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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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B). Les prémices de la guerre.

Si la crise économique mondiale a eu pour effet de réduire la population immigrée en France (seulement 721 000 Transalpins en 1936), les années 1937 et 1938 ont, quant à elles, été marquées par une reprise non négligeable des arrivées dans l'Hexagone54.

Comment vont être accueillis ces nouveaux contingents d'Italiens ? Ni la proximité géographique ni la parenté culturelle de la France et de l'Italie ne semblent suffire à vaincre les préjugés et la xénophobie de certains autochtones. Daniel Fantin, évoquant l'union de ses parents, raconte ainsi :

« Etant jeune, on peut dire que nous avons souffert que notre père soit italien. La première a en souffrir, je pense que c'est notre mère : se marier en 1939, cela n'a pas du être facile tous les jours. Il ne fallait pas dire que notre père était italien »55.

Tous les immigrés de France ne sont cependant pas « logés à la même enseigne ». En tout cas selon Georges Mauco, qui, en 1938, alors employé au cabinet du sous-secrétaire d'Etat chargé des services de l'immigration et des étrangers auprès du Président du Conseil, opère pour la première fois une distinction entre « l'immigration voulue » (constituée par les ouvriers) et « l'immigration imposée » (formée par les réfugiés)56. Par ailleurs, des différences sont aussi établies, dans l'opinion publique entre le migrant urbain et le rural. Ce dernier est davantage stigmatisé, on se moque de ses mauvaises conditions d'hygiène, de la promiscuité dans laquelle il vit avec ses compatriotes, de sa mauvaise alimentation, comparée à celles des populations françaises de l'exode rural, cinquante ans plus tôt. De méme, en général, l'Italien du Nord sera préféré au méridional et les hommes du bâtiment bénéficieront d'un a priori positif quand le commerçant sera, quant à lui, plus souvent dénoncé comme malhonnête57. Les mêmes remarques

53 Voir à ce sujet les données disponibles en ligne sur le site de l'INSEE.

54 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993, (p. 77 à 82).

55 Témoignage de Daniel FANTIN recueilli par O. OSSAN pour l'exposition « Ciao Italia ! l'Italie en fête » à l'espace Cosmopolis, Nantes (26 octobre au 1er novembre 2009).

56 G. MAUCO, Les Etrangers en France, leur rôle dans l'activité économique, Paris, 1932.

57 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 126, 127).

sont faites dans la cour de récréation, où les jeunes transalpins essuient des insultes sur leur qualité de « fils de ritals magouilleurs »58.

Nous le verrons, les facteurs religieux et politiques de leur exil pourront être propices à l'intégration des Italiens. Cependant, face à un prolétariat politisé et déchristianisé, ils pourront aussi être la cause d'un rejet qui se traduit souvent par le repli sur elle-même de la communauté. Néanmoins, le chiffre de 40 % d'étrangers ayant obtenu la naturalisation à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l'infime proportion d'enfants d'immigrés optant à la majorité pour la nationalité italienne 59 , ou encore les nombreux mariages mixte « italo-français » 60 , nous permettent d'observer une relativement bonne intégration des migrants Transalpins. Par ailleurs, à cette période, les immigrés Italiens viennent tout de même en troisième position (après les immigrés de Belgique et de Suisse, c'est-à-dire deux pays en partie francophones) dans l'échelle des préférences nationales en France61. L'image de l'immigré Italien est plus souvent négative dans les régions où le sentiment identitaire est très fort (la Corse, malgré sa part d'histoire italienne, en est un exemple parlant). En revanche, nos témoins bénéficient globalement d'un bon accueil et d'une intégration remarquable dans des régions (comme la Garonne, par exemple) où l'apport migratoire a permis d'enrayer la désertification alors en marche.

Luc Delmas, investi par l'ARESSLI, explique, pour ce qui concerne la Lorraine que l'Entre-Deux-guerres voyait souvent les mussoliniens, avec le soutien de leur consulat investir le Pays Haut62. Alain Croix, quant à lui, étudie la situation nantaise, repérant une organisation fasciste en place dès 1926, presque aussitôt suivie par des critiques de la part « d'Italiens francophiles », c'est-à-dire anti-fascistes63. En effet, dès 1922 et jusqu'au début de la guerre, les Italiens qui arrivent en France pour des raisons politiques, fuient souvent le fascisme. Ils rejoignent alors des réseaux déjà en place et reconstituent des structures partisanes (socialistes de

58 Un intervenant d'origine italienne racontera cette anecdote lors de la conférence sur les « Italiens de Bretagne », de Céline EMERY, 21 novembre 2009, Rennes.

59 L. GERVEREAU, P. MILZA, E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 46).

60 En témoignent les histoires de François CAVANNA, (Op. Cit.) ou de Pierre MILZA (Op. Cit.) par exemple.

61 R. SCHOR, L'opinion française et les étrangers, Paris, 1985, cité par P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 125).

62 L. DELMAS, « Les immigrés italiens pendant les guerres », n° 11, mai 1999, Communication présentée au festival de Villerupt, le 28 octobre 1995) (p.8).

63 « Le « président de la colonie italienne des Batignolles », Lino ZANNI, et son vice-président, Natale PENCO, sont des fascistes. [...] des notables italiens créent un fascio : ces initiateurs du fascisme à Nantes sont des commerçants [...] c'est le gouvernement italien qui est derrière cette offensive concertée ».

A. CROIX, Nantais venus d'ailleurs. Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos jours, Rennes, 2007 (p. 266).

différentes obédiences, anarchistes, communistes, républicains) ou des organisations associatives (la LIDU64 par exemple). Les colonies italiennes sont dès lors parfois déchirées par un clivage qu'il ne serait pas aberrant de désigner comme répondant à une logique de guerre civile, pour la France méridionale en tout cas 65 . Les « fuoriscisti » s'échappent ainsi la répression mussolinienne, emmènent avec eux femmes et enfants, en danger dans la Péninsule. Aucune mesure administrative n'est prise à l'encontre de ces Italiens du côté français mais la manifestation de comportements italophobes au sein de l'opinion se fait plus forte. Le climat est tendu pour les immigrés italiens puisque aux tensions politiques intestines entre fascistes et antifascistes s'ajoutent les affrontements racistes entre Français et Italiens. Signalons cependant que les familles de « fuoriscisti » bénéficiaient tout de même du soutien de nombreux hommes de gauche, or, nous savons qu'ils existent dans des proportions non négligeables parmi les hussards de la République française. La « politisation » se fait d'ailleurs dès l'Ecole Normale qui a pour mission de diffuser des valeurs prétendument universelles aux maîtres Français qui devront, à leur tour, les enseigner aux écoliers de l'Hexagone. Bien sûr, ses valeurs diffusées par l'EN sont plus de l'ordre de la solidarité et de la tradition républicaine que de la lutte politique. La compassion envers les difficultés qu'ont connues les immigrés et leurs enfants est d'ailleurs souvent signalée par nos témoins. En effet, au cours des entretiens, ils « justifient » souvent, a posteriori, par des raisons politiques, la décision de leurs parents de quitter la terre mère. Les explications liées à la fuite du fascisme sont, il est vrai, considérées comme plus valorisantes que les raisons économiques, Pierre Milza parle ainsi de « légende noire du fait migratoire »66. En fait, les raisons politiques et économiques s'entremêlent souvent. Il n'est, dès lors, pas aisé de se faire une idée juste du motif principal de départ, analyse d'autant plus difficile que souvent les enfants ignoraient pourquoi leurs parents s'étaient exilés. Si la fuite du fascisme est parfois valorisée par les maîtres d'école, on remarque aussi qu'elle a pu joué comme un frein à l'intégration. La compassion bienveillante des instituteurs à l'égard de familles ayant fuit l'Italie n'est pas si courante.

Si l'on cherche à déterminer le moment de la rupture dans les relations franco-italiennes on désignera sans doute le discours de Ciano du 30 novembre 1938 à la chambre des Faisceaux et des Corporations. Le « plan Ciano », qui s'avère par la suite être un cuisant échec pour le

64 La Liga Italiana dei Diritti dell Uomo (Ligue italienne des droits de l'homme - TDLA) est constituée à Paris en 1922.

65 L. TEULIERES, Français et Italiens dans la France méridionale de la fin de la Grande guerre au sortir de l'occupation : opinion et représentations réciproques, Thèse de doctorat sous la direction du professeur P. LABORIE, Université de Toulouse II Le mirail, 1997.

66 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 474).

camp italien, a pour but de « faciliter les nombreux courants d'Italiens qui ont manifesté l'envie de rentrer dans la Patrie ». Mussolini tente de bloquer l'émigration, alors que le gouvernement français augmente les naturalisations afin de pouvoir appeler plus de soldats potentiels en vue de la guerre qui se prépare à éclater. En fait, quelques fascistes en vue et quelques milliers d'immigrés rentreront en Italie. Le gouvernement de Rome exige par ailleurs l'application stricte de l'article 21 de l'armistice franco-italien (les Italiens internés pour raison politique doivent être rapatriés, les adversaires tout comme les partisans du régime). Les missi dominici de Mussolini, aidés par les fasci locaux et les missions catholiques, développent en France une importante propagande en faveur du retour de ces immigrés67. Retours qui s'avèrent assez conséquents dans les trois années qui marquent les prémices de la guerre :

Années

Total des départs

Départs vers la France

Retours de France

1938

61

548

10

551

8 440

1939

29

489

2

015

59 877

1940

51

817

1

119

45 741

Tableau n° 1 : Emigration italienne et solde migratoire entre la France et l'Italie pendant les
prémices de la Seconde Guerre Mondiale68.

Ces retours expliquent que quelques uns de nos témoignages soient en langue italienne : après avoir été scolarisés en France durant l'Entre-Deux-guerres, les jeunes retournent vivre en Italie et font leur vie d'adulte là-bas. Avec le début de la Deuxième Guerre mondiale, un grand nombre d'émigrants italiens installés en Angleterre, en Belgique, en Suisse ou en France doivent retourner dans leurs villes d'origine. On comptera près de 150 000 Italiens venus de France qui traversent alors les Alpes, prenant ainsi le chemin du retour « forcé » à la terre mère. Cependant, durant cette période, des navires continuent, depuis les ports de Gênes ou Naples, à alimenter l'immigration aux Etats-Unis.

67 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 83, 84).

68 A partir des sources de l'ISTAT, P. MILZA, Ibid. (p. 75).

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway