D). Les programmes scolaires
L'Ecole est un lieu associé par les
élèves comme leurs parents, qu'ils soient Français ou non,
à l'Etat. Elle est « l'institutrice de la nation
»316 qui installe les écoliers dans le corps national,
elle leur incorpore ainsi des valeurs patriotiques en les francisant. L'enfant
d'étranger est-il pour autant stigmatisé à l'Ecole comme
étant en dehors de l'Etat français et donc de l'Institution
scolaire ?
En tout cas, le patriotisme tient un rôle central dans
les apprentissages des élèves entre 1935 et 1955, il est
présent dans les leçons de morale, d'histoire, d'éducation
au civisme et méme de géographie où l'on met parfois en
avant la position centrale de la France comme facteur explicatif de sa
prétendue place de plaque tournante de l'Europe. On le retrouve
d'ailleurs dans les instructions destinées aux enseignants de 1923 : le
patriotisme est alors placé au méme plan que les matières
toujours enseignées aujourd'hui dans les écoles primaires
(calcul, écriture ...) :
« La place de la France dans le monde est assez grande,
son rôle est assez noble, pour qu'un enseignement sincère,
soucieux de vérité jusqu'à l'intransigeance, favorise
l'éclosion et l'épanouissement du sentiment patriotique
»317.
Ce patriotisme est régulièrement critiqué
durant la période que nous étudions, Olivier Loubes parle ainsi
de « désenchantement patriotique »318, les vives
critiques de la colonisation dans la presse et les milieux intellectuels n'y
sont sans doute pas étrangères, ainsi Walter Buffoni explique
:
« Mes maîtres mettaient souvent l'action de la
France dans le monde, son rôle en tant que pays des droits de l'Homme
sans esprit cocardier, critiquant quelquefois néanmoins la colonisation.
Personnellement j'ai une grande reconnaissance envers mes instituteurs, ne
serait-ce que pour le respect qu'ils avaient des immigrés italiens
»319.
Nous aurons l'occasion d'étudier plus en détail
les nombreuses critiques du patriotisme qui se font jour au sein de la
corporation enseignante. L'idée n'est pas neuve : l'Ecole doit faire de
l'élève un citoyen et un soldat, ce patriotisme est donc
présent quotidiennement dans les leçons, obligatoire selon les
programmes scolaires, il est aussi ressenti dans l'espace de jeu de
316 O. LOUBES, L'École et la Patrie, Paris, 2001
(p. 9).
317 Instructions de l'enseignement primaire, 20 juin
1923, Revue « Histoire et Géographie » (p. 14).
318 O. LOUBES, Op. Cit. , Paris, 2001 (p. 9).
319 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.
106 l'Institution scolaire. Cette stigmatisation de
l'étranger en opposition avec ses camarades de souche française
va être reprise, dans la cour de récréation de
l'école, par les autres élèves qui insistent sur la
supériorité de la France face à une Italie jugée
faible et désorganisée. Ainsi, les écoliers,
répétant les discours de leurs parents, et parfois de certains
instituteurs, mettent en avant les faiblesses de l'armée italienne et
les contre-performances de l'armée de Mussolini :
« Vous êtes pas des soldats ! Si les Français
n'étaient pas là pour vous donner un coup de main, vous vous
faites déculotter par les Boches, à tous les coups !
»320.
« A l'école, porteur [...] d'un patronyme
difficilement situable, je n'avais pas eu trop souvent à subir les
insultes ou les quolibets de mes petits camarades. Je n'en étais pas
moins conscient de mes origines paternelles, et j'en souffrais : non pas en
tant qu'étranger ou demi-étranger, mais parce que l'image qui
m'était renvoyée était celle de mon appartenance,
même lointaine, à un pays ennemi et à un peuple de soldats
d'opérette »321.
Outre le patriotisme, qui attire ici particulièrement
notre intention, les élèves des années 1935-1955
étudient l'algèbre, font des problèmes de
mathématiques, en français, ils étudient l'orthographe par
le biais de dictées et la littérature. On apprend aussi aux
écoliers, par les leçons de chose, des notions d'histoire
naturelle. Tous les enseignants travaillent selon une méthode
d'apprentissage répétitive : « on récitait, ça
n'était pas individuel »322. D'ailleurs, même les
cours de dessin se font selon des modèles. Dès les années
trente pourtant, l'idée est développée de passer de la
pédagogie « concentrique », où l'on se
répète, à un apprentissage « progressif » et
actif. En fait, des réflexions de quelques intellectuels
spécialistes de pédagogie aux applications réelles en
classe, il y a une distance non négligeable qui ne sera franchie que
dans de rares cas au cours de la période qui nous intéresse.
Signalons aussi que, bien que réduite et
désormais jumelée à l'instruction civique depuis 1923 par
la réforme de Paul Lapie, la morale est toujours présente dans
les leçons de nos témoins. Le maître d'école doit
propager un credo et semer les idées jugées saines par
l'institution dans les consciences de ses élèves.
Par ailleurs, beaucoup de mouvements de jeunesse
indépendants de l'Ecole voient le jour durant notre période (les
centres laïques des auberges de jeunesse, les centres d'entraînement
aux méthodes d'éducation active entre autres), contestant le
système éducatif en place. Les critiques se portent alors
essentiellement sur le fait que la formation des instituteurs serait trop
étroite : on accuse les Ecoles Normales de refuser d'intégrer les
activités culturelles à leurs programmes.
320 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 34).
321 P. MILZA, Op. Cit., 1993 (p. 491).
322 Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 - Vertou).
Après la Seconde Guerre mondiale, ces mouvements seront
annexés par l'institution scolaire. Le sport ou encore la musique seront
d'ailleurs intégrés dans les programmes officiels de l'Ecole
Normale à la même période323. De méme,
nous voyons, pendant la décennie d'après-guerre, se multiplier
les sorties scolaires, déjà un peu développées sous
le nom de « classes promenades » par le Front Populaire. Par
ailleurs, les initiatives comme la rédaction de journaux en classe dans
lesquels les élèves racontent des évènements de
leur vie quotidienne et réalisent des travaux artistiques (dessins,
linos...)324 sont désormais courantes.
Figure n° 10 : Travail de lino
réalisé en classe, école Poincaré, Villerupt,
1951325.
Après le passage du certificat d'études (qui donne
accès aux fonctions d'employés), les centres d'apprentissages
techniques et les CET offrent une formation professionnelle mais,
làencore, l'enseignement des professeurs est en fait plus
large :
« J'ai eu mon CAP d'ajusteur mécanicien [...] dans
ces écoles, ils vous donnaient une telle obligation à vous
améliorer que, quand vous sortiez de là-dedans, vous
étiez bien. C'était une bonne formation technique (il y avait
la technologie, la pratique) mais
323 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des
Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 73 à 75).
324 Nous donnons des exemples de ces petites rédactions et
des linos réalisées en classe en documents annexes n° 7
à 13.
Dans « Joyeux écoliers », journal mensuel de la
classe de M. Jean Romac, école de garçons Poincaré de
Villerupt, janvier-février 1954.
325 Collection privée de Jean BURINI.
Lino extraite du journal mensuel de la classe de M. Jean Romac,
Ibid.
108 aussi pour le civisme, la politesse. Notre maître
nous apprenait comment dire bonjour, ce qu'il fallait faire
»326.
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