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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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D). Les programmes scolaires

L'Ecole est un lieu associé par les élèves comme leurs parents, qu'ils soient Français ou non, à l'Etat. Elle est « l'institutrice de la nation »316 qui installe les écoliers dans le corps national, elle leur incorpore ainsi des valeurs patriotiques en les francisant. L'enfant d'étranger est-il pour autant stigmatisé à l'Ecole comme étant en dehors de l'Etat français et donc de l'Institution scolaire ?

En tout cas, le patriotisme tient un rôle central dans les apprentissages des élèves entre 1935 et 1955, il est présent dans les leçons de morale, d'histoire, d'éducation au civisme et méme de géographie où l'on met parfois en avant la position centrale de la France comme facteur explicatif de sa prétendue place de plaque tournante de l'Europe. On le retrouve d'ailleurs dans les instructions destinées aux enseignants de 1923 : le patriotisme est alors placé au méme plan que les matières toujours enseignées aujourd'hui dans les écoles primaires (calcul, écriture ...) :

« La place de la France dans le monde est assez grande, son rôle est assez noble, pour qu'un enseignement sincère, soucieux de vérité jusqu'à l'intransigeance, favorise l'éclosion et l'épanouissement du sentiment patriotique »317.

Ce patriotisme est régulièrement critiqué durant la période que nous étudions, Olivier Loubes parle ainsi de « désenchantement patriotique »318, les vives critiques de la colonisation dans la presse et les milieux intellectuels n'y sont sans doute pas étrangères, ainsi Walter Buffoni explique :

« Mes maîtres mettaient souvent l'action de la France dans le monde, son rôle en tant que pays des droits de l'Homme sans esprit cocardier, critiquant quelquefois néanmoins la colonisation. Personnellement j'ai une grande reconnaissance envers mes instituteurs, ne serait-ce que pour le respect qu'ils avaient des immigrés italiens »319.

Nous aurons l'occasion d'étudier plus en détail les nombreuses critiques du patriotisme qui se font jour au sein de la corporation enseignante. L'idée n'est pas neuve : l'Ecole doit faire de l'élève un citoyen et un soldat, ce patriotisme est donc présent quotidiennement dans les leçons, obligatoire selon les programmes scolaires, il est aussi ressenti dans l'espace de jeu de

316 O. LOUBES, L'École et la Patrie, Paris, 2001 (p. 9).

317 Instructions de l'enseignement primaire, 20 juin 1923, Revue « Histoire et Géographie » (p. 14).

318 O. LOUBES, Op. Cit. , Paris, 2001 (p. 9).

319 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

106 l'Institution scolaire. Cette stigmatisation de l'étranger en opposition avec ses camarades de souche française va être reprise, dans la cour de récréation de l'école, par les autres élèves qui insistent sur la supériorité de la France face à une Italie jugée faible et désorganisée. Ainsi, les écoliers, répétant les discours de leurs parents, et parfois de certains instituteurs, mettent en avant les faiblesses de l'armée italienne et les contre-performances de l'armée de Mussolini :

« Vous êtes pas des soldats ! Si les Français n'étaient pas là pour vous donner un coup de main, vous vous faites déculotter par les Boches, à tous les coups ! »320.

« A l'école, porteur [...] d'un patronyme difficilement situable, je n'avais pas eu trop souvent à subir les insultes ou les quolibets de mes petits camarades. Je n'en étais pas moins conscient de mes origines paternelles, et j'en souffrais : non pas en tant qu'étranger ou demi-étranger, mais parce que l'image qui m'était renvoyée était celle de mon appartenance, même lointaine, à un pays ennemi et à un peuple de soldats d'opérette »321.

Outre le patriotisme, qui attire ici particulièrement notre intention, les élèves des années 1935-1955 étudient l'algèbre, font des problèmes de mathématiques, en français, ils étudient l'orthographe par le biais de dictées et la littérature. On apprend aussi aux écoliers, par les leçons de chose, des notions d'histoire naturelle. Tous les enseignants travaillent selon une méthode d'apprentissage répétitive : « on récitait, ça n'était pas individuel »322. D'ailleurs, même les cours de dessin se font selon des modèles. Dès les années trente pourtant, l'idée est développée de passer de la pédagogie « concentrique », où l'on se répète, à un apprentissage « progressif » et actif. En fait, des réflexions de quelques intellectuels spécialistes de pédagogie aux applications réelles en classe, il y a une distance non négligeable qui ne sera franchie que dans de rares cas au cours de la période qui nous intéresse.

Signalons aussi que, bien que réduite et désormais jumelée à l'instruction civique depuis 1923 par la réforme de Paul Lapie, la morale est toujours présente dans les leçons de nos témoins. Le maître d'école doit propager un credo et semer les idées jugées saines par l'institution dans les consciences de ses élèves.

Par ailleurs, beaucoup de mouvements de jeunesse indépendants de l'Ecole voient le jour durant notre période (les centres laïques des auberges de jeunesse, les centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active entre autres), contestant le système éducatif en place. Les critiques se portent alors essentiellement sur le fait que la formation des instituteurs serait trop étroite : on accuse les Ecoles Normales de refuser d'intégrer les activités culturelles à leurs programmes.

320 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 34).

321 P. MILZA, Op. Cit., 1993 (p. 491).

322 Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 - Vertou).

Après la Seconde Guerre mondiale, ces mouvements seront annexés par l'institution scolaire. Le sport ou encore la musique seront d'ailleurs intégrés dans les programmes officiels de l'Ecole Normale à la même période323. De méme, nous voyons, pendant la décennie d'après-guerre, se multiplier les sorties scolaires, déjà un peu développées sous le nom de « classes promenades » par le Front Populaire. Par ailleurs, les initiatives comme la rédaction de journaux en classe dans lesquels les élèves racontent des évènements de leur vie quotidienne et réalisent des travaux artistiques (dessins, linos...)324 sont désormais courantes.

Figure n° 10 : Travail de lino réalisé en classe, école Poincaré, Villerupt, 1951325.

Après le passage du certificat d'études (qui donne accès aux fonctions d'employés), les centres d'apprentissages techniques et les CET offrent une formation professionnelle mais, encore, l'enseignement des professeurs est en fait plus large :

« J'ai eu mon CAP d'ajusteur mécanicien [...] dans ces écoles, ils vous donnaient une
telle obligation à vous améliorer que, quand vous sortiez de là-dedans, vous étiez
bien. C'était une bonne formation technique (il y avait la technologie, la pratique) mais

323 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 73 à 75).

324 Nous donnons des exemples de ces petites rédactions et des linos réalisées en classe en documents annexes n° 7 à 13.

Dans « Joyeux écoliers », journal mensuel de la classe de M. Jean Romac, école de garçons Poincaré de Villerupt, janvier-février 1954.

325 Collection privée de Jean BURINI.

Lino extraite du journal mensuel de la classe de M. Jean Romac, Ibid.

108 aussi pour le civisme, la politesse. Notre maître nous apprenait comment dire bonjour, ce qu'il fallait faire »326.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams