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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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II). Le sentiment de « ritalité ».

En effet, la réaction au patriotisme ambiant va souvent constituer en une sorte de rejet de la France, ou, du moins, une revendication des origines italiennes. A cet égard, le témoignage de G. C. B, d'origine transalpine mais scolarisé dans le Sud-Ouest de la France est particulièrement significatif :

« On s'est tellement battu pour l'Italie, dont on se fichait en définitive, mais rien que le fait qu'on était attaqué... c'était une agressivité que les autres enfants avaient envers nous, que peut-être n'importe quels enfants avaient les uns avec les autres. Bon, eh bien, on trouvait parce qu'on était italien, que c'était une insulte. On s'invectivait, on s'insultait... "397.

C'est ainsi que commence souvent le sentiment de « ritalité " : par la relation avec l'autre écolier plus que par une conviction intérieure et individuelle.

Avant d'entrer dans le vif du sujet de la sensation de « ritalité ", il nous faut justifier l'utilisation du terme de « ritalité ". Pourquoi, plutôt que de parler d'un éventuel sentiment d'appartenance à l'Italie, avons-nous recourt à ce mot, pourtant parfois assez polémique. Journaliste italien au « Corriere della Sera ", Gian Antonio Stella s'essaye, dans son essai sur l'émigration italienne, à une définition de ce terme de « rital " :

396 Le colloque tenu à Phoenix est particulièrement intéressant sur ces thèmes puisqu'il livre l'opinion d'historiens américains sur les pratiques assimilatrices françaises. Ainsi, par exemple, leur manifeste étonnement sur l'assimilation juridique qui fait disparaître toute trace des origines dans les documents officiels montre que la France se distingue dans cette politique par rapport à un grand nombre de pays d'immigration.

« France for the French ? National and International contradictions ", colloque réunissant les historiens américains spécialistes de la France le 1er avril) 2000 à Phoenix (Arizona).

397 Témoignage de G. C. B.

Dans M. ROUCHE, « un village du sud-ouest dans l'entre-deux-guerres : la sociabilité des immigrés italiens à Monclar d'Agenais " CEDEI, acte du colloque franco-italien, Paris 15-17 octobre 1987.

« Spregiativo ma non troppo, era la contrazione di franco-italien e veniva usato per sottolineare come l'immigrato italiano oltralpe non riusciva neppure molti anni a pronunciare correttamente la « r » francese »398. Mais c'est Pierre Milza qui explique que « le mot « rital », expression même du mépris dans lequel une partie de la population française a longtemps tenu les Transalpins, a pris, adopté par les descendants de migrants, une connotation positive »399.

A). Les moqueries des enseignants

Le sentiment de « ritalité », s'il est souvent la conséquence de la culture et de l'éducation inculquées à l'enfant d'origine italienne par sa famille et son entourage transalpin, est aussi expliqué par les témoins comme le résultat d'un sentiment de frustration provoqué par les moqueries des enseignants de France. Effectivement, la reconnaissance du sentiment régional, des particularismes locaux, ainsi que l'intégration laborieuse des immigrés, sont souvent identifiées comme étant des difficultés internes pour asseoir l'enseignement républicain d'esprit fondamentalement « jacobin » et basé sur un modèle centraliste.

Sur les témoignages recueillis directement dans le cadre des recherches menées ici, il est très rare cependant que l'on fasse le récit de moqueries des instituteurs concernant le caractère italien des élèves. En fait, seul un cas parmi la quinzaine de témoignages directs recueillis pour ce travail analyse la critique de son professeur comme étant directement liée à son origine transalpine. Marie-Claude Blanc-Chaléard explique quant à elle que c'est à Montreuil, ville ouvrière et particulièrement cosmopolite, qu'elle a pu entendre le plus de témoignages négatifs concernant l'attitude des instituteurs envers les enfants d'immigrés italiens400. Elle fait ainsi le récit de Pellicia, écolier entré à 12 ans dans une petite classe de Nogent. Le jeune garçon n'a pas encore appris le français, il explique a posteriori que sa maîtresse riait ostensiblement lorsque son accent transformait le texte d'une célèbre fable de La Fontaine : « l'arbre perché » du corbeau devenait ainsi « l'arbre perqué ». Pour éviter les sarcasmes, la réaction majoritaire semble avoir été de se doter le plus rapidement de nouveaux réflexes de langue et d'attitudes, ceux-ci résolument « gallo ».

398 « Péjoratif mais pas trop, c'est la contraction de franco-italien. Le terme était utilisé pour souligner le fait que l'immigré italien ne réussissait pas, même après de nombreuses années, à prononcer correctement le son « r » présent dans la langue française » TDLA.

Dans G. A. STELLA, L'Orda. Quando gli albanesi eravamo noi, Milan, 2003 (p.287).

399 P. MILZA, Op. Cit. (p. 490).

400 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000, (p. 425).

Les migrants évoquent souvent les moqueries concernant la religion dont ils furent victimes en classe. Nous l'avons vu dans la partie que nous avons consacrée à l'éducation traditionnelle offerte à leurs enfants par la plupart des immigrés transalpins, le catholicisme est presque une caractéristique des migrants italiens de 1935 à 1955. En effet, deux populations se trouvent face à face à l'école : les hussards Républicains et les enfants d'immigrés souvent très croyants. Si l'Entre-Deux-guerres voit arriver un flot massif de migrants fuyant le fascisme, donc en général, ayant des idées s'inscrivant nettement à gauche et souvent anti-cléricales, l'immigration de travail, en revanche, est constituée par des classes populaires catholiques. Il est nécessaire ici de faire un bref rappel des relations complexes et passionnées de l'Ecole française avec la laïcité. L'Entre-Deux-guerres n'est pas le temps de l'élaboration de la laïcité scolaire mais celui de son application concrète. En effet, les lois qui ont laïcisé l'école sont anciennes (1881, 1882, et 1886). L'école française est-elle laïque pour autant ? Pas totalement puisque, lors du retour de l'Alsace et de la Moselle dans le giron de la France après la Première Guerre mondiale, le choix est fait de ne pas y imposer la législation laïque. En 1924, le Cartel des Gauches tente de l'appliquer mais se heurte de nouveau à l'opposition de l'épiscopat. La population enseignante française est souvent anti-cléricale, cette position se ressent dans les témoignages des enfants de migrants catholiques.

« Les profs, à l'école, ils peuvent pas s'empêcher de nous faire sentir qu'on est des culsbénits, de la graine de fascistes. Eux, laïques, républicains et Jules Ferry comme des fous »401.

« C'est nous qu'on éponge tout. La crise, c'est de notre faute. Le chômage, c'est nous. Mussolini qui fait le con, c'est pour nos pieds »402.

Ce sentiment de rejet dont parle François Cavanna semble assez courant. En outre, parfois, en plus des moqueries, il arrive que certains enseignants usent, nous l'avons vu précédemment, de violence sur leurs élèves. Nous retrouvons assez régulièrement ce souvenir chez les élèves, mais les enfants d'immigrés vont quelquefois avoir tendance à analyser, parfois à tort, cette violence comme une attaque contre leur condition d'immigré. Prenons ainsi l'exemple d'une des grandes figures du syndicat régional de la CGT chez les mineurs de fer de Lorraine, Albert Balducci. Interviewé par Pierre Milza en mars 1992, cet anarchiste, fils d'un ouvrier italien, émigre en France alors qu'il n'a que sept ans. Il ne connaît alors ni l'italien, ni le français

401 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 38).

402 Ibid. (p. 37)

136 et s'exprime exclusivement en dialecte romagnol. Il explique la réaction violente de son instituteur face à son incompréhension manifeste du français :

« Non, j'ai pas été heureux à l'école. Vous savez, les gosses c'est les gosses... Je me rappelle toujours, l'instituteur, je me rappelle aujourd'hui. C'était un gazé de 1914, un Corse ; il s'appelait Ortoli. Le premier jour, il me dit d'aller au tableau. Alors j'y vais, je vais au tableau. Mais je ne comprends rien aux questions qu'il me pose. Alors il me balance deux paires de claques. Qu'est-ce que je fais... quand je retourne à la maison, je gueule. Mais ma mère, qui a déjà tellement souffert, avec mon père qui ne sait ni lire ni écrire, alors elle me dit qu'il faut que j'aille à l'école. Elle m'a ramené à l'école... »403.

On remarque régulièrement, dans les témoignages, l'approbation des parents pour une discipline scolaire qui, jusqu'au milieu des années 1960 selon François Grezes-Rueff et Jean Leduc, pratiquera encore régulièrement les châtiments corporels404. Il est indéniable qu'il y ait eu des professeurs violents face à l'incompréhension des jeunes arrivants. Nous l'avons vu, les parents se révoltent rarement contre ce genre de pratiques. La mère de François Cavanna, cependant, alla s'en plaindre auprès du directeur405. Il nous faut donc souligner que, des deux parents de ce dernier, seul son père est Italien. Peut-être est-il alors plus facile pour une Française de réprouver cette attitude et de la condamner « publiquement » que pour des immigrés dont le statut est précaire et, pour qui, l'hypercorrection sociale est une condition sine qua non à l'intégration tant des enfants que de la cellule familiale dans son ensemble.

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