b.- La notion
d'intérêt public : fondement de la différence entre
arbitrages d'investissement et arbitrages commerciaux
165. De façon basique, comme nous l'avons
déjà souligné, les arbitrages d'investissements
diffèrent substantiellement des arbitrages commerciaux qui n'impliquent
uniquement que des parties privées. En effet, les premiers induisent la
protection des intérêts publics ce qui n'est pas le cas dans les
arbitrages commerciaux privés. Or cette protection des
intérêts publics passe par un certain nombre de fondamentaux pour
lesquels l'investisseur privé, la plupart du temps, dans sa relation
contractuelle avec l'Etat se trouve en porte-à-faux avec les
intérêts publics de ce dernier. Ainsi, la nécessité
pour l'Etat de protéger les intérêts publics dans un
arbitrage d'investissement peut résulter des réalités qui
suivent :
166. Dans un premier temps, il est à remarquer que les
conflits surgissent la plupart du temps dans des secteurs de service public
vitaux, très sensibles et relatifs au bien être des populations
tels que la fourniture d'eau, le pétrole et le gaz,
l'électricité, l'évacuation des déchets, le
transport et les télécommunications. Le seul fait de la
présence dans un arbitrage d'une entité étatique, et plus
précisément d'un Etat en tant qu'autorité souveraine
dépositaire de la puissance publique, soulève des questions
d'intérêt public dans la mesure où les citoyens de cet Etat
peuvent estimer être investi du droit d'information sur le
déroulement des opérations d'arbitrage et des résultats
auxquels ils aboutiront. Ceci les intéressent à plus d'un chef
dans la mesure toutes les questions liées aux principes régissant
les droits de l'homme et la bonne gouvernance des activités de l'Etat
impliqué dans la procédure et pour lesquelles le tribunal
arbitral aura à se prononcer se doivent d'être assujettis aux
principes élémentaires de transparence et de participation
publique. Dans ces conditions il est difficile de ne pas voir un fort
intéressement de la population à ce que les contestations dans
ces domaines critiques soumises à l'arbitrage OHADA soient
résolues de façon à ce que leurs doits sur ces services
publics ne soient altérés. D'où la corrélation
entre l'existence de cet intérêt public et les implications sur
la conduite de l'arbitrage.
167. En un second lieu, dans les arbitrages d'investissements
il est souvent allégué la mauvaise conduite de l'Etat pour
justifier le déclenchement de la procédure prévue à
cet effet. Ainsi, ces arbitrages sont de plus en plus enclins à
résoudre des contestations d'investisseurs privés avec comme
toile de fond la remise en cause des mesures réglementaires prises par
les Etats pour protéger le bien-être public de sa population pour
peu que ces mesures affectent directement ou indirectement la valeur de
l'investissement. De telles mesures peuvent inclure la législation
relative aux droits humains, les réglementations sur la santé et
la sécurité, celles sur les droits du travail, les droits
relatifs à la protection environnementale. Ici aussi, les arbitrages
d'investissements sont susceptibles d'avoir des répercussions sur ces
droits y compris le bien-être des personnes et communautés du
lieu de l'investissement. On en revient pratiquement à la même
conclusion ici aussi comme quoi, il serait impossible de ne pas y voir
l'intérêt public qui peut susciter l'engouement de la population
et subséquemment sa participation.
168. Troisièmement, tout arbitrage investisseur-Etat a
des conséquences sur le budget public de l'Etat ceci d'autant plus qu'il
engage dans une large mesure la responsabilité financière de
l'Etat affectant de ce fait la trésorerie de cet Etat dans la mesure
où c'est le budget de l'Etat qui s'en trouve conséquemment
affecté. Ainsi, les coûts qu'induit la défense des
intérêts de l'Etat dans un tel arbitrage sont considérables
mettant ainsi en péril les fonds publics de l'Etat qui autrement
seraient affectés à la réalisation d'autres objectifs
à caractère public. Mieux, la condamnation de l'Etat par un
arbitre dans un arbitrage investisseur-Etat emporte généralement
le paiement de sommes astronomiques grevant ainsi le budget de l'Etat.
169. Conclusion, personne ne peut supporter l'idée
selon laquelle la participation étatique à un arbitrage
d'investissement dans les conditions ci-dessus énumérées
peut légitimement avoir lieu sans qu'aucune transparence ou
opportunité de participation publique soit envisagée. Pourtant la
transparence et la participation publique est ce qui doit ou typiquement ce qui
se doit d'être fait dans un arbitrage d'investissement sous les auspices
du droit OHADA dans l'hypothèse où une question ou tout autre
est soumise à un panel arbitral. En effet, dans un arbitrage
international d'investissement conduit sous les auspices de la CCJA telle
qu'elle se présente actuellement, manquerait un des
éléments fondamentaux qui caractérisent l'arbitrage
d'investissement. Par exemple il serait impossible pour le public et même
les autres Etats (non impliqués) de savoir qu'une demande d'arbitrage a
été enregistrée, d'être informé de la nature
de la question de fond soumise à la décision du panel arbitral,
de suivre par souci d'intérêt les arguments oraux et écrits
soumis par les parties à l'arbitrage, d'être mis au courant des
décisions des arbitres sur les questions procédurales mais aussi
du contenu de la sentence arbitrale.
170. Le secret entourant tout arbitrage privé
commercial et qui est aussi observable dans l'arbitrage OHADA se doit de faire
place au respect de la transparence et de la participation publique.
L'arbitrage commercial impliquant les parties privées, au contraire, ne
se soucie guère de l'importance de la notion d'intérêt
public et donc par définition ne vise pas l'Etat et son patrimoine,
c'est pour cette raison que cette revue ne s'intéressera qu'aux aspects
du Règlement OHADA dans l'hypothèse de son application aux
différends du contentieux de l'investissement et non à
l'arbitrage privé commercial.
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