisme à
l'école des enfants issus de l'immigration italienne. Le fait que ces
écoliers aient tous des statuts différents (Français,
Italiens ou encore naturalisés au cours de leur scolarisation) ne rend,
bien évidemment, pas aisé les calculs sur la fréquentation
des écoles qu'il serait intéressant de pouvoir livrer ici.
Au moment du départ, la majorité des migrants ne
possède que de rares informations sur leurs opportunités de
travail et sur ce qui les attend en France : le projet des protagonistes est
alors de gagner suffisamment pour retourner en Italie vivre une vie moins
misérable. C'est souvent chez leurs enfants que naîtra l'espoir
d'enracinement.
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