E). La relation entre l'équipe
pédagogique et les parents
Une caractéristique suffisamment présente dans
les témoignages pour que nous nous fassions un devoir de
l'évoquer ici concerne la volonté des migrants d'offrir à
leur descendance, non seulement, un futur correct mais aussi des perspectives
d'ascension sociale. Rien d'étonnant à cela d'ailleurs puisque
les migrants sont fréquemment parmi les plus entreprenants de leur
village, en tout cas, ceux de la première vague partant de leur
localité. Leurs pairs les ont, effectivement, souvent «
envoyés » en France afin de subvenir à la cellule familiale
élargie, en témoigne l'importance des sommes envoyés au
pays, souvent, durant toute la vie du migrant de la première
génération. Malgré leurs discours encourageant l'enfant
à travailler correctement à l'école, rappelons que la
majorité des classes populaires n'attend toujours pas grand-chose de
l'Institution scolaire avant la Seconde Guerre mondiale178. Si on la
voit comme un moyen de bien s'intégrer à la société
d'accueil, les parents de nos témoins, comme d'ailleurs le reste de la
population, ne comptent pas vraiment sur l'école en ce qui concerne la
promotion professionnelle de leurs enfants. Souvent, c'est leur décision
d'immigrer qui est mise en avant par les parents pour expliquer leur
volonté d'une ascension sociale dans la famille plus que leur
attitude
177 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).
178 « Dans l'Entre-Deux-guerres la majorité
des classes populaires n'attendait pas grand-chose de l'école, si ce
n'est le Certificat d'études conduisant à un apprentissage des
métiers d'ouvriers qualifiés et d'employés de bureau
».
Dans G. NOIRIEL, Le Creuset Français, Paris, 1988
(p. 292).
61 consistant à encourager au maximum l'enfant dans ses
études. En effet, et nous aurons l'occasion d'y revenir, les
carrières de nos témoins ne sont pas vraiment en
corrélation avec leur réussite scolaire. De même, leurs
diplômes, pourtant « professionnalisants », ne
définissent pas souvent quelles seront réellement leurs
professions futures. Cependant l'attention portée à l'Ecole
augmente sensiblement, surtout chez les populations d'origine
étrangère pendant et après le second conflit
mondial179.
Par ailleurs, on observe que plus le niveau scolaire est
élevé, plus la délégation parentsmaître est
contrôlée par les géniteurs, observation qui vaut pour les
immigrés comme pour les Français. On constate cependant quelques
variations à cette constatation : ce lien est particulièrement
fort au sein des classes les plus populaires et dans les familles ou au moins
un des deux parents est d'origine étrangère. En fait, « La
relation pédagogique [...] implique aussi les parents de
l'élève, qui, déléguant au maître ou à
la maîtresse d'école une part plus ou moins grande de leur
autorité parentale, attendent de lui autre chose que la simple
prestation d'un service »180.
En outre, il n'est pas rare que les témoins
évoquent le souvenir de leurs parents, allant raconter les incartades de
leurs enfants au maître. En effet, « les familles populaires ont
été souvent complices du système scolaire, cherchant
même, le cas échéant, la caution de son autorité
pour renforcer la leur auprès de leurs enfants »181.
Régulièrement, dans les témoignages, on remarque
l'approbation des parents pour une discipline scolaire qui, jusqu'au milieu des
années 1960 selon François Grezes-Rueff et Jean Leduc, pratiquera
encore régulièrement les châtiments
corporels182. Le quitus donné aux enseignants constitue
presque toujours, pour eux, l'assurance que leur enfant, cadré et
encadré au sein de l'école, ne deviendra pas un voyou.
« A huit, neuf ans [...] je suis allé à
l'école du Centre. [...] Une fois, la maîtresse m'a donné
une claque, je ne sais plus ce que j'avais fait. Je suis rentré à
la maison. Je l'ai dit. Mon père m'en a retourné une
deuxième et il m'a accompagné à l'école. Quand elle
l'a vu ma maîtresse lui a dit : « je lui ai donné une claque
mais vous savez monsieur B., il l'avait mérité » Mon
père lui a répondu : « vous avez bien fait, et la prochaine
fois vous lui en donnerez deux, ça m'évitera de lui en donner
quand il rentrera à la maison »183.
179 G. NOIRIEL, Le Creuset Français, Paris, 1988
(p. 292, 293).
180 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des
Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 91 à 92).
181 Y. DELSAUT, Ibid. (p. 97).
182 F. GREZES-RUEFF et J. LEDUC, Histoire des
élèves en France, de l'Ancien Régime à nos
jours, Paris, 2007 (Introduction).
183 César B. Interrogé par I. VENDRAMINI-WILLEMS,
L'immigration italienne à Noisy-le-Grand, Paris, 1992 (p.
121).
62 Les méthodes disciplinaires des enseignants sont
presque toujours acceptées, voire même encouragées par les
parents. Fessée, mise au coin, relégation sous le bureau du
maître sont légion, plus rarement l'instituteur utilise aussi la
férule. Ces punitions sont plus souvent évoquées dans les
écoles de garçons que dans les établissements pour filles.
Pour l'Ouest, les témoignages reçus pousseraient plutôt
vers une situation où les élèves étaient
relativement préservés de ces représailles physiques. Pour
autant, on ne remarque pas cette « quiétude " dans des proportions
suffisantes pour en tirer de vraies conclusions. Les témoignages ne sont
pas assez nombreux pour avancer un bilan géographique sérieux de
ces « sanctions physiques ".
L'influence de l'école et des instituteurs ne s'exerce
pas uniquement sur les enfants mais aussi sur toute la cellule familiale. La
relation entre l'équipe pédagogique et les parents est
essentiellement indirecte, en tant qu'elle s'effectue surtout par le biais des
devoirs et des leçons apprises en famille (plus souvent, avec la
mère ou avec les aînés). Les témoignages rapportent
effectivement que les rencontres entre les enseignants et les parents
d'élèves étaient peu courantes et presque toujours
à l'initiative des maîtres ou des maîtresses d'école.
En général, ces visites sont motivées par le comportement
ou les mauvaises notes des écoliers. Cependant l'amusante anecdote de WM
montre que, dans son cas, ses parents se sentaient concernés par sa
scolarité puisqu'il explique :
« Ma mère voulait que je passe le certificat
d'études, elle est venu trouver l'instituteur, elle lui a dit « il
faut présenter mon fils ". Lui, il a dit « il n'est pas prêt
", « si, si, si ! ". Ma mère elle voulait que je sois instruit mais
il fallait que je fasse les travaux paysans ! Elle est venu une deuxième
fois avec une paire de poulets et ça a fonctionné ... mais le
certificat d'études je ne l'ai pas eu "184.
L'enquête dont l'analyse est fort intéressante,
menée en 1951 sur les immigrés retient particulièrement
notre attention ici, parce qu'elle a été réalisée
par des instituteurs. Ce sont le démographe Alain Girard et le
psychosociologue Alain Stoetzel qui en sont à l'origine. Cent treize
familles du Lot-et-Garonne ont été interrogées par les
maîtres d'école dans un entretien semi directif. Etudiée
par Ronald Hubscher, professeur d'histoire contemporaine à Paris X
Nanterre, cette enquête nous livre des résultats
intéressants sur le rapport de l'enseignant avec le parent
d'élève, il analyse ainsi de façon très fine le
rapport de domination de l'instituteur sur les cultivateurs italiens du
Lot-et-Garonne : « L'enquêteur est l'instituteur du village, celui
qui fait classe à vos enfants ! Autorité reconnue, incarnation de
l'administration, le maître d'école introduit peut-être
à son corps défendant, un rapport de dominant/dominé entre
son interlocuteur
184 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).
et lui-même » 185. Nous nous servirons
aussi de ce travail pour analyser les présupposés de ces
instituteurs qui font surface dans cette enquête.
Nous avons ainsi pu observer que les raisons de
l'arrivée en France ainsi que le contexte d'accueil ont un
retentissement non négligeable sur la scolarité des
élèves d'origine italienne, sur leur intégration et aussi
sur leurs résultats scolaires. De même, le caractère
sédentaire de la plus grande partie de l'immigration transalpine est,
maintes fois, lié à la scolarisation dans l'Hexagone des enfants
de migrants. Face à une population globalement fortement
imprégnée par la religion, l'éducation traditionnelle
italienne domine, bien que des cas, non négligeables, d'immigration
politique impliquent une éducation différente des exemples
précédemment évoqués. Nous avons ainsi pu observer
que, si les attentes des parents face à l'école sont souvent
fortes, contraints à un quotidien fait de travail acharné et
à un manque de capacité pour aider l'enfant dans sa
scolarité, l'élève « italien » se trouve souvent
un peu démuni face aux demandes qui lui sont faites de la part de ses
instituteurs.
185 Ronald Hubscher s'interroge alors sur la tentation du parent
d'élève à tenir le langage qu'il croit que l'instituteur
attend de lui.
Dans R. HUBSCHER, « 1951, une enquête sur les
immigrés : la réalité biaisée ? » dans M-C.
BLANCCHALEARD, Les Italiens en France depuis 1945, Rennes, 2003 (p.
195).
CHAPITRE 2 LE QUOTIDIEN DE L'ENFANT D'ORIGINE
ITALIENNE A L'ECOLE
L'Ecole est, sans nul doute, l'instrument
privilégié de la communication et de l'intégration des
enfants de migrants. Cependant, l'établissement scolaire est aussi un
microcosme où se reflètent comme à travers une lentille
grossissante, les tensions de la société française par le
biais des attitudes adoptées par les élèves. Faire partie
intégrante d'un groupe constitue un besoin bien connu chez l'enfant. Aux
questions portant sur leur vécu à l'école, les
témoins interrogés évoquent, en premier lieu, des
souvenirs d'ordre social ou relationnel. Aucun ne se rappelait des contenus
précis des programmes scolaires, mis à part quelques
leçons particulièrement marquantes, ou des exercices où
ils s'étaient trouvés en difficulté.
Dès lors, travailler sur le quotidien de l'enfant
à l'école n'est pas l'exacte traduction d'une étude des
enseignements fournis par des professeurs, ou, du moins, pas seulement.
L'élève connaît effectivement là son premier espace
de socialisation, et en cela, au sein de l'école, dans la classe ou sur
la cour de récréation marque profondément sa vie d'adulte
et sa sensation, ou non, d'intégration dans un milieu social. Ajoutons
à cela, pour ce qui concerne les enfants d'origine italienne, que ce
lieu est souvent le premier espace officiel français et le fief de
l'idéologie républicaine.
Figure n° 5 : La vie en
classe186 (École Poincaré, Villerupt,
début des années cinquante)
Figure n° 6 : Daniel
Fantin187 Figure n° 7 : Jacqueline Fantin -
Crampon188
186 Collection privée de Jean BURINI.
187 Collection privée de Daniel FANTIN.
188 Collection privée de Jacqueline FANTIN-CRAMPON.
I. L'élève dans son
école
Pénétrons désormais dans les
écoles de l'Hexagone afin de comprendre de quelle façon l'enfant
d'origine italienne s'intègre dans ce milieu « français
» : comment est-il accueilli ? Quelles sont ses activités dans la
cour de récréation ? Quels autres écoliers
fréquente-t-il ? Si elles existent, quelles différences entre son
quotidien à l'école et celui des élèves issus d'un
milieu endogène français ?
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