B). Mixité, écoles de garçons et
écoles de filles : quelles différences ?
Il nous faut aussi évoquer un des grands changements
qui transforment l'éducation dispensée en France. C'est en 1925
que les programmes scolaires de l'enseignement secondaire féminin sont
modifiés, ceci dans le but de les aligner au contenu des cours
dispensés aux jeunes garçons. Ce détail est en fait fort
éclairant pour notre sujet, les habitudes transalpines en matière
de rapports garçons filles étant alors assez différentes
de celles mises en place par la réforme française de
1925195. A cette date, le cursus des lycées de filles
s'aligne sur celui des garçons et débouche désormais sur
le baccalauréat. La mixité dans les écoles, quant à
elle, voit le jour en 1945 dans les établissements publics des cycles
primaires et secondaires. En fait, même après cette date, rares
sont réellement les bancs d'école où se côtoient
garçons et filles avant la fin des années soixante196.
Ainsi, tous nos témoins sont scolarisés dans des
établissements non mixtes, du moins une fois passées leurs
années en école maternelle.
L'influence des enseignants et enseignantes semble
particulièrement forte pour les filles197. La rencontre,
à l'école, avec des Françaises et le contact avec la
culture et les valeurs de leurs professeurs sont, pour de nombreuses
élèves d'origine italienne, « l'occasion d'échapper
aux contraintes que la tradition fait peser sur leur sexe )>198.
Les Italiens sont souvent perçus par les femmes interrogées comme
plus machistes que les Français199. Citons ainsi Madeleine
Pruvost, née Dusio :
« Avec ma soeur, on se disait qu'on
préférerait épouser un Français, parce qu'ils
étaient plus gentils avec les femmes que les Italiens
)>200.
De même, Maria C explique :
« Avec mon père, je n'avais rien le droit de dire
parce que j'étais une fille. A l'école par contre, on
m'interrogeait, on me montrait que j'étais importante, que mon avis
comptait ! )>201.
195 Voir à ce sujet, M. VERHOVEN, École et
diversité culturelle, regards croisés sur l'expérience
scolaire des jeunes issus de l'immigration, Bruxelles, 2002 (p. 57).
196 Y. GAULUPEAU, La France à l'école,
1992, Paris (p. 116).
197 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p.
268).
198 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000 (p. 397).
199 « J'ai vu mon grand-père en photographie mais
jamais ma grand-mère parce que les Italiens, ils étaient
très macho : on ne devait pas prendre les femmes en photo.
»
Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
200 Témoignage de Madeleine PRUVOST dans M-C.
BLANC-CHALÉARD, Op. cit. (p. 397).
201 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).
Pour autant, ce dernier témoignage aurait pu être
celui d'une Française de la même époque, gardons nous donc
d'influencer notre pensée par le prisme des informations sur
l'immigration auxquelles nous serions particulièrement sensibles.
Cependant, nous pouvons tout de même remarquer que, méme au sein
d'écoles non mixtes, s'opèrent des changements importants pour
les filles d'origine italienne.
C). Les questionnements liés à l'habitat :
quelles différences entre l'intégration en ville, en banlieue ou
en milieu rural pour les enfants des primo arrivants ?
? D'ou viennent nos témoins ?
Notre étude n'est bien sür pas exhaustive : la
large gamme des statuts de migrants rend illusoire l'analyse d'un ensemble
homogène. En effet, si l'on compte 40 % d'élèves
étrangers dans les Alpes-Maritimes en 1935202, ce chiffre
est, on s'en doute nettement inférieur dans la plupart des autres
départements français. On a cherché à examiner les
situations de témoins aux conditions culturelles et géographiques
les plus variées possible, la majorité des témoignages
sont ici recueillis dans le Nord-Ouest de la France. Cette base
géographique d'une bonne partie de notre étude, n'est pas
à proprement parler une région de forte immigration italienne,
phénomène pourtant ancien, particulièrement en Bretagne.
Comme on peut l'observer à la lumière de ce tableau, en 1936, les
Italiens ne sont pas très nombreux en Bretagne, cependant, ils sont
régulièrement placés au premier rang des étrangers
présents dans la région :
Côtes du Nord
|
743 italiens
|
1571 étrangers
|
47, 3 %
|
|
Finistère
|
570 italiens
|
1290 étrangers
|
44, 2 %
|
|
Ille-et-Vilaine
|
664 italiens
|
2499 étrangers
|
26, 6 %
|
|
Morbihan
|
522 italiens
|
1591 étrangers
|
32, 8 %
|
Tableau n° 3 : Le recensement
des Italiens de Bretagne en 1936203
202 G. NOIRIEL, « L'école » dans L. GERVEREAU,
P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France
au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 259).
203 « Italiens de Bretagne », conférence de
Céline EMERY, 21 novembre 2009, Rennes.
NB : les chiffres soulignés font référence
aux périodes ou les italiens étaient au premier rang des
étrangers dans les départements correspondants.
Déjà, au XIXème, les artisans et les
réfugiés politiques sont nombreux dans les villes de l'Ouest. De
méme, la construction du chemin de fer au départ de Rennes en
1857 permet le recrutement d'une main d'oeuvre arrivant du Nord de la
Péninsule. Ces immigrants constitueront des réseaux migratoires
pérennes, puisque encore debouts à la période sur laquelle
nous nous penchons. Ce sont les primo arrivants qui, installés en
France, permettent l'arrivée de nouveaux Italiens, en effet, « la
condition de venue en France était que quelqu'un puisse subvenir
à ses besoins avant de trouver du travail »204. Par
ailleurs, les Italiens arrivent au premier rang des étrangers
présents en Bretagne durant l'Entre-Deux-guerres205. Ils
viennent alors majoritairement du Piémont, de l'Emilie-Romagne sont
Frioulans ou Vénitiens206 (les méridionaux arriveront
majoritairement après la Seconde Guerre mondiale). L'immigration de
l'Ouest est principalement motivée par la recherche d'un travail, les
Italiens utilisent alors les solidarités professionnelles ou familiales.
La population étrangère en Loire-Atlantique est globalement plus
tournée vers les métiers ouvriers que celle installée en
Bretagne, plus rurale. Aujourd'hui, on compte encore un peu plus de 400
personnes d'origine italienne en Loire-Atlantique207. Si ce n'est
pas la région de prédilection des migrants d'Outremont, on
remarque cependant la présence limitée de quelques « petites
Italies » essaimées dans l'Ouest. Citons par exemple, la micro
colonie de Saumur208 ou la rue de Trignac à Saint-Nazaire,
où l'on compte dans les années trente, dix-huit foyers italiens
et une dizaine de célibataires. En 1936, 625 Italiens habitent à
Nantes209. Dans la rue de Richebourg, on remarque huit familles
italiennes. A noter que tous les hommes de ces foyers travaillent dans
l'entreprise de travaux publics Le Guillou. De méme, dans le quartier de
Malakoff (voir figure n°8) on recense 57 Italiens qui travaillent presque
tous dans l'entreprise de maçonnerie Cattoni210. Les lieux de
sociabilité italienne sont présents dans toutes les villes qui
comptent un nombre des « colonies », même réduites, de
Transalpins. A Nantes, par exemple, « ils se réunissaient entre la
place du Pilori et la rue du Château. Dans ce café, il n'y avait
presque que des Italiens. Ils se rencontraient le dimanche matin.
L'après-midi, ils emmenaient
204 Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.
205 « Italiens de Bretagne », conférence de
Céline EMERY, 21 novembre 2009, Rennes.
206 Voir la carte des régions italiennes disponible en
document annexe n° 6.
207 AM, Nantes, Emigrer c'était fuir la
misère, 13 janvier 1997.
208 A Saumur, Laurent Garino remarque d'ailleurs que presque
aucun des migrants de la première génération n'a pris la
nationalité française.
Conférence de L. GARINO sur les Italiens de Saint-Nazaire,
vendredi 30 avril 2010, Maison de quartier de Méan Penhoët.
209 A. CROIX (dir), Nantais venus d'ailleurs. Histoire des
étrangers à Nantes des origines a nos jours, Rennes, 2007
(p. 230).
210 A. CROIX (dir), Ibid. (p. 237).
leurs femmes et leurs enfants. Ils ne chantaient que des chansons
en italien, surtout en napolitain »211.
Figure n° 8 : La « petite
Italie » de Malakoff en 1937212
« A la terrasse du café du boulevard,
décoré pour l'inauguration du stade de Malakoff (futur stade
Marcel-Saupin), plusieurs membres de la famille Cattoni, dont l'entreprise est
installée tout près, rue Cornulier, et à droite M.
Cocquio. A la fenêtre, les locataires : la famille Vigano vient du
même village que les Cattoni, Rodero ».
211 Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 --
Vertou).
212 Collection privée, publiée par A. CROIX (dir),
Op. Cit., 417 pages.
800
|
|
|
|
|
|
|
|
700
|
|
|
|
|
|
|
|
600
|
|
|
|
|
|
|
|
500
|
|
|
|
|
|
|
|
400
|
|
|
|
|
|
|
|
300
|
|
|
|
|
|
|
|
200
|
|
|
|
|
|
|
|
100
|
|
|
|
|
|
|
|
0
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Hommes
|
Hommes
|
Femmesde Femmesde
|
|
|
Total
|
|
|
|
|
Total
|
Total
|
|
|
de moins
|
de plus de
|
moins de
|
plus de 20
|
hommes
|
femmes
|
hommes et
|
|
de 20 ans
|
20 ans
|
20 ans
|
ans
|
|
|
femmes
|
Italiens
|
68
|
348
|
67
|
142
|
416
|
209
|
625
|
Eqoagnols
|
42
|
140
|
44
|
97
|
182
|
141
|
323
|
Polonais
|
24
|
81
|
28
|
50
|
105
|
78
|
183
|
Beiges
|
13
|
86
|
16
|
57
|
99
|
73
|
172
|
Autres
|
96
|
381
|
65
|
170
|
477
|
235
|
712
|
s de
Graphique n° 1
Réalise à partir des chiffres fournis par
Alain Croix dans « Entre-Deux-guerres : étrangers et 2 an a as
ans fmidéologie », Nantais venus d'ailleurs.
Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos
jours,
sRennes, 2007 (p. 338).
(On ne fait figurer ici que les quatre
nationalités les plus représentées a Nantes).
· Des différences importantes liées au
fait qu'il y ait, ou non, une communauté italienne importante dans la
ville et l'école.
Les milieux quasi-exclusivement transalpins jouent souvent, au
sein du territoire d'accueil français, un rôle de « refuge "
où se trouvent conservés l'ambiance et le mode de vie italien. Il
ne fait aucun doute qu'il existe une tendance grégaire chez les migrants
Italiens comme dans tous les phénomènes migratoires d'ailleurs
(les exemples des colonies transalpines de Lorraine, les quartiers parisiens ou
marseillais presque exclusivement constitués d'immigrés
originaires du même village en sont des exemples flagrants). Cependant,
l'essaimage individuel a pu être aussi une caractéristique de la
période 1935-1955. Nous estimons de 6 à 10 % la moyenne des
étrangers scolarisés dans les écoles françaises au
début de notre période (6 % pour Marie-Claude
Blanc-Chaléard pendant l'Entre-Deux-guerres213, 8 à 10
% dans les années trente selon Gérard Noiriel214).
Pour la fin de la période étudiée, on se situerait
plutôt autour de 3 % d'étrangers dans l'enseignement primaire en
1952215. Cependant, ces chiffres ne faisant pas état des
naturalisés scolarisés, son intérêt pour notre sujet
est limité.
Marie-Claude Blanc-Chaléard a étudié le
maintien des familles italiennes dans les villes françaises, elle a
ainsi pu démontrer que la ville fixe moins que la banlieue en raison des
passages plus intenses de toutes les catégories de la
population216.
Pour Nantes et l'Ouest en général, mis à
part les « petites Italies " relativement réduites où l'on
observe une forte prégnance de « l'entre soi ", il y a,
proportionnellement à la France, peu d'autres immigrés dans les
écoles fréquentées par nos témoins. Après
1939, on remarque néanmoins la présence de quelques enfants de
réfugiés espagnols ayant fuit le régime franquiste
217 . Par ailleurs, particulièrement, à Couëron,
on remarque une colonie assez importante de travailleurs
polonais218. Les écoles de l'Ouest ne sont donc pas tout
à fait
213 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000 (p. 9).
214 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004
(p. 251).
215 G. NOIRIEL, « L'école " dans L. GERVEREAU, P.
MILZA et E. TEMIME, Toute la France.Histoire de l'immigration en France au
XXème siècle, Paris, 1998 (p. 260).
216 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est
Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960),
Rome, 2000 (p. 389).
217 On trouve de jeunes espagnols dans l'école de Carina
Travostino, en Sarthe par exemple. Questionnaire de Carina TRAVOSTINO - CORBEAU
(2010).
218 Voir à ce sujet, le travail de V. NOWACKI, « La
paroisse polonaise de Couëron de 1923 à nos jours ", Nantes, 1989
(116 pages).
75 dépourvues de bataillons d'élèves
étrangers non italiens219. La proportion d'étrangers
dans les classes ou dans les quartiers où vivent les témoins
influence leur scolarité, tant d'ailleurs leur attitude et leur
intégration dans l'école que leurs résultats scolaires.
Phénomène difficile à quantifier, il est cependant
suffisamment fréquent dans les témoignages pour qu'on
s'arrête ici quelques instants sur les différences de modes de vie
que connaissent un jeune issu d'une « colonie italienne » et un
autre, isolé de ses condisciples d'Outremont. Ivo Livi, futur Yves
Montand, dit ainsi n'avoir pas vraiment été affecté par
les injures anti-italiennes proférées dans la cour de
récréation : cette réaction de relative
indifférence s'expliquerait, selon lui, par le fait que son école
était fréquentée essentiellement par des immigrés.
Yves Montand naît en Toscane, son père, Giovanni Livi, militant
communiste fuit le fascisme en s'installant en France. Ivo est alors
scolarisé à l'école communale du 52 boulevard Viala dans
le centre de Marseille. Il quitte l'école, alors qu'il n'a qu'onze ans
et demi pour entrer à l'usine, la fabrique de balais fondée par
son père ayant fait faillite. A quatorze ans, il passe son CAP de
coiffeur. Il explique dans une interview rapportée par ses biographes
:
« Je ne percevais pas vraiment que j'étais un
immigré. J'entendais bien, ici ou là, des injures telles que
« sale macaroni » ou « babi de con »220. Mais je
n'en saisissais ni la cause ni le but. Cela me passait au-dessus de la
tête et je me disais : « qu'est ce qu'il raconte cet imbécile
? ». A l'école, nous n'étions que des enfants
d'immigrés. Le maître pouvait à bon droit demander «
qui est français, ici ? » tous les noms avaient des consonances
étrangères ... »221.
On voit donc une différence importante, dans la
perception des élèves, liée au fait qu'il y a, ou non, une
forte présence d'étrangers dans l'école d'accueil des
jeunes italiens. Bien sûr, le caractère de l'écolier a
aussi une grande importance dans ses émotions en réaction aux
offenses qui lui sont faites. Ainsi, par exemple, Carina Travostino, en
réponse à la question « comment
219 - « Pas d'autres étrangers dans les
écoles. En apprentissage de maçonnerie, j'ai retrouvé des
enfants d'immigrés. C'était des copains d'apprentissage, on
parlait en français. Il y avait des Polonais. Dans mon école, je
pense que j'étais le seul d'origine italienne ».
(Nantes : école de Toutes Aides à Doulon,
Saint-Clément, collège Saint-Stanislas).
Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009
-- Basse Goulaine).
- « A Vial, il y avait une Polonaise, mais, en fait, il
y avait peu d'étrangers ».
(Lycée de Nantes), entretien avec Maria CERA - BRANGER (4
février 2010 -- Vertou).
- « En plus des Italiens, il y avait une famille
polonaise, une allemande ».
(Scolarité à Saint-Nazaire) questionnaire de Walter
BUFFONI, 2010.
220 On traite habituellement de « babi » les
Italiens du Sud. Il semble que ce terme injurieux désignant la
population méridionale d'Italie n'était employé que dans
le Sud de la France, et, on le voit pour Yves Montand, utilisé
ponctuellement, et probablement par ignorance, pour désigner aussi des
Transalpins du Nord.
221 Interview de Yves Montand cité par H. HAMON et P.
ROTMAN dans Tu vois, je n'ai pas oublié, Paris, septembre 1990
(p. 41).
76 vous sentiez vous à l'école ?
», explique qu'elle a été « quelque fois «
agressée " par ces petites paysannes pour qui j'étais quand
méme l'étrange fille pas comme eux. Donc « macaroni "
était leur insulte première, ne sachant peut-être pas ce
que ça voulait dire... Cela passait parce que j'avais bon
caractère " 222. Par contre, Jacqueline Fantin-Crampon,
répond, à la même question, « J'ai subi quelques
insultes hors de l'école par des camarades qui me traitait de «
macaroni ", je leur répondais, je ne me laissais pas faire
"223.
Dans d'autres régions, comme l'Ouest, d'où provient
la majorité de nos témoins, les Italiens sont minoritaires.
« Comme on était des ruraux, il n'y avait pas de
regroupement, on était isolé donc on était comme un cheval
dans un pré : perdu ! Ceux qui ont vécu en ville, c'est pas la
méme façon. [...] J'étais toujours isolé,
j'étais avec mon frère mais avec lui, on parlait patois aussi
"
Ce même témoin me parle de la période
où il vivait en ville, la situation était alors fort
différente :
« Je crois que j'ai appris le français dans
l'année de maternelle à Biarritz. Mais quand je rentrais à
la maison, je ne parlais que le patois. Mon père a travaillé avec
des Italiens, des Portugais et des Espagnols [...] et donc on parlait charabia.
[...] Donc l'évolution c'est que ça n'était pas bon pour
moi : je parlais le patois jusqu'à mes 21 ans à la maison.
"224
De méme, Jean Burini, lorsqu'il évoque la Lorraine
sidérurgique de son enfance, explique :
« A l'école primaire, dans la classe, on était
dix nationalités : Français, Luxembourgeois, Italiens, Polonais,
Russes, Ukrainiens, etc. ".
La photographie de sa classe au cours de l'année
scolaire 1949-1950 et son descriptif sont une parfaite illustration de cette
constatation : sur les vingt-et-un élèves de la classe de
Monsieur Delon, dix ont des noms italiens225.
Citons aussi le souvenir de Serge Reggiani, bien
différent de celui des enfants de primo arrivants installés dans
les « petites Italies » de l'Hexagone. Son école est, en
effet, fort éloignée de la cosmopolite Marseille du jeune Ivo
Livi, des colonies italiennes de Lorraine ou de la ville de Biarritz
racontée par WM. Le jeune Sergio est, pour sa part, scolarisé en
Seine Inférieure (dans l'actuelle Seine-Maritime), à mi-chemin
entre les villes du Havre et de Rouen. Il arrive à huit ans en France et
est inscrit à la rentrée des vacances de la Toussaint 1930 dans
l'école
222 Questionnaire de Carina TRAVOSTINO - CORBEAU (2010).
223 Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.
224 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).
225 Le faible nombre d'élèves s'explique par le
fait qu'il s'agît de la « classe creuse " de 1941. Les classes
étaient donc fréquemment des cours doubles.
primaire de la rue Carnot à Yvetot (qui aujourd'hui
porte le nom d'école « Cahan Lhermitte "). Lui aussi, comme tant
d'autres témoins, rapporte les habituelles insultes xénophobes
antiitaliennes mais il semble avoir vécu l'évènement avec
bien moins d'indifférence que ses homologues cités plus
haut226. Il est en effet le seul italien de son école, et, en
tant que tel, considéré comme une « curiosité locale
".
De même, le fait d'être issu ou non d'un couple
mixte a une grande influence sur l'intégration à l'école
et le sentiment d'appartenance à la nation (c'est en 1924 que les
Italiens accèdent au premier rang des mariages mixtes chez les
étrangers résidents en France, dépassant ainsi les
Belges227). Les couples mixtes sont bien sûr plus
fréquents lorsque l'on sort des « petites Italies ".
Précisons cependant que les chiffres « mentent " puisque, souvent,
les unions déclarées comme « franco-italiennes " se font en
fait entre conjoints d'origine italienne, dont l'un des deux est né en
France ou bien a été naturalisé. Plus la situation
socioprofessionnelle du migrant est élevée, plus la
probabilité d'une union avec une Française est importante. Ce
sont toujours les citadins, et les immigrés les plus anciennement
arrivés qui offrent les taux d'unions mixtes les plus
importants228. On associe presque toujours ce
phénomène à une bonne intégration comme l'atteste
Wassila Ltaief qui explique que « dans le discours actuel sur
l'immigration, qu'il soit médiatique, sociologique ou même
juridique, le mariage mixte est invoqué de façon
récurrente pour soutenir l'idée de la réussite du
processus d'intégration des migrants, que celle-ci soit pensée
dans les termes de l'assimilation ou du pluralisme culturel "229 .
La forme la plus fréquente des unions maritales franco-italiennes est
celle illustrée par une famille où le père est italien et
la mère française230.
|