L'être en devenir, considérations aristotéliciennes sur le devenir( Télécharger le fichier original )par Martin MBENDE Grand séminaire philosophat Paul VI Bafoussam, Cameroun - Graduat de philosophie 2008 |
Devenir et éthiqueLe discours sur l'Être en devenir appelle de toute évidence le discours éthique. En effet, dans l'analyse qu'il réalise au sujet du devenir, Aristote élabore sa réflexion autour d'une notion fondamentale : l'antériorité de l'acte. Nous avons déjà suffisamment expliqué cette notion. Qu'il nous soit permis d'observer tout simplement que l'Acte pur vers lequel le devenir est ordonné correspond au Souverain Bien. Dès lors, nous pouvons appréhender le devenir comme mouvement de l'Être vers le Bien. Et si l'éthique est la réflexion sur les attitudes à tenir en vue de faire le bien et éviter le mal, elle s'avère être le complément premier de la réflexion sur le devenir. Il y a donc un rapport de complémentarité entre devenir et éthique. Par ailleurs, remarquons que le devenir intègre les trois dimensions de la temporalité à savoir le passé, le présent et le futur. En effet, dans le devenir, il y a ce qui était et qui n'est plus, ce qui est maintenant et qui après ne sera plus, ce qui sera et qui maintenant n'est pas encore. A cet effet, plus qu'une éthique des circonstances présentes, le devenir fait appel à une éthique du futur qui devient sa condition de possibilité. Car, si le futur n'est pas possible, le devenir non plus ne le sera. D'où l'importance d'une éthique futuriste à l'exemple de celle de Hans Jonas, éthique fondée entre autre sur l'heuristique de la peur et le principe de responsabilité asymétrique qui plaide en faveur de l'avenir de l'humanité, avenir ou devenir pourtant menacé par les multiples conquêtes des technosciences sur l'homme et son environnement. Cependant, loin de condamner les technosciences, condamnation qui serait injuste quant à leur portée positive, il faudrait plutôt y voir un mal nécessaire et conclure avec Rabelais que la conscience scientifique doit se dédoubler de la conscience éthique. Il est donc établit, le lien entre devenir et éthique. Toutefois, le discours sur l'Etre en devenir relevant de la métaphysique, celle-ci apparaît finalement comme le fondement même de l'éthique. Dès lors, l'éthique n'est plus un simple complément de la métaphysique, mais le fruit même de son développement. D'où la structure de l'arbre philosophique de René Descartes dont les racines sont la métaphysique, le tronc la physique et les branches qui sortes de ce tronc la mécanique, la médecine et l'éthique. Et à ce propos, on comprend pourquoi Levinas n'a pas pardonné à Heidegger d'avoir développé une métaphysique qui ignora l'éthique. Pour Levinas, le lien entre métaphysique et éthique est si fort que finalement, les deux semblent se confondre. En effet, une éthique qui ne repose pas sur un fondement métaphysique n'est rien d'autre qu'une éthique de la contingence. Cette éthique s'applique aux conventions sociales. Elle est plastique, malléable selon les circonstances. Une telle éthique ne partage pas la préoccupation de la philosophie dans sa quête de l'objectivité. Si l'éthique kantienne du devoir reste la référence en matière de morale, c'est justement parce qu'elle a su se fonder non pas sur des supports contingents mais sur des principes a priori qui relèvent purement de la métaphysique. D'où le titre même de son oeuvre : Fondements de la métaphysique des moeurs dans laquelle il écrit : « Une métaphysique des moeurs est rigoureusement nécessaire, non seulement parce qu'elle répond à un besoin de la spéculation, en recherchant la source des principes pratiques, qui résident à priori dans notre raison, mais parce que la moralité même est exposée à toute sorte de corruption, si nous n'avons, pour l'apprécier exactement, ce fil conducteur et cette norme suprême. »167(*) Ceci étant, il ne serait pas exagéré de s'interroger sur la nature de cette métaphysique qui fonde l'éthique. Est-ce une métaphysique de l'immanence ou une métaphysique ouverte sur l'absolu ? Pour Pierre Gire, « il n'est pas d'éthique fondamentale sans une métaphysique de la transcendance. »168(*) C'est dire que la métaphysique qui fonde l'éthique est une métaphysique ouverte sur la transcendance, mieux sur l'absolu. Et Pierre Gire justifie les raisons de cette ouverture sur l'absolu en ces termes : « La position de l'Absolu est nécessaire au fondement de l'éthique parce que la réciprocité humaine ne suffit pas à établir l'obligation, à moins que l'on s'arrête à une morale contractuelle imposée par les nécessités de l'existence, mais défaite au premier retournement du destin. »169(*) Ainsi, l'absolu permet d'affranchir l'éthique de la contingence des situations humaines. Gire a donné un nom à cet absolu : Dieu.170(*) C'est aussi à Dieu que renvoie l'absolu du visage car selon Levinas, « dans l'accès au visage, il y a certainement aussi un accès à l'idée de Dieu. »171(*) Comme nous pouvons le remarquer, cette approche de l'absolu selon Pierre Gire et Emmanuel Levinas porte la marque de leur conviction religieuse respectivement fondée sur le christianisme et sur le judaïsme. Certes, notre préoccupation dans cette réflexion n'est nullement d'établir la nature de l'absolu vers lequel nous ouvre la métaphysique. Qu'il nous suffise seulement d'observer qu'au fondement de l'éthique, il y a la métaphysique voir une métaphysique ouverte sur l'absolu. Au demeurant, il apparaît que l'existence de l'homme a un sens qui lui est d'emblé donné et que l'éthique est le complément nécessaire pour sa réalisation effective. Du point de vue existentiel, le discours aristotélicien sur le devenir nous offre une nouvelle approche de l'homme comme être pour le bien. * 167 KANT E., Fondements de la métaphysique des moeurs, Paris, Bordas, 1988, p. 10. * 168 GIRE P., Les fondements de la morale, Paris, Tequi, 1989, p. 90. * 169 Idem. * 170 Ibid., p. 91. * 171 LEVINAS E., Ethique et Infini, Paris, Fayard, 1982, p. 86, cité par GIRE P., Idem. |
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