PARAGRAPHE I : EXPOSE
1) L'obligation essentielle par nature
Sur un plan formel, il est très facile de distinguer
l'obligation essentielle des autres types d'obligations contenues dans le
contrat, notamment des obligations secondaires, car parfois l'obligation
essentielle donne son nom au contrat. Il en est ainsi du contrat d'entretien.
Dans la pratique les choses sont toutes autres, dans la mesure où les
parties peuvent porter des clauses et sur l'obligation essentielle et sur
l'obligation secondaire. La jurisprudence essayant d'établir une
distinction théorique entre les obligations fondamentale et secondaire
a, par la même occasion dressé une liste d'obligations
essentielles en fonction des contrats. Par exemple dans le contrat de vente
l'obligation essentielle du vendeur est la délivrance de la chose,
c'est-à-dire la mise à la disposition de l'acheteur de la chose
vendue. Cela a été entériné par H. BATTIFFOL en ces
termes « la délivrance est l'essence de la vente ; elle ne
peut être que différée dans son exécution et l'on ne
conçoit pas un acheteur qui renoncerait définitivement à
l'usage de la chose ... La délivrance est l'acte spécifique de la
vente par lequel le contrat va se manifester ».
M. DELEBECQUE a illustré ce propos par une
décision de 1977 de la Cour d'appel d'Aix. Il y était question
d'un garagiste belge récupérant des véhicules interdits
dans ce pays, les acheminant avec les pièces nécessaires à
un cocontractant en France, qui les réparait et les commercialisait. Le
contrat s'exécute ainsi pendant un bon moment jusqu'au jour ou le
garagiste envoie un véhicule irrécupérable, plus «
pourri » que les précédents. Son cocontractant le refuse.
Une expertise est initiée. Il s'est avéré que le
véhicule litigieux n'aurait pas pu être remis en circulation
qu'après des réparations trop importantes pour un véhicule
vieux de dix ans. La Cour d'Aix a accepté la prétention du
cocontractant français en relevant que celui-ci «auquel il ne
peut être reproché de revenir à une saine conception
commerciale, refuse à bon droit de régler le prix d'un
véhicule qui lui a été envoyé si ce véhicule
est insusceptible d'être remis en état ».Ce raisonnement
de la Cour d'appel d'Aix implique selon M.DELEBECQUE «que le
véhicule a perdu sa destination qui est de circuler » et que
« le vendeur de véhicule a pour obligation fondamentale de
livrer un engin apte a rouler, obligation dont le vendeur ne pourrait
s'exonérer » .
Beaucoup d'autres décisions considèrent que
l'obligation de délivrance est l'obligation essentielle du contrat de
vente. Ainsi, si l'article 1603 du Code civil met à la charge du vendeur
deux obligations principales, à savoir celle de délivrer et celle
de garantir la chose vendue, c'est à la condition de considérer
la garantie comme corollaire de la délivrance. Seule cette
dernière est essentielle, c'est pourquoi les parties ne peuvent, ni
l'écarter, ni en donner une exception écartant les
critères légaux.
Dans le contrat de bail, il existe une ambiguïté
à propos de la détermination de l'obligation essentielle. Cette
ambiguïté résulte de la jurisprudence de la Cour de
cassation qui admet expressément que le bailleur n'est pas obligé
de permettre la jouissance paisible à son locataire. Une décision
de 1945 a relevé que «l'obligation pour le bailleur de faire
jouir paisiblement le preneur de la chose louée pendant la durée
du bail n'est pas de l'essence du contrat de louage. En réaction
à cette jurisprudence, un auteur a précisé que lorsque la
Cour de cassation déclare que « l'obligation de faire jouir
n'est pas de l'essence du contrat», elle ne vise là que
l'engagement global de l'article 1709 du Code civil et non la prestation de
jouissance de l'article 1719 alinéa 3.
En définitive, l'obligation pour le bailleur d'assurer
la jouissance au preneur est l'obligation essentielle du contrat de bail .
Cette même remarque semble convenir à tout contrat de louage ;
c'est ainsi qu'il fut établi à propos de la location d'un
système d'alarme que l'obligation fondamentale, donc essentielle, est
celle de « mettre à la disposition du client un
système en état de marche et propre à rendre les services
qu'un tel système laisse supposer ».
Toutefois dans le contrat de location de wagons, la
détermination de l'obligation essentielle semble fort délicate
car il faut distinguer selon la nature du wagon en question . Si celui est
isotherme, c'est-à-dire insensible aux variations de
température, l'obligation fondamentale ou essentielle du loueur est de
mettre à la disposition de l'usager un wagon apte à
l'isolation.
Si le wagon est isotherme mais non pourvu d'une installation
produisant le froid, aménagée pour maintenir la glace,
l'obligation essentielle du loueur est de fournir un wagon non seulement apte
à l'isolation mais aussi équipé de telle sorte qu'il
puisse recevoir et maintenir la glace.
Dans le contrat d'affrètement, l'obligation
essentielle du fréteur est de mettre à la disposition de
l'affréteur, son cocontractant, un navire en bon état de
navigabilité, c'est-à-dire présentant un ensemble de
qualités relatives tant à la navigabilité qu'à la
préparation du voyage, qu'à la structure ou au fonctionnement des
cales, des ponts, des aménagements concernant la marchandise.
On ne saurait clore cette partie sur les exemples
d'obligation essentielle sans parler de l'obligation de bonne foi que le juge
impose à toute relation contractuelle et même extra contractuelle.
A ce titre, on peut retenir, non pas sans réserve, que l'obligation de
bonne foi est une obligation essentielle dans toute convention. Mais la
question qui se pose est de savoir si cette obligation résulte ou de la
nature du contrat ou de la volonté des parties.
Pour répondre à cette question on peut dire que
les parties, en concluant, ont par là même entériné
implicitement la bonne foi comme obligation essentielle. Et cette bonne foi
semble inhérente à la notion même du contrat en
général.
A côté de ces exemples d'obligations
essentielles, on peut opposer quelques exemples d'obligations accessoires.
L'obligation accessoire, annexe ou secondaire, est une obligation
nécessaire au contrat mais insuffisante pour entraîner la
nullité de celui-ci. C'est le siège des clauses
afférentes à la responsabilité. L'obligation accessoire
est très souvent relative car elle peut être essentielle dans un
contrat et accessoire dans l'autre. Par exemple, l'obligation de surveillance
est accessoire dans le contrat de parking. Cette même obligation
devient essentielle dans le contrat de gardiennage. De même l'obligation
d'entretien est annexe dans le contrat de parking et essentielle dans le
contrat de garage.
Il y a des obligations qui sont accessoires par nature. Tel
est le cas de l'obligation de garantie des vices cachés ou des vices
apparents (article 1642 du Code civil). C'est cette obligation de vices
apparents qu'on retrouve dans le contrat de bail sous le nom d'obligation de
délivrer le logement en bon état. Logiquement, celle-ci n'a rien
d'essentiel. C'est le même cas pour l'obligation d'entretien en cours de
bail au sujet duquel la Cour de cassation a relevé que « si le
bailleur est tenu en principe d'entretenir la chose louée.... Il ne lui
est nullement interdit de s'affranchir contractuellement de cette
obligation ».
D'autres obligations accessoires sont apparues
récemment. Entre autres on peut citer l'obligation de conseil
(banquiers, notaires, architectes, médecins et assureurs) ; l'obligation
de coopération dans le domaine informatique ; l'obligation de
sécurité (pour le transport de personnes , des produits
défectueux ) ; l'obligation de mise en garde face à un risque ;
l'obligation d'efficacité des agences de voyage ; l'obligation de
prudence (pour les agences d'intérim, auto-école , colonies de
vacances etc.). Toutes ces obligations accessoires peuvent, selon les
circonstances ou selon la nature du contrat, se transformer en obligations
essentielles.
Le manquement à une obligation accessoire n'a pas
d'effets sur la validité du contrat sauf si ce manquement
empiète sur une obligation essentielle. Cela confirme ce que nous avons
déjà constaté, à savoir que les obligations
essentielle et accessoire tendent à se confondre ; tout dépend de
la volonté des parties.
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