L'arbitrage ohada à l'épreuve de l'arbitrage investisseur-etat( Télécharger le fichier original )par Cassius Jean SOSSOU Université de Genève Faculté de Droit et Hautes Etudes Internationales et du Développement - Master of Advanced Studies in International Dispute Settlement (MIDS) 2008 |
2.- Etat de la problématique dans l'arbitrage institutionnel OHADA : les exigences de la transparence et de la participation de tierces personnes171. Comme nous venons de le démontrer, les arbitrages internationaux d'investissements ont des besoins spécifiques tels que le caractère public de la procédure ; l'accès aux documents de la procédure et l'admission de tierce personne dans la procédure d'arbitrage. Ces exigences sont largement reconnues de la communauté internationale en général et par le Centre pour le règlement des différends relatifs à l'investissement (CIRDI) en particulier qui a d'ailleurs modifié ses règles sur l'arbitrage et a incorporé les exigences de transparence et de participation publique dans les arbitrages entre un investisseur et l'Etat. 172. Pour ce qui est du cas spécifique de l'OHADA, ses Règles ont été adoptées le 11 Mars 1999 en vue d'harmoniser d'une part l'arbitrage ad hoc dont l'Acte Uniforme sert de base légale et l'arbitrage institutionnel qui trouve sa source formelle dans les dispositions du Titre IV du Traité OHADA intitulé «l'arbitrage«. A celles-ci il convient de mentionner que le Règlement de la CCJA est le complément naturel du Traité organisant les conditions procédurales dans lesquelles cet arbitrage institutionnel OHADA peut se dérouler sous les auspices du Centre d'arbitrage portant le même nom. Ceci étant, l'on peut se poser la question de savoir si le législateur OHADA au cours du processus de rédaction de ces instruments a pris en compte les spécificités ou exigences liées à l'arbitrage mixte ou arbitrage d'investissement décrites ci haut. La question autrement formulée serait de savoir si les normes OHADA relatives à l'arbitrage telles qu'elles apparaissent aujourd'hui sont spécifiées pour être appliquées à un arbitrage entre un investisseur privé et un Etat. L'intérêt pour cette question relève du fait que les Règlements des grands Centres d'arbitrage comme la CCI ou la CPA ou ceux ayant un caractère ad hoc comme la CNUDCI sont, pour la plupart formulés de façon à permettre aux arbitrages internationaux entre investisseur et Etat sur le fondement d'un Accord d'investissement ou d'une loi nationale offrant un tel arbitrage à pouvoir s'appliquer. L'on se rappelle le processus de révision du Règlement de la CNUDCI entrepris depuis 2006, révision décidée suite au constat de l'inadéquation des dispositions du Règlement d'arbitrage de la CNUDCI aux exigences de l'arbitrage d'investissement. En effet, force est de constater qu'en dépit de la «success story« connu par les dispositions de la CNUDCI pour réguler les différends du commerce international et leur application quasi fréquente dans les arbitrages entre investisseur et Etat sur le fondement d'un Traité, les textes de la CNUDCI sont apparus un peu obsolètes et exigeaient une révision eu égard à la comparaison aux Règlements des grands Centres modernisés de l'arbitrage dans le mode tels que la le Centre International d'Arbitrage (CIA) de la CCI, le Centre d'arbitrage de l'OMPI, celui du LCIA ou encore celui de ICDR (AAA). 173. Cet état de chose rapporté au cadre de la législation OHADA sur l'arbitrage voudra que l'on remarque que cette législation et plus spécifiquement le Règlement de la CCJA n'a pas anticipé sur les difficultés qui ont émergé de la pratique de l'arbitrage international grosso modo et l'arbitrage d'investissement en particulier et qui ont induit les institutions modernes d'arbitrage à tenir compte des spécificités liées à l'arbitrage entre investisseur et Etat dans leur texte pour réguler la procédure devant elles. En effet, les Règles actuelles de l'OHADA ne prennent pas en compte ces dimensions d'intérêts publics dans l'hypothèse d'un arbitrage entre un investisseur et un Etat ce qui n'est pas surprenant car ces Règles ont été élaborées primordialement, si ce n'est exclusivement, pour réguler les divergences à caractère juridique opposant les parties privées à un arbitrage. 174. Pourtant ce ne sont pas les avantages de la mise en conformité du Règlement de la CCJA avec la perspective de son adaptation aux procédures de l'arbitrage d'investissement qui manquent. Ceci dit, la plus grande transparence et l'incorporation des paramètres de participation publique dans l'arbitrage de la CCJA aura pour avantage l'amélioration de la procédure d'arbitrage sous les auspices de l'OHADA. Il s'en ressortira une meilleure qualité des décisions arbitrales avec une plus grande crédibilité en l'arbitrage OHADA comme ce fut le cas, à ce jour, par plusieurs décisions arbitrales146(*). Comme décrit en détail ci-dessous, nous croyons que ceci peut être fait d'une manière ordonnée, en effet méthodiquement, sans impact sur l'applicabilité de ces règles à un arbitrage dans le contexte commercial. 175. Les incommodités qui découlent des Règles actuelles de l'OHADA telle que décrites en haut peuvent être solutionnées sans soit causer des coûts indues, des délais ou des ruptures aux arbitrages ou soit mettre en danger les doits fondamentaux procéduraux et substantiels des parties, à la condition que les réformes soient minutieusement conduites de façon à prendre en compte le richesse des expériences actuelles acquises de la pratique de l'arbitrage d'investissement connues sous l'emprise d'autres Règlements. En plus, il n'est point inutile d'insister sur le fait que ces réformes contribueraient au renforcement des dispositifs de l'OHADA sur l'arbitrage commercial tout en s'accommodant à la dimension d'intérêt public nécessaire dans un arbitrage investisseur-Etat. Le défaut de mis en conformité envisagé ici mettrait le droit OHADA en déphasage avec le développement actuel du droit de l'arbitrage. 176. En effet, les exigences ci-dessus énumérées systématisent la différence entre les arbitrages entre investisseur-Etat qui font ressortir la nécessité de protection des intérêts publics ce qui ne ressort pas des implications de l'arbitrage privé commercial. Cette fondamentale différence entre l'arbitrage d'investissement et l'arbitrage privé commercial a une directe implication sur la conduite de la procédure arbitrale et les Règles de l'arbitrage OHADA peuvent, à notre avis, facilement prendre en compte ces différentiels avec l'application de certaines dispositions de ce droit à cette forme d'arbitrage et/ou de leur révision. a.- La transparence dans l'arbitrage d'investissement et ses implications dans le cadre d'un arbitrage sous les auspices de l'OHADA177. L'évocation de la transparence dans un arbitrage d'une manière générale ne s'accommode guère à l'essence de ce mode de règlement des conflits. En effet, l'arbitrage s'est forgé la réputation d'être un processus confidentiel qui se déroule sans que l'existence même du différend fasse l'objet d'une audience publique et la sentence qui s'en dégage, d'une façon générale, est exemptée d'une diffusion publique. Notons toutefois que, la sentence même lorsqu'elle se doit d'être publiée elle est généralement modifiée de manière à ne pas révéler l'identité des parties147(*). Ainsi, dans les arbitrages internationaux il n'existe aucun mécanisme offrant la garantie d'une accessibilité publique aux différentes étapes de la procédure, aux informations relatives à la position des parties et aux documents procéduraux ce qui a fait dire que le huis clos auquel l'arbitrage s'accommode ne heurte pas les principes fondamentaux de la justice148(*). 178. Ceci étant, la réalité change lorsque l'arbitrage fait intervenir les composantes d'intérêts publics et que l'Etat y est impliqué. En effet, dans un arbitrage d'investissement lorsqu'on sait que la délicatesse des mesures gouvernementales prises dans la perspective de protection des intérêts publics est susceptible de heurter les intérêts de l'investisseur, la question se pose de savoir si la pratique de la confidentialité arbitrale est en phase avec le devoir d'information et subséquemment la publicité de l'arbitrage dans l'intérêt des populations concernées par l'investissement ? C'est là tout l'enjeu de la question relative à la transparence dans un arbitrage d'investissement. En effet, cette problématique pose moins de questionnement dans les arbitrages privés commerciaux que dans les arbitrages investisseur-Etat étant entendu que les mesures caractéristiques de la confidentialité de l'arbitrage telles que l'enregistrement des demandes d'arbitrage au secrétariat des institutions d'arbitrage dans des registres non accessibles au public, le caractère non accessible aux tierces parties aux procédures et présentation de communications et le caractère secret des sentences arbitrales sont plus ancrées dans les codes et pratiques des arbitrages privés commerciaux et soulèvent a contrario beaucoup d'interrogations dans les arbitrages investisseur-Etat. 179. Nous analyserons cette notion de transparence dans l'arbitrage d'investissement soumis au Règlement de la CCJA en passant en revue seulement deux éléments liés à la confidentialité pour lesquels nous proposerons des mesures de réformes. Ainsi, la publication des sentences arbitrales et la participation de tierces parties focaliseront notre intérêt de réflexion. a1.- La confidentialité dans l'arbitrage CCJA180. Tout comme les autres Règlement d'arbitrage, le Règlement de la CCJA n'échappe pas à cette tendance généralisée de la confidentialité de l'arbitrage. Tout un article lui est d'ailleurs consacré, il s'agit de l'article 14149(*) qui évoque non seulement la confidentialité procédurale, mais aussi la confidentialité des travaux et réunions de la Cour pour l'administration de l'arbitrage, la confidentialité des documents soumis à la Cour ou établis par elle à l'occasion des procédures qu'elle diligente, la confidentialité «intuitu personae« des acteurs de l'arbitrage, la confidentialité des sentences arbitrales. Doit-on battre en brèche cette confidentialité de l'arbitrage CCJA au profit de la transparence dans l'hypothèse de l'application de ce Règlement à un arbitrage d'investissement ? 181. De la lecture des dispositions de l'art. 14 du Règlement CCJA qui pose le principe de la confidentialité, il ressort que la confidentialité est applicable non seulement à la procédure arbitrale mais aussi le législateur OHADA a étendu cette confidentialité aux sentences arbitrales. Il s'en induit donc le caractère privé de la sentence arbitrale CCJA, non ouverte à l'information du public. 182. Lorsque le texte dispose que la procédure arbitrale est confidentielle et que les travaux de la Cour relatifs au déroulement de la procédure arbitrale sont soumis à cette confidentialité, ainsi que les réunions de la Cour pour l'administration de l'arbitrage il s'en induit le huis clos de l'audience qui est une des caractéristique typique des arbitrages privés commerciaux. Du point de vue du droit comparé une telle formulation est référencée dans les dispositions du Règlement de la CNUDCI (article 25 § 4) qui toutefois pose les limites à une telle confidentialité «l'audience se déroule à huis clos, sauf convention contraire des parties«. Ce qui n'est pas le cas dans les dispositions du Règlement OHADA de l'arbitrage. Cette confidentialité de la procédure et subséquemment des audiences arbitrales telle que prévue par le droit OHADA est de nature contradictoire avec ce que le Prof. Emmanuel Gaillard appelle les caractères propres à l'arbitrage d'investissement et qu'il cite comme étant : l'affaiblissement de la confidentialité, l'usage de la procédure d'amicus curiae et le développement d'une véritable jurisprudence arbitrale, plus nourrie et plus cohérente que dans tout autre domaine150(*). En effet, l'accès aux procédures et la présentation de communications par de tierces parties est de plus en plus autorisé dans les arbitrages d'investissement étant entendu que de nouvelles évolutions se font jour à cet égard et certains accords d'investissement ainsi que certains tribunaux arbitraux autorisent les tierces parties intéressées à participer aux procédures et à présenter des communications écrites sur l'affaire. Il en est ainsi du CIRDI qui a fait le choix de publier les noms des parties et des arbitres ainsi que l'état d'avancement de la procédure ce qui a fait naître une attente très forte du public de connaître également le dénouement de l'affaire151(*). En conséquence, la participation des Etats membres de l'OHADA à un arbitrage d'investissement sous les auspices de la CCJA devrait contribuer au changement significatif du comportement des acteurs à cette forme de règlement des conflits. Un auteur n'a-t-il pas affirmé à ce sujet que la génération dont il fait « partie s'est formée à l'arbitrage en partant du principe que la confidentialité était inhérente à ce type de procédure. Aujourd'hui, au contraire, un vent de transparence et de publicité souffle sur l'arbitrage et balaye le traditionnel secret enveloppant naguère l'arbitrage commercial international. Il apparait désirable que les gouvernements rendent public et communiquent à l'organe législatif la teneur et l'étendue des engagements pouvant dériver des traités internationaux qu'ils concluent et des procédures arbitrales dans lesquels ils sont engagés«152(*). Les dispositions du texte du Règlement de la CCJA tel qu'il se présente n'étant pas de nature à favoriser la «démocratisation de l'arbitrage« nous suggérerons la révision de ce texte dans ce sens. * 146 _ E.g. Methanex Corporation v. United States, «Decision of the Tribunal on petitions from third persons to intervene as amici curiae», 15 January 2001, page 22, paragraph 49. * 147 _ Voir Jack J. Coe, Jr. SYMPOSIUM: INTERNATIONAL COMMERCIAL ARBITRATION: «Taking Stock of NAFTA Chapter 11 in its Tenth year: An Interim Sketch of Selected Themes, Issues and Methods« 36 Vanderbilt Journal of Transnational Law, 1381, octobre 2003. * 148 _ Nigel Blackaby «Public Interest and Investment Treaty Arbitration«, Investment Treaties and Arbitration, Association suisse de l'arbitrage, conférence tenue à Zurich le 25 janvier 2002. * 149 _Article 14 du
Règlement CCJA «La procédure arbitrale est
confidentielle. Les travaux de la Cour relatifs au déroulement de la
procédure arbitrale sont soumis à cette confidentialité,
ainsi que les réunions de la Cour pour l'administration de l'arbitrage.
Elle couvre les documents soumis à la Cour ou établis par elle
à l'occasion des procédures qu'elle diligente. Sous réserve d'un accord contraire de toutes les parties, celles-ci et leurs conseils, les arbitres, les experts, et toutes les personnes associées à la procédure d'arbitrage, sont tenus au respect de la confidentialité des informations et documents qui sont produits au cours de cette procédure. La confidentialité s'étend, dans les mêmes conditions, aux sentences arbitrales«. * 150 * 151 * 152 |
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