II). Explication des termes du sujet
? Explications historiques et lexicales
Nous en arrivons maintenant à l'étape du rappel
du rôle et des caractéristiques des différents
protagonistes de nos recherches. Ce passage de l'étude peut sembler un
peu fastidieux mais il n'en est pas moins nécessaire à une bonne
compréhension des thèmes soulevés par notre sujet
d'étude.
La situation de « migrant » se
distingue de celle de « l'immigré » en tant
qu'elle indique que le processus migratoire n'est pas clos. De méme, le
terme « d'émigré »,
c'est-à-dire celui qui s'est expatrié par rapport à son
pays d'origine, exprime un point de vue différent du mot «
immigré » (celui qui est venu de l'étranger par rapport au
pays qui l'accueille). La plus grande visibilité des immigrés,
particulièrement Italiens, s'explique par leur stabilisation sur le
territoire français. La recherche historique comme sociologique
s'intéresse, dès lors, davantage à eux. Gérard
Noiriel, historien pionnier du travail sur l'histoire de l'immigration en
France, explique ainsi que « le regard se déplace vers les «
improductifs », surtout les enfants. La problématique de la
famille, donc de la généalogie, donc de l'assimilation,
aiguisée par les fantasmes xénophobes, est en terrain sûr
»27.
Nous aurons aussi l'occasion d'étudier le
rôle et la formation des instituteurs dans les
Écoles Normales de France.
Une des grandes polémiques que l'on retrouve chaque
fois qu'est évoquée l'immigration en lien avec l'Ecole est le
concept d'assimilation. Ce processus, qui, sans être une
spécificité française relève tout de même de
« l'habitude » nationale, fait l'objet aujourd'hui de vives critiques
mais fut longtemps considéré comme l'unique solution à
l'intégration des enfants de
26 Entretien de A. GUYOT avec P. MILZA pour Ouest
France, « Ces immigrés Italiens qui ont bâti la France
», mai 2008.
27 G. NOIRIEL, Le Creuset Français,
Histoire de l'immigration (XIXème-XXème),
Paris, 1988 (p. 37).
16 migrants dans l'Hexagone. L'Ecole est, sans nul doute, un
des plus puissants « appareils démocratiques de
représentation »28. Le témoignage du sociologue
et philosophe Edgar Morin publié dans Le Monde, est, à
cet égard, hautement significatif :
« La IIIe République institue [...] les lois de
naturalisation qui permettent aux enfants d'étrangers nés en
France de devenir automatiquement français et facilitent la
naturalisation des parents. L'instauration, à la même
époque, de l'école primaire laïque, gratuite, et
obligatoire, permet d'accompagner l'intégration juridique par une
intégration de l'esprit et de l'âme. J'en témoigne : fils
d'immigrés, c'est à travers l'école et à travers
l'Histoire de France que s'est effectué en moi un processus
d'identification mentale »29.
Qu'en est-il donc de cette assimilation qui provoque, tour
à tour, reconnaissance des enfants d'immigrés et critiques
amères de ceux qui considèrent leur liberté et leur
identité étouffées par ce processus ? Les capacités
de l'Ecole Républicaine à intégrer les jeunes d'origine
étrangère sont loin d'être considérées comme
évidentes par tous les historiens. Citons ainsi le cas de Gérard
Noiriel et celui d'Antonio Perroti qui, tous les deux, voient le pouvoir
intégrateur de l'Ecole comme une idée reçue. Les rapports
d'inspection (surtout en Sud-ouest et en Lorraine30 car à
Paris, l'intégration semble avoir été effectivement
poussée par l'école31), eux aussi, permettent de
mettre en doute l'idée d'un pouvoir intégrateur sans faille de
l'Institution Scolaire.
Il est nécessaire, dans l'étude à
laquelle nous nous consacrons, de nous arrêter un moment sur trois termes
que nous serons amenés à employer et qui ont fait débat
chez les sociologues comme chez les historiens. L'entrée des
résidents italiens en France, et donc de leurs enfants, se fait en effet
selon trois modalités : l'intégration l'assimilation, et
l'insertion.
Le projet français d'intégration
est déjà présent dans les dispositions de 1889
qui se proposent de « transformer » les jeunes étrangers en
Français 32 . En France, la tradition d'intégration
républicaine a longtemps prévalue chez les pédagogues et
les sociologues. L'origine scientifique du mot « intégration »
évoque la construction dynamique d'une unité de citoyens, c'est
donc une incorporation. L'intégration se veut un tout dans lequel chaque
élément
28 « Appareil démocratique de représentation
» est une expression utilisée par G. NOIRIEL dans La tyrannie
du national, Paris, 1991 (p. 91).
29 E. MORIN, « La francisation à
l'épreuve », Le Monde, Paris, 1991.
30 G. NOIRIEL, Les Italiens en France de 1914
à 1940, « Les immigrés italiens en Lorraine pendant
l'entre-deux-guerres : du rejet xénophobe aux stratégies
d'intégration », Paris, 1986.
31 M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000.
32 Voir la chronologie disponible en document annexe
n°1.
compte à part entière. Dans les années
soixante-dix, historiens et sociologues critiquent le terme
d'intégration au nom du droit à la différence, le mot
« insertion » lui est alors préféré.
Ce terme est parfois utilisé dans les
témoignages des enfants d'immigrés transalpins. «
L'insertion » a l'avantage d'être le mot le plus neutre
lorsque l'on évoque la collision du migrant avec sa
société d'accueil. Cela suppose que les migrants conservent leur
identité mais en ne se fondant jamais vraiment dans le corps social
français. L'insertion souligne ainsi l'extranéité de
l'arrivant et accepte la possibilité de son détachement de la
société d'accueil lié au refus de la part du migrant
d'être assimilé. Il est finalement rapidement abandonné
à son tour.
Le thème de l'assimilation par
l'Ecole, quant à lui, domine la période qui s'étend des
années trente aux années cinquante, époque dont nous
verrons qu'elle est particulièrement alimentée et aiguisée
par les fantasmes xénophobes. Cependant, ce terme est déjà
utilisé au XIXème siècle puisque le
modèle d'assimilation est mis en place au début de l'ère
républicaine, sur les enfants étrangers comme d'ailleurs sur les
provinciaux (les historiens de l'Ouest ont ainsi développé
quantité d'intéressants ouvrages sur le cas des Bretons par
exemple). La France continue sa longue croisade jacobine vers l'Etat
centralisé et le prisme adopté par l'Institution Scolaire doit
alors être le même dans chacune des écoles essaimées
dans l'Hexagone. L'assimilation est globalement défendue par les
partisans de la « préférence nationale », c'est un
processus qui fait disparaître l'élément étranger
par une absorption dans l'organisme assimilateur. L'extranéité
disparaît donc totalement lorsque l'on parle d'assimilation. Ce concept
rend nécessaire la confiance dans la vertu assimilatrice des
institutions étatiques, et en ce qui nous concerne, de l'Ecole.
L'Italien immigré doit alors abandonner ces particularismes pour ne
former qu'un avec la société d'accueil. Se pose alors le
problème non négligeable de l'acculturation,
problème sur lequel nous aurons bien entendu l'occasion de
revenir dans nos recherches.
L'avantage de la notion d'intégration par rapport au
concept d'assimilation est de concerner chacun des citoyens français et
non uniquement l'immigré et ses enfants. En 1927 l'enfant d'un milieu
allogène33, s'il est né en France, n'a plus la
possibilité de choisir : s'il est de mère française ou de
parents étrangers nés en France, il est Français. Cette
loi, définie par de nombreux historiens comme assimilatrice, fait
diminuer considérablement le nombre d'élèves
étrangers dans les écoles françaises 34 . Ces
nombreux écoliers d'origine italienne mais de nationalité
française rendent, pour l'historien, plus difficile la tâche,
nécessaire et préalable à l'étude, de
reconnaissance des témoins potentiels au travail de recherche (en effet,
nous le
33 Le groupe allogène décrit ici une
communauté ethnique installée depuis peu sur un territoire et
présentant encore des caractères la distinguant de la population
autochtone.
34 Voir la chronologie disponible en document annexe
n° 1.
verrons, ce serait se fourvoyer que de penser que la bonne
intégration à l'école va de pair avec la naturalisation
des élèves et de leurs parents).
Pour résumer, nous laissons ici la parole à
Jacqueline Costa-Lacoux, politologue, chercheuse au CNRS et directrice de
l'Observatoire statistique de l'immigration et de l'intégration, qui
résume les complexes notions précédemment
évoquées, par la définition suivante :
« L'assimilation souligne l'unité de la
communauté nationale ; l'intégration, le choix et la
participation des nouveaux membres ; l'insertion, les conditions d'accueil de
l'étranger avec le maintien du particularisme d'origine
»35.
Outre les thèmes relatifs à
l'intégration, il est nécessaire de définir celui de
« deuxième génération ». La
définition de cette notion a donné lieu à de nombreuses
polémiques au sein de la recherche historique, sociologique,
anthropologique et scientifique. La première difficulté que nous
devons affronter est l'absence de distinction des différentes
catégories d'enfants de migrants dans la nomenclature officielle
française. Effectivement, contrairement aux Etats-Unis où l'on
distingue les enfants de souche américaine de ceux dont les parents sont
nés à l'étranger, il n'existe pas réellement en
France de communauté mixte « d'Italo-français ». Cette
« deuxième génération » est donc composite,
l'expression désigne indistinctement des jeunes français
d'origine italienne et des jeunes italiens qui sont scolarisés en
France. C'est seulement à la fin des années soixante-dix
qu'apparaît l'emploi courant du vocable de « deuxième
génération » 36. Par ailleurs, aucune définition
précise n'ayant été adoptée, il nous semble donc
plus prudent et plus juste d'utiliser avec parcimonie et précaution ce
terme polémique. Nous choisissons donc plutôt, lorsque cela est
possible, de préciser individuellement les trajectoires familiales de
chacun des enfants de migrants que nous évoquons. Cette attitude semble,
en effet, plus en accord avec l'éthique nécessaire à
l'historien dont le regard se porte sur le phénomène
migratoire.
35 J. COSTA-LACOUX, « Assimilation,
intégration ou insertion ? Querelles sémantiques et choix
politiques » dans J-L RICHARD, Les immigrés dans la
société française, n° 916, Rennes, septembre
2005 (p. 49).
36 Il faut cependant préciser que, lors de
la rédaction du Code Civil, promulgué le 21 mars 1804 par
Napoléon Bonaparte, la question de la nationalité des enfants de
migrants est déjà posée, y compris par le terme «
deuxième génération ».
Pour traiter de ces thèmes, ambitieux par l'abondance
des problématiques qu'ils soulèvent, nous ne pourrons bien
sûr pas prétendre à l'exhaustivité. Il s'agira, dans
notre étude, de s'interroger sur le rôle de l'Ecole dans le
maintien et l'intégration des enfants d'immigrés italiens dans la
société française.
Pour ce faire, nous procèderons à une organisation
interne comprenant trois niveaux différents de recherche.
La première partie de ce travail permet de replacer
l'enfant dans le contexte familial, ses fondations personnelles en somme (le
parcours de ses parents et sa matrice culturelle).
Le second chapitre de ce Mémoire nous amène
à étudier le contexte de l'école et, donc, l'imbrication
des relations de l'élève, de ses camarades et de ses
professeurs.
Enfin, la dernière partie de ces recherches est
consacrée au rôle de l'école dans le sentiment
d'appartenance ou non de l'élève d'origine italienne à la
nation française ou, du moins, d'observer son intégration dans
l'environnement tricolore.
CHAPITRE 1 L'ELEVE DANS SA FAMILLE.
Etudier les enfants d'origine italienne dans les écoles
de France implique, en premier lieu, que l'on s'interroge sur leur matrice
culturelle et familiale. Comme pour tous les écoliers de l'école,
le milieu familial, en général prolétaire et populaire
pour les immigrés italiens de la période 1935-1955, a une
influence non négligeable sur les réussites à
l'école (scolaires comme sociales). Quelles particularités
liées au phénomène migratoire retrouve-on au sein de la
vie familiale et qu'implique le milieu culturel dans la scolarisation des
enfants ?
Quantité d'épisodes liés au
phénomène migratoire sont dissimulés ou, du moins,
évoqués rapidement seulement, au coeur du foyer transalpin. Le
trajet migratoire, quant à lui, peut nous être raconté en
détail par tous nos témoins. Cette anecdote est d'autant plus
intéressante que, bien souvent, les enfants n'étaient pas encore
nés au moment du départ d'Italie. Pourtant,
l'évènement marque la famille de façon profonde et sur
plusieurs générations. Maria raconte ainsi, de façon
très émouvante : « Quand papa et maman sont arrivés
de Sicile, ça a été comme une deuxième naissance
pour toute la famille »37. Cette expérience migratoire,
après plusieurs mois à étudier la scolarisation des
enfants de migrants, nous est apparue comme un phénomène qui a
marqué le passage à l'école des élèves
d'origine italienne, nous montrerons ici de quelle façon. Nous nous
pencherons ensuite sur l'influence du mode de vie, globalement traditionnel,
des familles italiennes sur la scolarisation des élèves.
37 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 --
Nantes). (Maria ne souhaite pas que son nom entier soit
divulgué)
I). Les raisons de l'arrivée en France : quel
retentissement de l'expérience migratoire sur la scolarité des
enfants d'origine italienne ?
Mussolini condamne l'émigration dès 1927, il
prend des mesures restrictives pour ralentir le départ des candidats
mais il ne peut pas les empêcher totalement. Cette même politique
le conduit aussi à faire revenir les Italiens déjà partis
si bien que le nombre de retours de migrants passe de 53% entre 1921 et 1930
à 84% pour la décennie suivante38.
Du côté français, après avoir
encouragé l'arrivée d'étrangers essentiellement
européens dans le but de la reconstruction d'après-guerre, les
dirigeants politiques se concentrent désormais, ici aussi, sur un
freinage de l'immigration. En effet, en 1931, la crise économique
internationale frappe le pays et des dispositions sont alors prises pour
ralentir l'entrée des travailleurs étrangers qui ne sont plus,
désormais, les bienvenus dans l'Hexagone.
A). Le Front Populaire.
Le Front Populaire est souvent perçu comme un
intermède libéral pour les immigrés. En fait, cette
observation est loin d'être aussi évidente. Le début de
notre période est marqué par des discours xénophobes
particulièrement présents au sein du monde politique, dans les
journaux, ces débats sont donc investis aussi par la population
française en général. Après la crise
économique de 1930, les poussées xénophobes connaissent un
déclenchement particulièrement rapide et intense (comme ce fut
d'ailleurs le cas après la crise de 1880). Lorsque la France
connaît la prospérité, l'immigré est le bienvenu
pour occuper les emplois difficiles ou ingrats laissés par les
nationaux. En temps de crise, ces postes sont de nouveau revendiqués par
les Français. Ces conflits d'intérêts sont alors
propulsés sur la scène publique comme arguments politiques par
les dirigeants comme par les journalistes. Gérard Noiriel observe ainsi
la croissance importante du nombre des articles sur l'immigration dans la
presse au cours des années 1930-1939 à la lumière de
l'étude de Ralph Schor sur l'opinion française39. Le
sujet intéresse particulièrement les journaux quand le pays se
trouve dans une situation critique : lorsqu'un étranger est
impliqué dans un fait divers, comme c'est le cas en 1934, le nombre
38 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993
(p. 74).
39 R. SCHOR, L'opinion française et les
étrangers, Paris, 1985, cité par P. MILZA, Voyage en
Ritalie, Paris, 1993 (p. 125).
22 d'articles croît brusquement40. Il
convient donc de se demander si l'inflation du discours xénophobe gagne
aussi le champ scolaire, en ce qui concerne les enseignants, les
élèves et leurs parents. Ce nationalisme patent a-t-il un impact
dans les débats sur l'assimilation ? En effet, l'euphorie de la victoire
commune des deux soeurs latines en 1918 s'estompe rapidement pour laisser place
à un agacement français face à une présence
italienne jugée trop envahissante. Il est vrai que, si les Italiens
bénéficient globalement d'une image individuelle de
marque41, la vision collective de l'immigration transalpine est,
quant à elle, plutôt négative dans la première
partie de notre période.
Période de bouillonnement social et d'effervescence en
terme de luttes sociales, le Front Populaire a particulièrement
marqué les enfants dont les parents avaient fuit le fascisme pour des
raisons politiques. Ainsi, Walter Buffoni, enfant de Liguriens de
sensibilité communiste dont l'oncle Alfredo a été
assassiné par les fascistes, se rappelle de ses souvenirs d'alors :
« Les origines politiques de mes parents, méme
s'ils n'en faisaient pas état en France pour des raisons
évidentes, m'ont marquées. Les grèves de 1936 et
l'avènement du Front Populaire ont été à l'origine
de mes options politiques et syndicales, avec des responsabilités
syndicales très importantes, y compris nationalement
»42.
Par ailleurs, un autre évènement contribue alors
à mettre « de l'huile sur le feu » dans les relations
franco-italiennes. Depuis octobre 1935, les armées mussoliniennes
mènent une guerre en Ethiopie43 qui marque le retrait de
l'Italie de la Société des Nations et, par la même, son
rapprochement avec l'Allemagne nazie. Ce conflit est souvent synonyme de
rupture des bonnes relations tant entre adultes que pour les plus jeunes.
Ainsi, en 1992, Enzo Brun confie à Marie-Claude Blanc-Chaléard
:
« On avait à l'école des amis d'origine
française, ça se passait bien... ça se passait bien
jusqu'en 35-36, quand il y a eu la guerre d'Ethiopie, là, alors, il y a
eu une vague de xénophobie dont je me souviens très bien. J'avais
des amis, ils parlaient des « sales Italiens » et ils disaient «
pas toi, pas toi », mais je le prenais pour moi »44.
40 G. NOIRIEL, Atlas de l'immigration en
France, Paris, 2002 (p. 24, 25).
41 La note générale sur leur
capacité d'intégration en 1926 est de 7,3 %, les plaçant
ainsi en troisième position.
G. NOIRIEL, Atlas de l'immigration en France, Paris,
2002 (p. 25).
42 Walter Buffoni, fondateur de l'association
nazairienne France-Italia, est adhérent politique en 1944 et syndical en
1945, il est aujourd'hui retraité mais toujours militant.
Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010 et rencontre à
Méan-Penhoët le vendredi 30 avril 2010.
43 La Seconde guerre d'Éthiopie ou campagne
d'Abyssinie oppose l'Italie fasciste de Benito Mussolini à l'Empire
d'Éthiopie d'Hailé Sélassié entre octobre 1935 et
mai 1936.
44 Témoignage de Enzo BRUN (3/12/1992), dans
M-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire
d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 481).
Politiquement en revanche, pour ce qui est des droits des
étrangers sur le sol de l'Hexagone, le Front Populaire représente
bien un intermède libéral, plus cependant par
l'interprétation de textes précédemment votés et
par la façon de les mettre en oeuvre que par l'adoption d'une
législation nouvelle45. C'est en 1936, que désormais,
les enfants étrangers résidents en France sont, eux aussi, soumis
aux lois républicaines sur l'obligation scolaire46. Le Front
Populaire met fin au laxisme qui entourait jusque là
l'absentéisme des écoliers. L'obligation scolaire est
portée de 13 à 14 ans, à l'initiative de Jean Zay, alors
ministre de l'Education Nationale au sein du gouvernement. Concrètement,
cette mesure aménage des classes de fin d'études, elle permet
l'ouverture de centres d'apprentissage. Ainsi l'Ecole garde plus longtemps
aussi les élèves destinés au travail manuel. Une autre des
mesures phares du Front Populaire en matière d'éducation est
souvent évoquée par nos témoins. En effet, en 1937, les
« classes promenades » sont instaurées : l'objectif de ce
projet est de se servir de l'environnement comme d'un support
pédagogique. Jean Burini se rappelle d'ailleurs de ses sorties avec son
instituteur, après la guerre :
« Un samedi, on allait à la piscine, un samedi, on
allait faire un tour à vélo ... ou les jeudis... On allait au
bois, il nous apprenait les arbres, il était vraiment génial
».
Les sorties étaient, parfois, plus lointaines et sur une
plus longue période, Jean explique ainsi :
« Avec le centre d'apprentissage, l'été, on
allait en montagne [...] ça permettait de faire de l'escalade, on a fait
la traversée d'Annecy à la nage, je suis arrivé le
vingthuitième ! »47.
45 Précisons ici que la polémique
porte sur la période du Front Populaire, certains mettent en avant les
quelques avancées de la coalition des partis de gauche au niveau du
traitement des immigrés alors que d'autres déplorent le fait
qu'aucune loi majeure ne fut votée à cette période, Pierre
Milza par exemple. En fait, le Front Populaire constitue une avancée
dans le traitement des immigrés et leur intégration, mais il
déçoit certains dont les attentes sont plus importantes que les
réformes réellement appliquées.
46 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs,
Paris, 2004 (p. 251).
47 - Entretien avec Jean BURINI (jeudi 14 janvier 2010
-- Vigneux).
- Voir aussi la rédaction de Gérard COLOMBO en
annexe n° 8.
(« Joyeux écoliers », journal mensuel de la
classe de Jean Romac, école de garçons Poincaré de
Villerupt, janvier-février 1954).
Figure n° 1 : Sortie scolaire
au Luxembourg48 (École Poincaré, Villerupt,
début des années cinquante)
Figure n° 2 : Le spectacle de
l'école, les activités
artistiques49 (École Poincaré, Villerupt,
début des années cinquante)
48 Collection privée de Jean BURINI.
49 Ibid.
Le contexte social, quant à lui, s'il est favorable aux
classes les plus en difficulté et aux ouvriers de la vague d'immigration
d'avant 1914, ne semble pas bénéfique aux parents de nos
témoins. La France connaît alors une période longue de
chômage. Dès lors, on remarque une vague de xénophobie qui
ne sera pas, soulignons le, le monopole de l'ultra droite nationaliste, ainsi,
le socialiste Fernand Laurent s'exclame à la Chambre : « Paradoxe
irritant en France, à l'heure actuelle : 500 000 chômeurs et deux
millions d'ouvriers étrangers » 50 . Quel retentissement a pu avoir
cette absence de travail disponible pour les immigrés sur la
scolarité de leurs enfants ? Plusieurs conséquences
découlent de cette situation de crise. Tout d'abord, les immigrés
sont contraints de se déplacer davantage sur le territoire
français pour trouver un emploi ce qui implique des changements
d'école fréquents pour leurs enfants. Par ailleurs, certains
d'entre eux doivent rentrer en Italie, ils reviendront parfois après la
Seconde Guerre mondiale. Outre les changements imputables aux
déplacements familiaux, les échos de ce pic de chômage se
font aussi sentir dans les rapports avec les camarades de classe. C'est surtout
les élèves d'origine italienne dont les parents travaillent qui
subissent les injures de leurs homologues français :
« Le chômage était très important,
nos parents, pour l'essentiel des Italiens, travaillaient et ce n'était
pas sans amener des remarques désobligeantes. Egalement pour des raisons
dues au fascisme en Italie, ça retombait sur nous, cela m'a amené
à me battre quelques fois »51.
L'élève français répète ce
qu'il entend à la maison et a parfois tendance à stigmatiser son
camarade d'Outremont comme « l'indésirable » de
l'école. Citons ainsi WM, qui se souvient de ses difficultés lors
du pic de chômage. Il a alors douze ans et a déjà
changé quatre fois d'école, ses parents, son petit frère
et lui-même déménageant au rythme des emplois
précaires de son père.
« En 1936, plus de travail ! C'était le
début du Front Populaire en France, des difficultés pour tout le
monde pour avoir du travail. En particulier pour les étrangers. Les
étrangers majeurs à l'époque c'était les Italiens.
[...] Et là, j'ai commencé à sentir qu'il y avait des
agressions »52.
50 E. CAPORALI, « Le Peuple », 27 novembre
1984
Dans l'ouvrage de R. SCHOR, L'opinion française et les
étrangers, Paris, 1985 (p 908).
51 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
(Ce témoin a demandé à ce que seules ses
initiales soient divulguées)
52 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte
Marguerite).
Effectivement, le taux de chômeurs en France est alors
proche des 10 % en agrégeant chômage recensé et
chômage partiel53. A ces difficultés
d'intégration liées au non-emploi, s'ajoutent bientôt les
prémices de la guerre.
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