SECTION II : L'OBLIGATION ESSENTIELLE ET LA THEORIE DE LA
RESOLUTION DU CONTRAT.
La résolution est l'anéantissement total du
contrat contrairement à la résiliation qui est son
anéantissement pour le seul futur. C'est la remise en cause de la force
obligatoire du contrat même pour les obligations déjà.
L'article 1184 du Code civil est le siège de l'action
en résolution judiciaire . L'utilité économique et
sociale de la résolution ne fait aucun doute. L'action en
résolution judiciaire du contrat donne au créancier de
l'obligation inexécutée l'équivalent d'une
sûreté réelle. La résolution judiciaire a pour
domaine principalement les contrats synallagmatiques. Dans ces contrats,
l'institution est fondée sur l'interdépendance des obligations
qui a été défendue pour la première fois en 1811
lors de l'arrêt Albertiniet confirmé en 1921 par l'arrêt
Lucard en ces termes : « attendu que dans une convention
synallagmatique, l'obligation de chacune des parties a pour cause
l'exécution de l'obligation de l'autre ... »
Toutefois, il y a des contrats synallagmatiques qui sont
soustraits à ce principe de la résolution judiciaire. Il en est
ainsi de la cession d'office ministérielle, de la constitution de rente
viagère (article 1978 du Code civil) ou du partage. A l'opposé,
il existe des contrats non synallagmatiques ne relevant pas du domaine de la
résolution judiciaire. C'est le cas des donations avec charge (article
954 du Code civil), de certains autres contrats unilatéraux à
titre onéreux comme le contrat de gage (article 2082 du Code civil) ou
le prêt à intérêt .
Pour qu'il y ait résolution il faut une
inexécution. Mais est-ce à dire que toute inexécution vaut
résolution? Certainement pas, sous réserve de la
résolution prévue par la clause résolutoire expresse
(clause prévoyant que le contrat sera automatiquement résolu en
cas d'inexécution de ces obligations par l'une des parties). Pour
qu'une inexécution puisse emporter résolution, il faut qu'elle
soit caractérisée voire déterminante. Une
inexécution déterminante est une inexécution
dépouillant le contrat de toute utilité économique
c'est-à-dire brisant l'équilibre économique du contrat,
ce qui fait du contrat un déboire au lieu d'un profit. Parmi les
inexécutions déterminantes de la résolution, il figure
celle d'une obligation essentielle. Cela est une réalité et en
droit national (Paragraphe I) et en droit communautaire (Paragraphe II) .
PARAGRAPHE I : EN DROIT NATIONAL
En droit interne, la notion d'obligation essentielle
intervient lors de la résolution du contrat pour apprécier le
degré de gravité de l'inexécution du débiteur de
son obligation. Celle-ci est-elle assez grave pour entraîner
l'anéantissement total du contrat ?
En cas d'inexécution totale par le débiteur de
son obligation, il ne fait aucun doute que le juge en vertu de son pouvoir
d'appréciation prononcera la résolution du contrat. Mais en cas
d'inexécution partielle, le juge vérifiera si cette
inexécution est susceptible d'entraîner la chute de toute la
convention. Si oui, le juge s'interrogera sur la valeur de l'obligation
violée et prononcera la résolution du contrat si celle-ci est une
obligation essentielle. Ce raisonnement résulte d'un arrêt fort
ancien de la Cour d'Amiens de 1881 : « la résolution ne doit
être prononcée qu'autant que l'une des parties ne fournit pas
à l'autre l'équivalent de son engagement principal... mais
quant à la violation d'un engagement accessoire, elle n'est pas un motif
de résolution, mais seulement une cause de dommages et
intérêts».
Cette décision est pleine d'enseignements. En premier
lieu, elle fait la distinction selon que l'inexécution soit celle
d'une obligation principale ou celle d'une obligation secondaire et
précise que seule la première catégorie
d'inexécution entraîne la résolution du contrat . Ce
raisonnement n'est pas fondé car l'inexécution d'une obligation
secondaire peut entraîner la résolution du contrat notamment si
elle est étroitement imbriquée à l'obligation essentielle.
C'est l'hypothèse dans laquelle on n'arrive pas à distinguer
l'obligation essentielle de l'obligation secondaire. Cette hypothèse se
retrouve dans les faits de l'anecdote rapportée par M.Jestaz . Il
s'agissait d'un « célèbre restaurant parisien
où l'un des dîneurs s'est fait volé un jour un manteau en
cashmere anglais. Le restaurateur n'affichait aucune pancarte déclinant
sa responsabilité, mais selon lui, la clause résultait
implicitement de l'absence de surveillance et de ticket. Le tribunal a
décidé que l'obligation de garde trouve sa source dans
le repas convenu dont elle n'était en définitive que
l'accessoire indispensable, cette garde étant conditionnée par
les circonstances et l'usage ». Ainsi la violation d'une obligation
accessoire peut avoir les même conséquences que celle d'une
obligation essentielle. En second lieu, la décision de 1881 ignore
totalement la clause résolutoire expresse qui peut entrer en vigueur
à propos de toute obligation même accessoire. Par ailleurs, il
semble clair que l'inexécution d'une obligation essentielle
entraîne de facto la résolution du contrat. Enoncée dans
la décision précédente, cette affirmation fut
confirmée par une décision en 1973 du Tribunal de Grande Instance
de Paris « Si une obligation prévue dans le contrat est
substantielle, son inexécution permet au créancier de demander
la résolution du contrat quelle que soit la cause pour laquelle le
débiteur ne satisfait pas à son engagement ». Cette
dernière décision nous fait savoir que l'inexécution
d'une obligation essentielle vaut résolution sans considération
des causes de cette inexécution.
En dépit des décisions évoquées
ci-dessus, il faut reconnaître que l'inexécution d'une obligation
essentielle n'est pas vue unanimement comme un critère de la
résolution; en tout cas ce n'est pas un critère très tenu
en compte par la jurisprudence. Cependant la référence aux
obligations essentielles est plus nette en matière de résolution
unilatérale. Ce constat résulte par exemple de la
résolution unilatérale en droit du travail où l'article
L1780 du Code du travail et les divers articles sur le licenciement,
permettent à l'employeur de rompre unilatéralement le lien
contractuel en cas de violation par le salarié d'une obligation
essentielle du contrat de travail. La violation de l'obligation essentielle
dans le contrat de travail se traduit par une faute lourde; faute qui rend
impossible le maintien de tout lien du travail.
Cette remarque est valable pour tous les contrats à
propos desquels la résolution unilatérale est admise. Cette
résolution appelée encore « résolution de plein
droit » et la clause résolutoire expresse sont des exceptions au
caractère judiciaire de la résolution du contrat. Cependant
tandis que la résolution unilatérale confirme sans
équivoque l'existence de l'obligation essentielle dont la violation
justifierait ladite résolution, la clause résolutoire expresse au
contraire infirme explicitement la distinction obligation principale /
obligation accessoire car indistinctement la violation de l'une ou de l'autre
de ces deux obligations entraîne l'écroulement du contrat. C'est
pourquoi si l'on se situe sur le seul terrain de la clause résolutoire
expresse, toutes les obligations d'un contrat sont essentielles de même
que toutes les inexécutions.
Enfin, l'obligation essentielle intervient dans la
théorie de la résolution judiciaire pour mesurer la
gravité de l'inexécution et s'érige du coup en condition
de la résolution du contrat. Ce constat demeure valable même en
droit communautaire.
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