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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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E). Le rôle joué par l'école dans l'installation définitive en France

Marie-Claude Blanc Chaléard, dans sa thèse publiée en 2000, relate le témoignage que lui a livré Louis Taravella, né à Nogent en 1920. Ce dernier explique qu'au moment de passer son baccalauréat, en 1935, il apprend qu'il n'en a pas le droit, n'étant pas de nationalité française. En pleine période de la crise éthiopienne, il semble que cette loi est appliquée assez strictement. Le père de Louis Taravella, un notable local, entrepreneur de son état, réussit cependant à régler cette situation délicate en allant voir le juge de paix. Néanmoins, la solution au problème du jeune homme ne pu être autre que la naturalisation. On s'aperçoit donc bien de l'importance que

98 L. TEULIERES, « Mémoires et représentations du temps de guerre dans le midi toulousain » dans M-C BLANC-CHALEARD (dir), Les Italiens en France depuis 1945, Paris, 2003 (p. 210).

99 « Les étrangers au temps des « Trente Glorieuses » » dans A. CROIX, Nantais venus d'ailleurs. Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos jours, Rennes, 2007 (p. 337).

100 Ainsi, dans son entretien avec un témoin issu de parents originaires des Abruzzes, Federica Stortoni rapporte l'anecdote suivante : « Quand en 49 mon père est allé me déclarer à la Mairie, 49 c'était trois ans après la guerre, les Italiens étaient mal vus. Mon père a dit : « Carlo-Bruno » et le monsieur lui a dit : « je ne connais pas, c'est quoi ? » Et mon père a dit : « je suis italien, c'est un prénom italien ». Le monsieur a dit : « Si on est en France, il faut mettre un prénom français et mon père a regardé les noms et a dit « Charles-Bruno » ».

Document annexe de la thèse de psychologie clinique et pathologie de F. STORTONI, Clinique contemporaine des Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis Français... mais mon père était italien... », sous la direction des professeurs T. NATHAN et R. CHATTAH, Paris et Bologne, 2007. (Cité dans son intégralité en document annexe n° 14).

38 peut revêtir la scolarisation des enfants de migrants italiens, non seulement dans une implantation en France plus longue, mais aussi dans les demandes de naturalisation.

De façon plus globale, la réussite scolaire est souvent expliquée, dans les témoignages, comme facteur d'une meilleure intégration pour l'ensemble de la famille. Nous retrouvons cette motivation dans de nombreux dossiers de naturalisation. L'enfant est présenté, dans le dossier destiné au Conseil de l'Emigration et au Commissariat Général, comme un citoyen modèle en devenir, le succès des élèves rejaillissant alors sur ses parents.

Au-delà de leurs bénéficiaires immédiats, les leçons récitées au sein de la cellule familiale diffusent les références historiques littéraires ou politiques qui sont le ciment de la nation française. C'est dans ces conditions que l'Ecole a pu permettre aux parents de nos témoins de développer un sentiment d'appartenance à la France, parfois très fort. Ajoutons à cela, nous aurons l'occasion d'y revenir, que l'allégeance à la nation italienne est alors plutôt rare, ce qui, on est en droit de le supposer, a pu faciliter le phénomène de transculturation et d'agrégation des immigrés transalpins à la France. La scolarisation, méme lorsqu'elle n'est pas caractérisée par des succès particuliers en classe, est un formidable facteur d'intégration et d'implantation du noyau familial dans l'Hexagone. Nombreux sont les migrants expliquant que leur sentiment d'appartenance s'est fait naturellement et très rapidement grace à l'école :

« La génération de mon père, ils comptaient revenir chez eux, mais, au bout d'une dizaine d'années, ils ont compris que leurs enfants, ils étaient devenus pratiquement français. [...] On a eu trois frères et soeurs qui sont nés en France, ils étaient des gens français eux. Assez rapidement, c'était en 1935, mon père a racheté sa propre exploitation »101.

Effectivement, la scolarisation ne va pas seulement conduire l'élève à se sentir Français, l'Ecole va aussi, parfois, pousser le foyer tout entier à passer d'un « nomadisme » contraint à une installation en France choisie par la famille. « Ces jeunes élevés à Paris ne se sont pas seulement adaptés. Ils ne se voient pas autrement que Parisiens, Nogentais ou Montreuillois, l'intégration s'est faite pour eux de façon spontanée »102.

Par ailleurs, l'aide des enseignants à l'installation des familles de migrants est parfois matérielle. L'assistance aux immigrés est toutefois surtout distribuée par les mairies et par les prestations de l'Etat (allocation chômage, aide pour les familles nombreuses, entre autres). A la

101 Retranscription de l'interview de Nuncio TITONEL,

Dans le reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.

102 M-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 411).

39 Libération, on voit en France naître une sorte de « consensus familiariste »103, il se traduit par l'instauration massive d'allocations familiales. L'objectif souterrain de ces mesures est de montrer, par un soutien financier, l'encouragement de l'Etat à la natalité. Le système des prestations familiales s'applique alors selon un principe de territorialité, les étrangers peuvent donc bénéficier de la même somme d'argent que les Français. Par ailleurs, l'immigration italienne bénéficie d'un régime dérogatoire tout à fait à son avantage : le travailleur transalpin peut, en effet, profiter des allocations même si sa famille est toujours en Italie. En juin 1951, ce transfert d'argent est limité à dix-huit mois, passé ce délai, deux solutions se présentent : la famille doit rejoindre le travailleur et scolariser ses enfants en France ou bien les allocations seront suspendues. Par ailleurs, il arrive parfois que les instituteurs aident la population italienne à se fixer par des « cadeaux », terme utilisé par Marie-Claude Blanc-Chaléard. Le témoignage de Rina Biasin-Raumer confirme d'ailleurs cette information :

« Un jour, je me suis trouvée à l'école, papa était au chômage. [...] Je suis allée voir la maîtresse, qui était très gentille : Il est au chômage ton père ? Attends, il va arriver d'autres choses... Et elle m'a fait avoir un de ces gilets ! J'étais drôlement contente, c'était pour le dimanche »104.

Les aides et les allocations liées à la scolarisation des enfants contribuent souvent à faciliter la vie des immigrés en France. Certains font donc le choix de demander la naturalisation. Etant donné l'importance accordée en France à la question de la nationalité, le fait d'être Français modifie sensiblement l'intégration et l'ascension sociale des enfants d'immigrés et ce, tant dans les constructions et les représentations mentales que dans les lois. La naturalisation permet ainsi l'accès aux emplois réservés aux nationaux105. Au cours des entretiens, les témoins sont d'ailleurs souvent fiers de montrer la carte d'identité de leurs parents (du père en général, étant donné la forte proportion de couples mixtes chez les personnes interrogées dans le cadre de ces recherches).

Le projet professionnel de l'enfant en France et les solidarités familiales vont donc souvent pousser les parents à ne pas rentrer en Italie. Nous aurons l'occasion, plus loin dans notre étude, de nous pencher sur les carrières des enfants d'immigrés italiens et sur ce qu'elles

103 Cité par A. SPIRE, « Un régime dérogatoire pour une immigration convoitée. Les politiques française et italienne d'immigration/émigration » dans M-C BLANC-CHALEARD (dir), Les Italiens en France depuis 1945, Paris, 2003 (p. 50 à 53).

104 M-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 -- Entretien avec Rina BIASIN-RAUMER (p. 376).

105 « Le travail n'était pas sûr tant que papa n'était pas naturalisé ».

Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

impliquent. Par ailleurs, une cause qui peut sembler évidente mais qu'il ne faudrait pas omettre d'évoquer ici est l'union mixte. Marié avec une Française, ayant des enfants français, s'établir dans l'Hexagone de façon pérenne est la décision la plus courante, même si elle n'est pas nécessairement évidente106.

Le travail d'acculturation et de francisation exercé par l'Ecole française se fait donc bien, non seulement sur l'élève, mais aussi sur toute la cellule familiale, cette influence de l'Ecole rejaillit sans nul doute sur l'installation définitive des familles. Effectivement, quand les témoins relatent le cas de proches qui ne firent qu'un séjour temporaire en France, c'est presque exclusivement des hommes célibataires. Par ailleurs, lorsqu'une famille avec des enfants rentre en France, c'est pour des raisons qui relèvent de situations exceptionnelles à la « norme »107.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry