I). Introduction générale
« Vous m'avez décollé les yeux et
décrassé le dedans de la tête »
Cette phrase, tirée de l'autobiographie de
François Cavanna1 et destinée à ses
instituteurs, m'a marquée dès la première lecture des
Ritals. Au cours de ma dernière année de Licence, j'ai
lu l'ouvrage de Pierre Milza, Voyage en Ritalie2 qui m'a,
lui aussi, passionnée et donné l'envie d'étudier
l'immigration italienne en France. L'aspect, à la fois, politique et
humain de ce travail a renforcé mon intérêt pour ce sujet.
La réponse positive de M. Michel Catala m'a permis d'entamer mes
recherches avec, pour sujet de départ du Dossier d'Initiation à
la Recherche, l'immigration italienne entre les deux guerres. J'ai ensuite
décidé de partir à Florence dans le cadre du programme de
mobilité Erasmus au cours de ma première année de
recherches, j'ai ainsi pu bénéficier de fonds d'archives
différents de ceux que j'ai ensuite consulté en France.
M'immerger dans la vie quotidienne en Italie m'a par ailleurs permis
d'approcher de plus près le mode de vie de ses habitants et de mesurer,
par exemple, les clivages sociaux qui existent dans la Péninsule ou
encore l'impact de la religion sur les comportements individuels et collectifs
des Transalpins. Cette année passée à étudier
à l'université de Florence m'a aussi permis d'apprendre à
parler l'italien, ce qui est sans nul doute un atout pour aborder mon sujet,
certains témoignages étant rédigés dans la langue
maternelle des intervenants (particulièrement lorsque la scolarisation
des enfants n'a pas entraîné une sédentarisation
définitive en France, ou lorsque l'historien auquel est livré le
témoignage est lui-même Italien). De même, pouvoir lire des
historiens italiens me semble un apport bibliographique non négligeable
au traitement de ce sujet puisque nous parlerons ici des Italiens de France,
nous posant ainsi la question de leur scolarisation et de son implication. Les
enfants d'immigrés italiens fuyant Mussolini ont ainsi pu être
bien accueillis par des instituteurs républicains partageant des
opinions politiques parfois proches de celles de leurs parents, nombreux sont
les témoignages et les autobiographies regorgeant de souvenirs
1 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p.
38-39).
2 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris,
1993.
gratifiants des écoliers se disant remarquablement bien
intégrés au sein de l'Ecole Républicaine. Cependant,
d'autres entretiens, entre les historiens et les enfants d'origine italienne,
mettent en avant la sensation d'exclusion et d'humiliation ressentie par ces
derniers sur les bancs des classes de l'Hexagone. Cette variété
de témoignages, parfois contradictoires, nous engage à nous
interroger sur le comportement des enfants d'immigrés italiens dans les
écoles françaises et sur la façon dont ils sont accueillis
par les enseignants.
. Les travaux antérieurs et les sources
utilisées
A l'instar de Gérard Noiriel nous pouvons parler, en ce
qui concerne l'Ecole et les étrangers d'un « non-lieu de
mémoire »3. Dominique Schnapper explique ainsi, dans
La France de l'intégration, que les sociologues comme les
historiens « sensibles avant tout à la problématique des
classes sociales [...] ne se sont pas interrogés sur le rôle de
l'enseignement pour constituer et maintenir la collectivité nationale
»4. Cependant, s'il reste des études à mener, de
nombreux travaux ont tout de même été
réalisés. Citons ainsi les recherches d'Antoine Prost sur les
institutions scolaires et l'histoire sociale de l'Ecole5. Par
ailleurs, concernant les contenus des cours dispensés aux
élèves intéressant notre sujet, il nous faut souligner que
Mona et Jacques Ozouf6 ou encore Christian Amalvi7 ont
écrit des ouvrages très complets. Cependant, Olivier
Loubes8 met en lumière le manque de travaux concernant
l'Ecole française en tant que modèle assimilateur. Ces aspects
sont tout de même évoqués, bien qu'assez rapidement, dans
certains ouvrages répertoriés dans la bibliographie. Citons ainsi
Le Creuset français de Gérard Noiriel9,
L'opinion française et les étrangers de Ralph
Schor10, Voyage en Ritalie de Pierre Milza11,
ainsi que la thèse12 et les articles écrits
par Marie-Claude Blanc-Chaléard. Sur l'immigration italienne
3 G. NOIRIEL, Le creuset français,
Paris, 1988.
4 D. SCHNAPPER, La France de
l'intégration, Paris, 1991 (p. 212).
5 A. PROST :
- L'enseignement en France (1800-1967), Paris, 1968.
- Autour du Front Populaire. Aspects du mouvement social au
XXème siècle, Paris, 2006.
6 M. et J. OZOUF, La République des
instituteurs, Paris, 2001.
7 C. AMALVI, Les lieux de l'histoire, Paris,
2005.
8 O. LOUBES, « L'école et ces
étrangers : assimilation et exclusion » dans P. MILZA et D.
PESCHANSKI, Exils et migration, Italiens et Espagnols en France
(1938-1946), Paris, 1994.
9 G. NOIRIEL, Le creuset français,
Paris, 1988.
10 R. SCHOR, L'opinion française et les
étrangers, Paris, 1985.
11 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris,
1993.
12 M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000.
en France, la recherche a été si vaste qu'il semble
ici inutile de se préter à une fastidieuse liste de l'ensemble
des ouvrages sur le sujet.
Cependant, il n'existe pas à ce jour de travail faisant
un bilan des différences d'accueil au sein des institutions scolaires
des écoliers d'origine italienne sur tout le territoire français.
Nous nous proposons ici de commencer ces recherches. Précisons que, la
somme d'investigations sur tout le territoire français étant bien
trop lourde, nous recourrons en conséquence à des exemples
géographiquement variés afin de remarquer les éventuelles
différences au sein du territoire français. Face à la plus
vaste immigration que la France ait connue, les recherches livrées dans
ce Mémoire ne se veulent ni ne peuvent donc en aucun cas
prétendre à l'exhaustivité. Il est entendu que nous ne
faisons pas ici état de la situation de chacun des enfants italiens de
1935 à 1955 : il s'agit de se référer à quelques
cas et d'essayer de les situer grace aux études
précédemment menées par les historiens et sociologues. Nos
témoins sont-ils « originaux » ? Leurs cas reflètentils
une réalité retrouvée fréquemment dans la situation
de la plupart des enfants d'immigrés ? Pour des questions pratiques
liées à l'Université dans laquelle cette étude est
menée, notre regard s'est principalement porté sur les archives
concernant le phénomène migratoire italien dans l'Ouest de la
France. En effet, on retrouve dans les témoignages recueillis pour ce
Mémoire de nombreux Nantais, pourcentage qui ne représente en
aucune façon la proportion des Italiens de France installés dans
l'Ouest. Des exemples parisiens, lorrains ou encore marseillais ont cependant
constitué une source importante puisqu'ils nous ont permis d'avancer des
objets de comparaison des situations des différents enfants de migrants
implantés dans des villes ou dans des zones plus rurales, territoires
aux histoires migratoires très différentes.
Notre recherche est particulièrement sujette à
polémique dans cette période où les pouvoirs politiques
s'emparent des débats sur l'immigration à l'Ecole. L'utilisation
des témoignages est, non seulement utile mais aussi nécessaire
à une recherche sérieuse sur le sujet, elle nous permet de passer
ainsi, de l'horizon d'un seul à l'horizon de tous. Avec
l'émergence et l'affirmation de l'Ecole des Annales à partir des
années trente, l'Histoire s'inscrit désormais dans la longue
durée et, pour cela, bénéficie de l'apport des autres
sciences humaines et sociales. En ce qui concerne notre sujet, la sociologie
sera un des chaînons nécessaires à la bonne
compréhension de la mentalité des enfants d'immigrés dans
les écoles, les approches psychologiques de l'intégration des
élèves13, des rapports aux idiomes14, ou
encore des conflits
13 F. STORTONI, Clinique contemporaine des
Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis
Français... mais mon père était italien... »,
Thèse de doctorat (Psychologie clinique et pathologie) sous la
direction des professeurs T. NATHAN et R. CHATTAH, Paris et Bologne, 2007.
14 J-C. VEGLIANTE, « le problème de la
langue : la « Lingua Spacà » », CEDEI, acte du colloque
franco-italien sur « L'immigration italienne en France dans les
années 20 », Paris 15 au 17 octobre 1987.
intergénérationnels alimentés par le
phénomène migratoire, seront, elles aussi, utilisées.
L'immigration et l'Ecole n'échappent pas à cette relecture par le
« temps long ». Nous prenons alors en compte, comme facteurs
explicatifs, les précédentes réformes menées par
les ministères en charge de l'éducation - en ce qui concerne
l'Ecole - et les phases anciennes de mouvements de population - pour ce qui
concerne le phénomène migratoire. Les historiens et les
sociologues qui étudient cette période s'intéressent aux
témoignages des enfants de migrants car ils leur permettent de dresser
un tableau de l'histoire des mentalités. En tout, une soixantaine de
témoignages sont utilisés dans notre étude. Ils
relèvent de différentes sources : certains sont le
résultat d'entretiens directs, d'autres sont constitués par des
réponses de témoins à un questionnaire
précédemment envoyé. Certains témoignages, encore,
sont extraits d'ouvrages historiques et sociologiques, plus rarement nous avons
pu aussi recourir à l'utilisation d'autobiographies15. Cette
méthode biographique est utilisée dans un objectif de
reconstruction d'histoires individuelles, elles sont ensuite
réinsérées dans leurs contextes micro et méso
sociaux (c'est-à-dire, à l'échelle des organisations et
des systèmes d'action). Ces histoires de cas doivent être
étudiées avec un regard attentif sur les contextes locaux de la
société française (dans cette étude, c'est
l'école qui est choisie comme structure d'accueil aux immigrés).
Cette technique nous permet de comprendre comment le contexte scolaire
fonctionne à l'égard des immigrés italiens et de leurs
enfants. On offre ainsi au lecteur un panel d'exemples relativement
variés (hommes et femmes, provenance, histoires migratoires,
résultats scolaires, villes de scolarisation, etc.). Ainsi, si les
témoignages recueillis directement sont essentiellement ceux de
personnes ayant été scolarisées dans l'Ouest (Nantes,
Saint-Nazaire, Saumur...), on a veillé à les étudier de
façon couplée avec les histoires d'autres témoins issus de
différentes villes françaises. Nous ne pouvons cependant que
déplorer la rareté bibliographique actuelle en matière
d'études régionales sur les Italiens à l'Ecole. Sur les
deux années de travail préalable à ce Mémoire, un
an a été consacré à la recherche sur le sol
italien, la connaissance des conditions d'accueil en France a donc pu en
pâtir quelque peu. Effectivement, c'est seulement à la fin de
cette dernière année que nous avons pu être certains qu'il
était effectivement possible de traiter du même thème sur
un espace restreint (la rue de Trignac à Saint-Nazaire aurait ainsi pu
être un passionnant sujet d'étude). Rencontrer des groupes
communautaires, joindre des milieux spécifiquement italiens est une
entreprise de longue haleine et nous avons, malheureusement, souvent pu
déplorer n'avoir pu entrer en contact que trop tard au cours de
l'année avec des familles concernées par ces thèmes de
recherche.
Les autres sources, utilisées ici dans une moindre
mesure mais fort utiles néanmoins, sont issues des écoles. Nous
avons ainsi pu consulter des reconstitutions de listes d'écoliers et de
professeurs, l'impression d'un journal réalisé par des
élèves ou encore des photographies témoignant de la vie de
la classe, de l'école, parfois aussi des images nous ont
été données, illustrant les sorties scolaires
organisées par les instituteurs. Il n'a pas été possible
de trouver ces documents pour les écoles nantaises de nos
témoins, soit parce qu'elles ne les avaient pas conservés (c'est
le cas le plus courant), soit parce que les portes des établissements
nous sont restées fermées. Par ailleurs, outre une
comptabilisation des enfants n'ayant pas la nationalité
française, et de ceux ayant un patronyme italien, ces listes de
matricule des établissements scolaires n'apportent en définitive
que de maigres informations qui n'offrent pas d'indices sur l'expérience
vécue à l'école par nos témoins. Pour les listes
d'effectifs qui ont été consultées, elles n'apportent, en
tous cas, aucune indication sur le contenu quotidien de l'enseignement. Aucune
des écoles de la région nantaise évoquées dans
cette étude n'a conservé les bulletins scolaires (quand nous les
avons en notre possession, c'est qu'il nous ont été donnés
par les témoins). Les établissements étudiés
à Paris par Marie-Claude Blanc-Chaléard offrent, quant à
eux, des informations un peu plus riches (sur le comportement et le niveau des
élèves en particulier)16.
? Les bornes chronologiques de l'étude
Nous ne pouvons aborder ce sujet sur l'accueil des enfants
d'immigrés par les enseignants, sans exposer un bilan historique de
l'immigration italienne ni même sans faire la nécessaire
description de ce qu'est l'Institution scolaire française entre 1935 et
1955. Il nous faut, par ailleurs, nous livrer à une nécessaire
étape d'identification afin de savoir qui sont les migrants dont nous
parlerons, leurs lieux de provenance et les raisons qui poussent leurs parents
à quitter la terre mère, empruntant les navires de la
Méditerranée, traversant les Alpes, pour venir travailler avec
leur famille dans l'Hexagone.
Pour traiter notre sujet, la période de
l'Entre-Deux-guerres s'était d'abord imposée comme un moment
intéressant puisque très riche quant au nombre d'enfants de
migrants italiens présents dans les écoles de France
(phénomène lié à la fois à l'importance de
l'immigration et à la politique de regroupement familial). En fait, les
sources vivantes étant, bien sûr, plus rares
pour cette période, il semblait logique de décaler
le sujet aux années 1935-1955. Nous nous penchons donc là sur une
vingtaine d'années, ce qui équivaut à une
génération d'écoliers.
La période qui s'étend du milieu des
années trente au milieu des années cinquante est synonyme d'une
grande variété quant aux situations des migrants, d'une multitude
de lois relatives à l'émigration comme à l'immigration. En
effet, nos témoins bénéficient, inégalement
néanmoins, des réformes sociales du Front Populaire, ils
subissent le passage d'une guerre avec la xénophobie anti-italienne
qu'elle a parfois pu susciter, ils vivent les politiques du régime de
Vichy qui portera une attention toute particulière à l'Ecole. Ils
voient ensuite l'arrivée massive et organisée de centaines de
travailleurs appelés à reconstruire la France
d'après-guerre. Les années soixante marquent le déclin de
ces flux migratoires italiens, faisant de cette immigration un sujet
d'étude « fermé ».
Il semble ici nécessaire de faire un rapide bilan de
l'émigration de l'Italie vers la France durant la
génération qui précède celle à laquelle nous
nous intéressons ici. L'immigration italienne de masse commence vraiment
à partir de 1860. L'Italie, récemment unifiée, est alors
le premier fournisseur de la main-d'oeuvre étrangère de
l'Hexagone. Le dernier recensement avant la Grande Guerre fait état de
420 000 Italiens sur le territoire français en 1911 (les Transalpins
représentent alors 36% des immigrés de l'Hexagone et 1% de la
population française). A la veille de la Première Guerre
mondiale, la masse des migrants est rassemblée à l'est d'une
ligne imaginaire qui relierait les villes du Havre et de Montpellier, les
principales régions d'accueil étant alors les Alpes, le littoral
méditerranéen (un résident marseillais sur cinq est alors
Italien, un sur quatre à Nice), les régions lyonnaise et
parisienne et le bassin de la Lorraine sidérurgique. Le mouvement
migratoire, en effet, est développé par capillarité
à partir des zones frontalières, le long des lignes ferroviaires
(dont la construction a d'ailleurs mobilisé nombre de migrants
d'Outremont), puis par l'attraction des grands pôles d'emploi,
principalement de façon concentrique autour des métropoles.
Le 2 avril 1917, un décret institue pour la
première fois une carte de séjour pour les étrangers de
plus de 15 ans résidant en France, autrement dit, on prend
désormais en compte les jeunes mineurs d'origine
étrangère. Cependant, les enfants restent encore, pour leur part,
encore transparents aux yeux de l'administration française. Il est vrai
que les enfants italiens étaient alors relativement peu nombreux,
l'immigré type étant encore un homme jeune et célibataire.
Il est fréquent, par ailleurs, que l'on retrouve des groupes
communautaires originaires de la même région, voire du même
village d'Outremont, et ce sur une même zone de peuplement
français. L'explication de ce regroupement allogène est simple :
le recrutement est massif pour une activité bien
déterminée, souvent déjà pratiquée dans la
région d'origine des immigrés (beaucoup
sont des spécialistes de leur domaine,
caractéristique que l'on retrouve d'ailleurs pour la période qui
nous intéresse). En outre, il est plus « aisé »
d'immigrer en sachant que l'on retrouvera dans la zone d'accueil des
repères de la vie d'avant, de « l'époque italienne ».
Les Italiens arrivés avant la Seconde Guerre mondiale viennent alors
surtout des régions du Nord-est (Vénétie, Trentin, Frioul)
et du Centre-Nord (principalement d'Emilie-Romagne) 17 de la
Péninsule italienne.
La population italienne fixée en France avant la
Première Guerre mondiale est déjà amplement
intégrée et fortement sédentarisée dans les
années 1935-1955. A cette première vague s'ajoute un nombre
conséquent de migrants arrivés après la signature du
Traité de Versailles, recrutés pour la reconstruction de la
France dévastée. Les travailleurs itinérants (journaliers
agricoles, manoeuvres) se font moins nombreux qu'autrefois, et pour cause : la
mécanisation réduit le nombre de postes disponibles dans ces
domaines désormais désertés. La famille italienne rejoint
souvent le père, premier du foyer à partir chercher du travail de
l'autre côté de la frontière des Alpes. Cependant, les
années vingt connaissent un léger regain du nomadisme,
particulièrement pour les jeunes hommes dans une situation de
clandestinité au moment de leur émigration puisque leur
départ est provoqué par des raisons politiques liées
à l'implantation du fascisme dans la Péninsule. Cette
mobilité aura, globalement, plutôt tendance à compliquer
les rapports avec les Français18. « L'immigré
type » est alors un travailleur sans qualification, issu le plus souvent
d'un milieu rural. Ils occuperont en France des postes dans les métiers
du bâtiment, seront sidérurgistes, mineurs, ils travailleront dans
les usines ou dans les industries de l'Hexagone. Les moins chanceux seront
manoeuvres sur les chantiers, dans les ports, les salines, les entreprises de
service boudées par les Français, comme les égouts
parisiens par exemple. Nombreux sont aussi les Italiens employés dans
l'hôtellerie, comme vendeurs de glaces ou dans les restaurants. Quant aux
femmes de l'époque, elles émigrent rarement seules : la
période où les Italiennes partaient pour être nourrices
dans l'Hexagone est en passe d'être révolue. Lorsqu'elles trouvent
du travail, elles obtiennent, en général, des emplois de bonnes,
d'ouvrières dans les domaines du textile ou de l'agro-alimentaire.
L'ascension sociale de quelques-uns de ces migrants d'Outremont permet
l'ouverture de restaurants italiens et d'entreprises de maçonneries. Ces
nouvelles entreprises entraînent l'arrivée de nouveaux membres de
la famille, si toutefois l'affaire s'agrandit.
17 Voir la carte des régions italiennes
disponible en document annexe n° 6.
18 L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la
France. Histoire de l'immigration en France au XXème
siècle, Paris, 1998 (p. 47).
Les Transalpins bénéficient par ailleurs d'un
autre facteur bénéfique à l'emploi : la France est alors
dans une période où sa population n'assure plus son
renouvellement. Le baby-boom de l'immédiate après-guerre ne
suffit pas à enrayer un criant manque de main d'oeuvre puisque,
dès 1922, le taux de natalité retombe à son niveau de
l'avant-guerre. Le Premier Conflit mondial a entraîné un reflux
important des Italiens résidant dans l'Hexagone : dès le
début de la guerre, nous constatons de nombreux retours en Italie
d'immigrés en age de se battre, le nombre des départs ralentit,
même si, les flux partant de la péninsule restent
conséquents19. A la fin de la guerre, l'immigration reprend
et s'amplifie : pour les dirigeants français, il est nécessaire
de combler la baisse de la population active, laquelle est, de plus,
intensifiée par l'exode rural, les exigences grandissantes de la
main-d'oeuvre nationale et les lois de limitation de la durée des
journées de labeur. En somme, la France, saignée à blanc
par l'hécatombe, a besoin d'ouvriers et de maçons, d'une
main-d'oeuvre non qualifiée préte à accepter des emplois
difficiles et mal payés. Le climat de terreur qui règne dans la
Péninsule, avant et après la prise du pouvoir par les fascistes,
contribue lui aussi aux départs. Le solde migratoire entre la France et
sa soeur latine est alors très favorable à l'Hexagone
20 . En 1920-1921, l'Italie connaît une première crise
économique, celle de l'après-guerre, le pays souffre
désormais d'un important taux de chômage auquel les vagues de
retours des soldats n'arrangent rien21. Avant 1931, la France n'est
pas touchée de plein fouet et la crise est encore globalement
cantonnée aux Etats-Unis. La dépression de l'après-guerre
entraîne le chômage de six millions et demi de travailleurs
américains, la frontière des Etats-Unis devient donc
imperméable aux éventuels migrants tout comme celles du Canada,
de l'Allemagne, de la Suisse et des Etats qui ont succédé
à l'empire austro-hongrois entre 1919 et 1924. Ainsi, l'immigration des
voisins transalpins se concentre dorénavant tout particulièrement
vers la France. Côté italien, Mussolini condamne d'ailleurs
l'émigration en 1927, pour autant il ne réussit pas à
l'empêcher. Dans l'Hexagone, on essaye de ralentir les arrivées en
imposant des quotas : les étrangers ne semblent plus les bienvenus.
C'est dans ce climat peu engageant que commence notre étude de la
scolarisation des enfants d'origine italienne en France.
Si l'immigration en provenance d'Outremont vers la France est
aujourd'hui nulle, en revanche, la péninsule italienne est aujourd'hui
désormais elle-méme terre d'accueil et c'est bien là ce
qui fait l'originalité de la position italienne dans les études
migratoires.
19 2,6 millions de départs pour l'ensemble des
pays d'accueil pour la période 1911-1914, un peu plus de 360 000 au
cours des années 1915-1919.
20 L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la
France. Histoire de l'immigration en France au XXème
siècle, Paris, 1998 (p. 45).
21 Voir la chronologie en document annexe n°
1.
Carte n°1 : Répartition
de la population italienne dans les départements français en
193122.
. La scolarisation en France :
Après avoir étudié le contexte
général de l'immigration italienne, il nous faut maintenant nous
pencher sur la scolarisation durant la période 1935-1955. Lorsque les
Français se questionnent sur leur identité, l'institution
scolaire est toujours au premier rang de leurs interrogations. L'Ecole
républicaine s'affirmant alors comme la fabrique du citoyen et du
soldat, son rôle dans la société se veut primordial.
Quand nous parlons d'Ecole, d'institutions scolaires, nous
comprenons à la fois les établissements du primaire et ceux du
secondaire, l'intégralité de la scolarisation en somme. La crise
économique des années trente rend plus difficile les
possibilités d'entrée en apprentissage et dans la vie active. En
revanche, le prolongement de la scolarité, une réalité
dès les années vingt, est favorisé, dans les années
trente, par les nouvelles possibilités offertes par l'École
(notamment lorsque Jean Zay est nommé ministre de l'Education Nationale
sous le gouvernement Léon Blum23). Nombreuses alors sont les
ouvertures de classes secondaires dans les écoles autrefois en mal
d'élèves prolongeant leur scolarité. L'enseignement
secondaire classique cesse d'être payant et les collèges
techniques s'implantent sur tout le territoire français, aussi bien en
ville qu'à la campagne. L'Ecole doit désormais « produire
» de la promotion sociale24. En effet, la volonté
d'utiliser les chances offertes par l'Ecole afin de trouver un métier,
et, éventuellement, de réaliser l'ascension sociale
espérée par les parents s'accroît alors, les familles
immigrées n'échappant pas à la règle.
Jusqu'en 1930, la gratuité est réservée
à l'enseignement primaire, elle est ensuite étendue aux
sixièmes. En 1933, ce sont tous les établissements du secondaire
qui bénéficient de la gratuité scolaire. Ces
réformes sont le fruit de la mise en oeuvre de l'élitisme
scolaire. A cette idéologie, prônant la réussite à
l'école, s'ajoute une réalité concrète : le but de
ces réformes est en fait de compenser la chute des effectifs du
secondaire liée à l'arrivée en sixième des classes
creuses nées pendant la guerre25. Nous retrouvons par
ailleurs, à cette période, l'idée d'un enseignement
modèle, d'un discours éducatif idéal devant être
tenu par les instituteurs à leurs jeunes disciples. Or, nombreux sont
les témoignages et les autobiographies, où les enfants de
23 Voir, en document annexe n° 5, la liste des
ministres de l'Instruction.
24 Lire à ce sujet l'article de Marie-Claude
Blanc-Chaléard.
M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens à l'école
primaire française : l'exemple parisien, « La Trace »
n° 5, Paris, Octobre 1991 (p. 6).
25 M-O MERGNAC, C. GAROSCIO-BRANCQ et D. VILRET,
Les écoliers d'hier et leurs instituteurs, Paris, 2008 (p. 44,
45).
migrants Italiens (on compte aujourd'hui trois millions et
demi de Français d'origine italienne dans l'Hexagone26)
révèlent qu'ils se sont sentis parfois exclus ou moqués au
sein de l'Institution scolaire.
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