L'être en devenir, considérations aristotéliciennes sur le devenir( Télécharger le fichier original )par Martin MBENDE Grand séminaire philosophat Paul VI Bafoussam, Cameroun - Graduat de philosophie 2008 |
II. PerspectivesDans son brillant livre intitulé Introduction à la philosophie, Karl Jaspers affirme : « Faire de la philosophie, c'est être en route. »164(*) En effet, la philosophie est toujours en route parce qu'elle est recherche de la vérité et non sa possession. Elle n'est jamais un discours clos, définitif, mais ouverture sur des horizons toujours plus nouveaux et plus vastes. C'est pourquoi, après avoir examiné la contribution d'Aristote sur la question du devenir ainsi que quelques unes de ses faiblesses, il convient maintenant de préciser quelques perspectives que celle-ci ouvre dans le champ de la pensée et du vécu. Au niveau spéculatif, nous nous pencherons sur la question du sens de la vie et sur le lien entre devenir et éthique. Au niveau existentiel, nous analyserons le devenir de l'homme en relation avec le bien et nous ferons un rapprochement de cette notion avec le cas précis de l'Afrique. Nous sommes conscients de ce que compte tenu de leur pertinence, ces perspectives requièrent un plus grand développement. Cependant, dans le cadre de ce travail, nous nous limiterons à une analyse succincte. 1. Perspectives métaphysiques et éthiquesLa question du sens de l'existenceSi la théorie de l'évolution et la loi de l'entropie permettent d'attester scientifiquement que le cours de l'univers à un sens, les avis restent cependant très partagés quant au sens de l'existence humaine. Le problème ne porte pas tant sur le sens de l'existence en lui-même mais sur la question de savoir si un sens est d'emblée donné à notre existence. Pour Sartre, « l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. »165(*) Condamné à être libre, il est maître de son destin et du sens de sa vie. L'existentialisme sartrien affirme donc l'entière responsabilité de l'homme sur le cours de sa vie. N'ayant de compte à rendre à personne, il est lui-même la mesure de sa propre existence. Par ailleurs, bien avant Sartre, Nietzsche avait déjà jeté en terre la semence de cette conviction lorsque philosophant à coup de marteau, il proclama la mort de Dieu et l'avènement du surhomme. Le surhomme nietzschéen est un vrai dur qui a sous son entière responsabilité le sens de son existence. Nous avons pour nous en convaincre ces mots de Zarathoustra : « (...) Dieu est mort ! Hommes supérieurs, ce Dieu était votre pire danger. C'est depuis qu'il gît au sépulcre que vous êtes ressuscités. C'est maintenant enfin que va luire le grand Midi, que l'Homme supérieur va être - le maître. »166(*) Pour Marcel que Sartre qualifie d'existentialiste chrétien, il y a bel et bien un sens d'emblée donné à notre existence. Ce sens est progressivement assumé par l'homme dans la quête de l'Être parfait, quête qu'anime l'espérance. On le voit, la controverse au sujet d'un sens d'emblée donné à notre existence n'est pas sans rapport avec l'épineux problème de l'existence de Dieu, problème abordé par la théodicée mais dont l'échec d'une analyse purement rationnelle ouvrira les portes à la philosophie de la religion. Cependant, l'approche aristotélicienne du devenir peut éclairer davantage notre réflexion sur cette question. En admettant avec Aristote que la puissance est ordonnée à l'acte et que la fin attire en unifiant et en perfectionnant l'Être en devenir, nous pouvons concéder qu'il existe un ordre inhérent à ce qui est, de sorte que ce qui est, est en vue de quelque chose. Par conséquent, il y aurait un sens d'emblée donné à notre existence. Peu importe par qui ce sens est donné, il est là tout de même. Les dérapages des technosciences de ces dernières années viennent à point nommé illustrer le fait que chaque fois que l'ordre inhérent aux choses est bafoué, le fruit vendangé s'appelle désastre, sinistre ou catastrophe et souvent à l'échelle mondiale. Par ailleurs, s'il y a un sens d'emblée donné à notre existence, il y aurait aussi une vérité absolue: une vérité qui précède l'histoire, qui éclaire l'histoire, qui donne sens à l'histoire et qui transcende l'histoire. Dans ce contexte, l'homme reste certes la mesure de toute chose mais cette mesure est désormais définie par la cause finale vers laquelle le devenir nous achemine. Cette cause finale étant le Souverain Bien, le devenir fera alors appel à l'éthique. * 164 JASPERS K., op. cit., p. 10. * 165 SARTRE J.-P., L'existentialisme est un humanisme, Paris, Nagel, 1970, p. 22. * 166 NIETZSCHE F., Ainsi parlait Zarathoustra, Paris, Flammarion, 1996, p. 345. |
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