A). L'arrivée dans l'école :
Globalement, les enfants d'immigrés sont
scolarisés plus tôt que leurs homologues français. En
effet, il est plus courant, dans ses familles, que les deux parents travaillent
lorsque la situation financière est particulièrement critique,
comme c'est souvent le cas pour les jeunes d'origine
étrangère.
? Les inscriptions.
L'enfant peut-être scolarisé dès ses trois
ans (plus rarement vers ses deux ans et demi) si toutefois l'école
l'accepte, cette décision étant laissée à la
discrétion du directeur. En réalité, peu de familles en
font la demande, les femmes de l'époque étant encore
majoritairement au foyer (même à la fin de notre période,
on ne comptabilise pas plus d'un enfant sur trois dans les structures
correspondant à l'actuelle école maternelle). Cependant, sans
pour autant pouvoir avancer de chiffres précis, se dessine une tendance
: les enfants italiens sont plus fréquemment scolarisés à
l'école maternelle que les petits français. Cette
différence s'explique par le fait que, dans une situation critique, les
parents, lorsqu'ils ont immigré, sont souvent obligés, pour des
raisons financières, de travailler tous les deux. Les primo arrivants
scolarisent donc globalement plus tôt leur progéniture. Citons par
exemple Nuncio Titonel qui évoque l'école du Lot-etGaronne qui
l'a accueilli très jeune sur ses bancs :
67 « Je me rappelle, je suis arrivé à
l'école à deux ans et demi. J'étais plus souvent dans les
culottes de l'institutrice que dans les miennes parce que je me salissais
encore. »189
Scolarisés jeunes, les enfants d'Italiens diront, lors
des entretiens, tantôt que cette habitude de la collectivité et de
la vie à l'école fut une des raisons de leur réussite
scolaire, tantôt que cet « abandon » dans les bras de
l'Institution Scolaire explique leurs échecs. Soyons donc attentifs
à ne pas tirer de trop rapides conclusions : nous sommes là face
à des récits d'expériences humaines dans lesquelles bien
d'autres données que celle liées à l'immigration entrent
en jeu, c'est d'ailleurs ce qui rend l'étude aussi difficile que
passionnante.
Au cours de la période 1935-1955, l'obligation scolaire
commence à six ans et se termine à quatorze ans190.
Les écoles maternelles, souvent appelées « asilio » par
nos témoins utilisant ainsi le vocable d'Outremont, accueillent filles
et garçons dans les mémes structures jusqu'à leurs six
ans. Les adultes chargés de s'occuper de ces jeunes enfants sont alors
exclusivement des femmes.
? Le premier jour d'école.
En quoi le premier jour d'école d'un enfant issu d'au
moins un parent étranger est-il différent de celui d'un petit
français ? Le premier regard sur l'enfant est bien souvent celui du
Français sur l'étranger, en effet, lorsque les deux parents sont
Transalpins, le jeune élève ne s'exprime la plupart du temps
qu'en italien lors de sa première rentrée. C'est alors par
l'école que l'élève va s'apercevoir de sa
différence191. Dès lors quelles sont les
premières réactions face à l'écolier
étranger ? Couramment, l'afflux d'une population immigrée peut
provoquer deux attitudes différentes : l'ethnocentrisme et la
stigmatisation. L'ethnocentrisme consiste à juger de façon
négative la culture de l'étranger. Ce contact réaffirme
des réactions chauvines, xénophobes voire racistes. La
stigmatisation attribue aux immigrés une étiquette les
catégorisant comme déviants, et bien souvent, comme dangereux et
inassimilables. Un des aspects de notre travail est d'analyser les
réactions apparemment ethnocentristes ou visant à la
stigmatisation des enfants de migrants dans l'enceinte de l'Ecole.
Précisons ici que ces réactions n'ont été
évoquées pour la
189 Retranscription de l'interview de Nuncio TITONEL, dans le
reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.
190 C'est en 1936 que l'obligation scolaire est portée de
13 à 14 ans, à l'initiative de Jean Zay, ministre du Front
Populaire.
191 « Je me sentais complètement Français,
pas du tout immigré mais c'était les autres qui me traitaient de
macaroni ».
Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
68 toute petite enfance que par deux des témoins que
j'ai directement interrogés. Au premier contact avec le futur
élève et ses parents, elles semblent être inhabituelles et
se présenter essentiellement dans des régions ou l'immigration
était rare. Un des témoins interrogés m'a demandé
de ne pas raconter en détail ce premier jour qui reste encore un
souvenir très douloureux, quatre-vingt-cinq ans après. Quant
à Maria C., scolarisée à la campagne au sud de Nantes,
elle explique :
« Je me rappelle du jour de ma première
rentrée. J'étais terrorisée, tout le monde parlait
français. J'avais déjà été scolarisée
un an en Italie mais ici ce n'était pas pareil... Ma mère m'a
emmenée, elle ne comprenait pas non plus ce que lui disait ma
maîtresse. Ma maîtresse avait l'air de nous mépriser, en
tout cas, c'est ma vision des choses mais... c'était il y a longtemps...
»192.
Albert Balducci, interviewé par Pierre Milza fait le
même constat sur son arrivée à l'école alors qu'il a
sept ans :
« L'instituteur [...] le premier jour, il me dit d'aller
au tableau. Alors j'y vais, je vais au tableau. Mais je ne comprends rien aux
questions qu'il me pose. Alors il me balance deux paires de claques
»193.
Cette réaction, apparemment peu commune, peut aussi, et
c'est d'ailleurs sous-entendu par Maria, avoir été
transformée par le temps dans l'esprit du témoin. Globalement,
à la demande de leurs sensations sur cette arrivée dans
l'école française, les témoins répondent de la
même manière qu'aurait pu le faire des Français : soit ils
ont tout oublié de ce premier jour lorsqu'ils ont été
scolarisés jeunes, soit ils se souviennent de leur crainte de quitter le
rassurant foyer familial. Si l'on observe que « la situation
d'émigré réduit la vie à l'extérieur de la
famille et conduit à faire de la vie familiale l'essentiel
»194, pour ce premier jour, on ne peut pour autant pas parler
de différences notables à grande échelle entre les
sensations « d'abandon » des élèves Français et
des étrangers.
192 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).
193 A. BALDUCCI, interviewé par P. MILZA, Voyage en
Ritalie, Paris, 1993 (p. 329).
194 D. SCHNAPPER, « Centralisme et fédéralisme
culturels : les émigrés italiens en France et au EtatsUnis
», Annales ESC, n°5, septembre et octobre 1974 (p. 1150).
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