L'être en devenir, considérations aristotéliciennes sur le devenir( Télécharger le fichier original )par Martin MBENDE Grand séminaire philosophat Paul VI Bafoussam, Cameroun - Graduat de philosophie 2008 |
II. Devenir de l'être par la mutationDes contraires1. La mutation des contrairesDans le devenir, on distingue généralement deux états : un état initial qui est le contraire de l'état final. C'est dans ce sens qu'Aristote écrit : « Tout changement se fait de contraire à contraire, par exemple du chaud au froid. »121(*) Les contraires peuvent être assimilés à des accidents puisqu'étant voués au devenir, ils ne font pas partie des propriétés permanentes de l'Etre. Toutefois, si le devenir s'explique par la mutation des contraires, il serait faux de le réduire à une succession de contraires car, « il est impossible que les contraires pâtissent l'un pour l'autre. »122(*) Comme le remarque si bien Aubenque, la négation à laquelle Aristote fait ici allusion porte « non sur la passion elle-même (car les contraires pâtissent l'un par l'autre et c'est dans cette «passion» que consiste le mouvement), mais sur la réciprocité de la passion. »123(*) Considérons en effet un couple de contraires : le froid et le chaud. Le passage de l'un à l'autre provoque incontestablement la mort de l'un. Dans ce sens, la réciprocité n'est pas possible. Ainsi, « s'il n'y avait que les contraires en présence, le mouvement serait une succession de mort et de naissance sans continuité. Mais l'expérience nous apprend que le mouvement selon les contraires est réversible, sans qu'il faille voir dans cette réversibilité une renaissance, mais seulement un retour, non pas la négation d'une négation, mais la restauration d'une privation. »124(*) C'est donc dire que la réversibilité des contraires exige dans l'analyse du devenir la prise en compte d'un troisième terme. En effet, il serait absurde de penser que le contraire advenu au terme du devenir aurait été engendré par son contraire qu'il a chassé en lui succédant ou qu'il serait lui-même la cause de son devenir. Il faut donc poser un sujet, une substance qui supporte le devenir des contraires car ceux-ci « n'ont pas leur essence dans le rapport qu'ils soutiennent l'un avec l'autre, mais ils sont dits seulement contraires les uns des autres. »125(*) Considérons la proposition : « L'homme devient musicien.» Celle-ci évoque de toute évidence une seconde qui traduit cette fois-ci le mouvement par lequel le sujet est devenu ce qu'il est maintenant : « Le non musicien est devenu musicien. » Cette formule met en exergue le couple de contraire présent dans le devenir : le non-musicien, le musicien. Cependant, si on s'arrêtait là, le musicien n'adviendrait qu'en détruisant le non-musicien de façon irréversible. D'où l'importance du sujet : « L'homme non-musicien devient musicien. » La substance est ainsi la condition de possibilité du devenir pour les contraires entre lesquels il n'existe aucun intermédiaire. Quant à ceux qui admettent un intermédiaire, « il n'est nullement nécessaire que l'un d'eux appartienne au sujet ; il n'est pas nécessaire, en effet, que tout sujet qui les reçoit soit par exemple forcement blanc ou noir, chaud ou froid, puisque rien n'empêche qu'entre les contraires on insère un moyen. »126(*) En effet, le blanc provient ou du noir ou du gris qui est leur intermédiaire. Par ailleurs, l'analyse du devenir par la mutation des contraires nous conduit à reconnaître que ce qui devient peut être soit simple, soit composé.127(*) Au regard de ce qui précède, le devenir exige donc un sujet qui assure le passage d'un contraire à un autre dans le cas où l'un d'eux réside dans le sujet. Dans le cas contraire, il faut tenir compte d'un intermédiaire. Et puisque les contraires appartiennent au même genre, le devenir prend alors une orientation bien précise que nous avons convenu d'appeler la logique du devenir. * 121 Ibid., K, 10, 1067 a, 5. * 122 ARISTOTE, La physique, I, 190 b, 33. * 123 AUBENQUE P., op. cit., p. 434. * 124 Ibid., p. 434. * 125 ARISTOTE, Catégorie, 10, 34-35. * 126 Ibid., 10, 31. * 127 ARISTOTE, La physique, I, 7, 190 a, 1-10. |
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