B). La violence à l'école : un facteur de
repli sur l'univers familial italien ?
Si nous pouvons souligner que l'origine
étrangère des élèves n'est jamais rapportée,
dans les témoignages recueillis pour ce travail, comme la cause directe
de la violence physique dont ont parfois fait usage certains enseignants, en
revanche, l'agressivité xénophobe verbale est assez souvent
présente dans les souvenirs des témoins. L'atmosphère
n'est pas toujours baignée de tendresse réciproque entre les
différentes communautés, loin s'en faut. François Cavanna
se rappelle de la violence physique exercée par son maître
d'école mais ne la met pas en corrélation avec sa situation
d'enfant issu d'un parent étranger :
403 Albert BALDUCCI, interviewé par P. MILZA, Op. Cit.
(p. 329).
404 F. GREZES-RUEFF et J. LEDUC, Histoire des
élèves en France, de l'Ancien Régime à nos
jours, Paris, 2007. (Introduction).
405 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 37).
« Le père Cluzot faisait venir
Chendérovitch au tableau et il lui cinglait les mollets avec sa
règle, c'était son vice [...] il tapait jusqu'à ce que les
mollets soient tout noirs, et après il mettait Chendérovitch au
piquet. A moi aussi, il me l'a fait le coup des mollets, et maman m'a
demandé où que tu as eu ça, et moi j'osais pas lui dire,
parce que j'avais bavardé en classe, et à la fin je lui ai dit,
et elle a foncé chez le dirlo, le père Garnier, et Cluzot a
dû se faire salement engueuler, en tout cas il a plus recommencé
» 406.
La brutalité de son professeur ne semble ici n'avoir
aucun rapport avec les problématiques liées à la migration
italienne. En revanche, nombreux sont les propos véhéments qui
auraient été tenus par les instituteurs à l'encontre des
jeunes écoliers d'origine étrangère. Il arrive aussi que
la « technique » utilisée pour pousser l'élève
à plus de travail soit assez violente pour marquer nos témoins
pas moins de soixante années après les évènements,
ainsi WM nous raconte cet épisode qui s'est produit dans son
école élémentaire d'Agen :
« J'ai encore changé d'école, pour la
quatrième fois. Là je ne suis pas bien tombé,
l'instituteur [...] était dur ! Si on ne savait pas répondre, il
vous prenait par là et il vous décollait du sol. Il ne tapait pas
mais il prenait par les joues, je n'étais pas trop à l'aise,
j'étais froussard un peu... Je l'ai eu deux ans et demi. Il ne
m'agressait pas, il me tirait les oreilles, les favoris, à moi mais aux
autres aussi. »407.
Autre effet de l'incompréhension linguistique, les
échecs scolaires sont légions au sein de la population d'origine
italienne, du moins dans les premières années de la scolarisation
en France de nos témoins. Dès lors, pour ceux, relativement
nombreux, dont l'école a été synonyme d'angoisses
portées par leurs déboires scolaires ou par l'appréhension
liée à la récurrence de la violence qui a pu exister entre
les murs des établissements, le foyer familial peut sembler un refuge.
Il n'y a, dès lors, qu'un pas à « choisir » d'investir
dans l'univers italien du foyer plutôt que dans le monde français
de l'institution républicaine, pas toujours chaleureux.
Par ailleurs, la récurrence de la brutalité est
aussi parfois provoquée par l'élève étranger
lui-méme, cette réaction est souvent le reflet de grandes
difficultés à s'exprimer par la parole. Il n'est donc pas rare
que la réponse à l'humiliation soit incarnée par la
violence, y compris contre l'enseignant. Ainsi, Madame Biasin, évoque la
scolarité de ses beaux-frères :
406 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 37)
407 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
138 « Beppi était dur. Il se battait avec le
maître. On l'a renvoyé. Quand son petit frère Marcel lui a
succédé, il a commencé à répondre. Alors le
maître a dit : « t'es une tête de lard comme ton frère
». Il l'a tapé, il est rentré tout bleu à la maison
»408.
Malgré le blanc-seing donné, presque
systématiquement, par les parents aux professeurs de leurs rejetons, la
maison est souvent vue comme le lieu du refuge rassurant comparée
à l'école, parfois chargée d'angoisses et de jugements
négatifs : en quoi ce cocon de l'univers familial italien est-il
différent du refuge que représente le foyer français ?
Quelques traits distinguent les peuples des deux soeurs latines : globalement,
les Transalpins conçoivent d'une manière différente de
celle des autochtones, l'autorité du patriarche, la place de la femme,
de la mère. En somme, les dissemblances culturelles qui se
détachent sont beaucoup d'ordre familial, même si c'est souvent
les différences culinaires qui sont d'abord mises en avant par les
camarades d'école de nos témoins. Si il est indéniable
qu'il existe, dans les foyers italiens comme dans les familles
françaises, une certaine subordination féminine dans la
sphère familiale, on note une différence entre les deux milieux.
En effet ce caractère de « soumission » de la mère est
renforcé chez les migrants par le fait que la femme est rarement
à l'origine du choix d'émigrer. Par ailleurs, cette subordination
est accentuée par l'hégémonie catholique encore
ancrée dans la mentalité italienne. Cependant, en ce qui concerne
le rôle de la femme italienne, et, pour ce qui intéresse notre
étude, celui de la mère, on sait que leur dimension culturelle et
sociale est majeure, particulièrement en ce qui concerne la transmission
intergénérationnelle. En outre, l'organisation quotidienne lui
revient (la tenue des enfants, la gestion financière et la
préparation des repas)409.
Violence de l'enfant, violence de l'adulte, ces
témoignages ne sont pas rares. Certains migrants expliquent ainsi que,
si à l'école, ils se conformaient strictement aux règles
en vigueur, la rue était le lieu où se réglaient les
contentieux commencés dans la cour de récréation avec
leurs camarades. Nous avons ainsi pu retrouver chez différents
témoins la sensation de connaître deux mondes bien distants, sans
liens apparents et au sein desquels leurs comportements sont souvent
discordants.
408 Témoignage de Madame BIASIN, le 27/05/1993,
Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960),
Rome, 2000 (p. 420).
409 - I. TABOADA-LEONETTI, « Le rôle des femmes
migrantes dans le maintien ou la déstructuration des cultures nationales
du groupe migrant », n° 70, juin 1983 (p. 214 à 220).
- A. SOLDANO, « Les femmes immigrées italiennes
installées dans le Nord de la France après 1945 », n°
14, décembre 2001 (p. 35 à 43).
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