C). L'organisation de la classe.
Cependant, l'influence de leurs professeurs sur les
élèves n'est pas particulièrement corrélée
à leur réussite scolaire. En témoigne la lettre
envoyée par Jean Burini à son instituteur :
« Je n'ai sans doute pas été votre meilleur
élève ; j'avais il me semble un peu la tête en l'air comme
on dit, et je pensais un peu trop à la récré ou à
jouer, mais ces années de classe sous votre direction ont porté
leurs fruits plus tard, dès mes débuts dans la vie
professionnelle »304.
En fait, l'influence de l'enseignant, l'organisation de
l'école, de la classe, sont des vecteurs de transmission de certaines
valeurs qui marquent jusque dans leurs vies d'adultes les anciens
élèves. Le rôle des établissements scolaires et de
leurs professeurs est primordial, rien d'étonnant dès lors
à ce que les liens entre le pouvoir en place et l'Ecole soient
considérables. En effet, la République est « l'institutrice
du peuple »305, sa propension à vouloir organiser la vie
en classe est donc forte. En 1937, Jean Zay uniformise les programmes du
premier cycle des lycées et ceux des E.P.S (c'est le premier pas sur la
voie d'une « école moyenne »). De nouvelles instructions sur
les constructions et le mobilier scolaires sont alors publiées : la
classe type est
302 P. MILZA, Op. Cit. (p. 486).
303 On constate le même type de souvenirs lorsque WM parle
de Monsieur Bertin, son instituteur qui le poussait à travailler pour
qu'il obtienne son certificat d'étude :
« Avant de partir en vacances, il m'a dit : «
l'année prochaine, tu le présentes alors tu vas travailler, tu
vas lire le journal ! » ».
Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite)
304 Lettre de Jean BURINI à son instituteur Jean ROMAC, 26
avril 2002, Vigneux.
305 C. COUTEL, La République et l'Ecole : une
anthologie, Paris, 1991 (p.25).
désormais prévue pour quarante
élèves, dans les écoles de filles comme dans les
écoles de garçons. Le pupitre individuel est dorénavant
recommandé, cependant le témoignage de WM nous montre que la loi
ne s'ensuivait pas nécessairement des faits :
« C'était une classe unique à Biarritz
alors qu'à Moissac, on était trois classes. Une rangée
pour faire ses devoirs pendant que le maître faisait réciter aux
autres donc on travaillait mais on écoutait autre chose... On
n'était pas assidus ! »306.
En effet, des problèmes de concentration se posent dans
certaines écoles : les élèves sont nombreux, en moyenne de
trente à quarante par classe. Les écoliers suivent, à
l'école primaire, les cours d'un instituteur unique.
La journée scolaire se déroule en
général (on remarque des variations mineures d'une école
à l'autre) de huit heures ou huit heures trente jusqu'à seize
heures. Les cours commencent par une correction des devoirs de la veille ou par
une leçon de morale, viennent ensuite les leçons de calcul mental
ou d'arithmétique. L'élève va ensuite en
récréation (il y en a deux dans la journée, qui durent en
général autour d'un quart d'heure). Puis, c'est l'heure de la
dictée, dont la correction est immédiate, et de la leçon
d'écriture (un soin tout particulier est porté à la
calligraphie). Après l'heure et demie d'interclasse qui permet de
prendre le repas, à la cantine307 ou au sein du foyer
familial, l'école reprend avec un cours d'histoire et de
géographie puis un travail de rédaction. Après la
récréation de l'après-midi, l'élève se livre
à des activités sportives ou artistiques (dont la durée
augmentera tout au long de la période que nous étudions). Les
sports pratiqués varient un peu selon les régions. Dans le
Sud-Ouest ou à Saint-Nazaire, par exemple, les jeunes jouent au
rugby308, pour la Lorraine « c'était le foot, la piscine
et, le jeudi après-midi,
306 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
307 En 1882, les Lois Jules Ferry créent l'école
laïque et obligatoire et la ville de Paris offre aussitôt une aide
alimentaire, ses cantines accueillent exclusivement les enfants de familles
nécessiteuses ou nombreuses ou bien ceux qui n'ont pas le temps de
rentrer chez eux. L'instauration de cantines découle d'initiatives
individuelles et non de l'Etat. La crise économique des années
trente conduit la troisième République à obliger chaque
école à avoir une cantine. Le nombre d'enfants dépendant
de la cantine s'accroît au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Malgré l'attribution de quotas de rationnement supplémentaire aux
cantines, les écoliers subissent des retards de croissance importants.
La gratuité de la cantine scolaire est l'une des revendications des
« clandestins » communistes sous le régime de Vichy.
Voir l'ouvrage de Didier Nourrisson sur le sujet : D.
NOURRISSON, « Des cantines pour l'Ecole », dans À votre
santé ! Education et santé sous la IVème
République, Université de Saint-Étienne, 2002, 210
pages.
308 C'est le cas de WM qui pratique le rugby et, qui, fera partie
de l'équipe de son école pratique à Agen. Entretien avec
WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
on faisait du hand-ball, du basket et de la natation avec
l'école »309. La journée d'école se
termine par une leçon de choses310.
Jusqu'en 1968, toutes les écoles imposent le port d'une
blouse qui uniformise en apparence la population scolaire. Nos témoins,
lorsqu'ils évoquent cette caractéristique, mettent en avant ses
aspects positifs : les différences de milieux sociaux et de culture sont
donc visuellement gommées. On souhaite véhiculer une impression
d'unanimité311, cependant Maria C. précise :
« L'uniforme, ça pouvait sembler bien... les livres
aussi : on a tous les mêmes, on est égaux ! Mais, en fait, les
différences tout le monde les connaissait »312.
L'organisation de la classe passe aussi par la
répression de ses éléments les plus « remuants
». Dans les écoles de filles, on nous rapporte que la punition la
plus courante, en réponse au travail non fait ou aux éventuelles
indisciplines, est d'aller derrière le tableau ou au fond de la classe.
Chez les garçons, il semble que l'usage de la fessée et
l'utilisation du bonnet d'âne sont alors plus légion. La paire de
claques et les lignes à copier ne sont pas rares non plus :
« Une fois, j'avais un chewing-gum, le maître me
dit : « Burini, viens me voir ici, enlève ton chewing-gum ! »,
« ben non monsieur, je n'ai pas de chewing-gum ». Je l'avais
cachésous ma langue. Il m'a foutu une raclée ! Deux
gifles qui me faisaient tellement mal que je n'avais plus mal ! « Ce soir,
retournez chez vous et vous me copierez cent fois « Je ne
mâcherai plus de chewing-gum en classe »
»313.
309 Entretien avec Jean BURINI (jeudi 14 janvier 2010 --
Vigneux).
310 M-O. MERGNAC, C. GAROSCIO-BRANCQ et D. VILRET, Les
écoliers d'hier et leurs instituteurs, Paris, 2008 (p.32)
311 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des
Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 86).
312 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes)
313 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
Horaire
|
Lundi
|
Mardi
|
Mercredi
|
Vendredi
|
Samedi
|
8, 30 à 9
|
Morale
|
Récitation
|
Morale
|
Instruction
|
Récitation
|
|
Morale
|
Récitation
|
Morale
|
civique
|
Récitation
|
|
Morale
|
Récitation (moniteur)
|
Morale
|
Vocabulaire sur la lecture
|
Récitation (moniteur)
|
|
|
|
|
Récitation
|
|
|
|
|
|
(moniteur)
|
|
9 à 9, 30
|
Vocabulaire
|
Grammaire
|
Rédaction
|
Compte-rendu de
|
Grammaire
|
|
Vocabulaire
|
Grammaire (10
|
Initiation à la
|
la rédaction
|
Grammaire
|
|
Ecriture - copie
|
min. de leçon, 20
|
rédaction
|
Ex. de
|
(10 min. de
|
|
|
min. d'ex. écrits) Ecriture - copie
|
Ecriture - copie
|
conjugaisons Ecriture - copie
|
leçon, 20 min. d'ex. écrits)
|
|
|
|
|
|
Ecriture - copie
|
9, 30 à 10
|
Ex. de
|
Ex. de grammaire
|
Suite de la
|
Corrigé
|
Ex. de
|
|
vocabulaire
|
Ecriture - copie
|
rédaction
|
individuel et
|
grammaire
|
|
Ex. de
|
Lecture (maître)
|
Ecriture -
|
études de phrases
|
Ecriture -
|
|
vocabulaire
|
|
copie
|
Ecriture - copie
|
copie
|
|
Lecture (maître)
|
|
Lecture
|
Lecture (maître)
|
Lecture
|
|
|
|
(maître)
|
|
(maître)
|
10 à 10,
|
Récréation
|
10
|
|
10, 10 à
|
Leçon de calcul (arithmétique les mardis,
mercredis et samedis - système métrique les
|
10, 30
|
lundis et vendredis)
|
|
Calcul écrit
|
10, 30 à
|
Ex. écrit de calcul
|
11
|
Calcul oral (maître)
|
|
Calcul oral (maître)
|
11 à 11,
|
Ecriture les mardis, vendredis et samedis (une ou deux
leçons seulement au CS, le temps
|
30
|
disponible est ajouté au calcul) - travail manuel les
lundis et mardis
|
|
Lecture (maître)
|
|
Lecture (moniteur). Répétition de la leçon
faite le matin par le maître.
|
Tableau n° 4 : Vade-mecum pour
l'enseignement français en classe unique
(Matinées)314 Cours moyen, cours supérieur,
Cours élémentaire, Cours préparatoire
NB1 : Ici, le Vade-mecum est celui d'une classe unique,
cependant, les programmes étaient sensiblement les mêmes
partout.
NB2 : Sous la surveillance de l'instituteur, le moniteur fait
répéter au cours préparatoire les leçons faites
précédemment par l'instituteur.
NB3 : Abréviations : - Ex. : exercice.
- Min. : minutes.
314 Reproduction de l'extrait du Vade-mecum pour l'enseignement
français par A. SOUCHE, inspecteur de l'enseignement primaire, 1930.
Dans S. BUKIET et H. MEROU, Les cahiers de la
République (promenade dans les cahiers d'école primaire de 1870
à 2000 à la découverte des exemples d'écriture et
de la morale civique), Paris, 2000 (page 89).
Horaire
|
Lundi
|
Mardi
|
Mercredi
|
Vendredi
|
Samedi
|
13 à 13,
|
Leçon de choses et sciences.
|
30
|
(Les cours préparatoires et élémentaires
ne prendront part qu'aux leçons à leur portée, dans
|
|
la limite de 1h 30 par semaine. Le temps disponible sera
réservé au travail manuel et au dessin).
|
13, 30 à
|
Leçon commune de lecture
|
14
|
Leçon commune de lecture
|
|
Ecriture
|
14 à 14,
|
Dessin et travail
|
Ex. sur la phrase
|
Préparation
|
Préparation d'une
|
Ex. sur la
|
30
|
manuel
|
Ex. sur la phrase
|
d'une dictée
|
dictée empruntée
|
lecture
|
|
Dessin et travail
|
Lecture (maître)
|
empruntée au
|
au texte lu 20
|
Ex. sur la
|
|
manuel
|
|
texte lu 20 min.
|
min. dictée 10
|
lecture
|
|
Lecture (maître)
|
|
dictée 10 min.
|
min.
|
Lecture
|
|
|
|
Préparation
d'une dictée empruntée au texte lu 20 min.
dictée 10 min.
|
Préparation d'une dictée
empruntée au texte lu 20 min. dictée 10 min.
|
(maître)
|
|
|
|
Lecture maître 20 min. moniteur 10 min.
|
Lecture maître 20 min. moniteur 10 min.
|
|
14, 30 à
|
|
14, 40
|
Récréation
|
14, 40 à
|
Exercices physiques dans la cour et sous le préau
|
15
|
|
15 à 15,
|
Histoire
|
Géographie
|
Histoire
|
Géographie
|
Histoire
|
40
|
Histoire
|
Géographie
|
Histoire
|
Géographie
|
Histoire
|
|
Lecture et récitation (moniteur)
|
15, 40 à
|
Dictée de
|
Chant
|
Dessin, travail
|
Chant
|
Travail
|
16
|
contrôle
|
|
manuel
|
|
manuel
|
|
Ecriture, copie Ecriture, copie
|
|
Dessin, travail manuel
|
|
Travail manuel
|
|
|
|
Récitation
|
|
Elocution
|
|
|
|
(maître)
|
|
(maître)
|
Tableau n° 5 : Vade-mecum pour
l'enseignement français en classe unique
(Après-midi)315 Cours moyen, cours supérieur,
Cours élémentaire, Cours préparatoire
|