B) L'OBLIGATON ESSENTIELLE ET LES CLAUSES DE RESPOSABILITE
EN DROIT ANGLAIS ET EN DROIT BELGE.
La notion d'obligation essentielle est présente dans
presque tous les systèmes juridiques des autres pays européens.
Mais le sort des clauses de responsabilité en face de l'obligation
essentielle varie d'un système à l'autre et est
particulièrement intéressant en droit anglais et en droit
belge.
- EN DROIT ANGLAIS
En droit anglais, il existe trois catégories
principales de clauses afférentes à la responsabilité
:
1) L'exception clause est la clause qui participe
à la détermination de l'obligation du débiteur tout en la
renforçant.
2) La limitation clause est l'équivalente de
la clause limitative de responsabilité en droit français; elle
rend souples les conséquences découlant de
l'inexécution.
3) L'exemption clause a pour effet de restreindre,
voire réduire à néant, la responsabilité
découlant de l'inexécution d'une ou de plusieurs obligations.
Le droit anglais connaissait l'application automatique des
clauses correctement rédigées. Cet automatisme fut
écarté par la création de la théorie de
l'inexécution fondamentale ou de la « Fundamental breach of
contract » en 1950. Avant la notion de «fundamental breach of
contract », la structure du contrat en droit anglais était
constituée de deux éléments : les conditions et les
warranties.
- Les conditions sont des droits qui forment l'essence
même du contrat, ceux atteignant la substance du contrat et essentiels
à sa nature à tel point que s'ils ne sont pas respectés
l'autre partie peut équitablement considérer ce manquement comme
une inexécution totale. D'autres auteurs, en occurrence Pratt et Haynes
ont formulé cette definition des conditions en anglais de la
façon suivante : « A condition is a term which goes so directly
to the substance of the contract or in other words, is so essential to its
nature that its non performance may fairly be considered by the other party as
a subtancial failure to perform the contract all ».
- Les warranties sont des obligations non essentielles
destinées le plus souvent à régler par des stipulations
variables la situation de fait créée par l'exécution des
conditions. La distinction conditions / warranties prime le droit anglais des
clauses d'irresponsabilité.
La notion de « fundamental breach of contract
» a donné naissance à un nouveau constituant du contrat en
plus des conditions et des warranties. C'est le « fundamental term
» ou la clause fondamentale. La jurisprudence anglaise de
l'époque a décidé que les « fundamental terms »
du contrat sont des éléments essentiels du contrat et qu'à
leur égard on ne peut faire jouer aucune clause de non
responsabilité. Sinon « la non exécution du contrat est
totale et ce serait taxer les parties d'absurdité dans leur comportement
que de penser qu'elles ont à la fois voulu faire un contrat d'une
part et qu `elles ont entendu stipuler d'autre part, que ce contrat pourrait ne
pas être exécuté à la place sans que leur
responsabilité soit engagée. Une interprétation du
contrat exige que malgré la clause de non responsabilité il
existe quelque chose du contrat ».Ainsi, l'inexécution totale
sert de fondement à la doctrine de « fundamental breach ».
Pour illustrer cette affirmation un auteur Lord Aminger a fait la
déduction suivante à l'occasion de l'arrêt Chanter v.
Hopkins. Celui-ci précisait que dans un contrat sur la vente de pois,
la livraison de haricots ne constituera pas une exécution correcte du
contrat et qu'aucune clause d'exonération ne pourra jamais excuser
l'envoi de haricots à la place de pois commandés. Il ajouta
aussi que dans un contrat sur la vente d'acajou; l'envoi de bois de pin
constituera une inexécution totale insusceptible d'être couverte
par une clause d'exonération mais que si le vendeur avait livré
de l'acajou de mauvaise qualité, la clause d'exonération aurait
pu s'appliquer car, précise-t-il, la livraison de pin est un breach of
fundamental terms tandis que celle d'acajou de mauvaise qualité est un
simple « breach of contract ».
Les clauses d'exonération même efficacement
rédigées ne peuvent détruire le fondamental term. Cette
théorie d'inexécution fondamentale apparut par la suite
très nuisible notamment dans le monde des affaires. De plus, elle
servait d'alibi au juge qui pouvait désormais intervenir dans le
contrat chaque fois qu'il jugeait l'inexécution fondamentale. La
doctrine la critiquait comme manquant de logique interne . Les auteurs
dénonçant cet illogisme, rejetaient le fait que le contrat
prenne fin par sa seule inexécution imparfaite, inexécution qui
rendrait inapplicable la clause exonératoire. Ils
dénonçaient aussi le fait que les tribunaux acceptent l'action
engagée par la partie lésée sur la base du contrat
litigieux tout en écartant l'application de la clause qui
répartissait le risque. Ces critiques ont conduit la jurisprudence
à considérer non seulement l'inexécution mais aussi ses
conséquences. Ce revirement apparut très efficace; à tel
point que la Court of appeal a tenté d'élever la
théorie de « fundamental breach » en règle de droit.
Cette prétention n'a pas reçu l'approbation de la Chambre des
Lords qui campait sur le fait que l'inexécution fondamentale ne peut en
aucun cas être considérée comme une règle de fond.
Pour elle, c'est une règle d'interprétation. Cette position de la
chambre des Lords fut constatée en 1966 dans l'arrêt Suisse
Atlantique en ces termes : «Si l'interprétation normale
des clauses d'exonération consiste à dire que ces clauses ne
jouent pas en cas de « fundamental breach of contract » il ne s'agit
là que d'une règle d'interprétation (a rule of
construction) et non d'un principe de droit (a rule of substantive Law)
» . Cette position tranchée de la Chambre des Lords n'a pas
tout de suite dissuadé la Court of appeal; celle-ci continuait
à voir en l'inexécution fondamentale une règle de fond.
Cela a incité la Chambre des Lords à confirmer aussi sa position
précisément à l'occasion d'un arrêt dit Photo
Production . L'espèce portait sur une usine incendiée par un des
gardiens de la société chargée de la surveiller. A ce
sujet, la Chambre des Lords précisa qu'une inexécution «
si fondamentale qu'elle puisse paraître ne peut remettre en cause
l'exécution du contrat ».
En somme, nous pouvons conclure que les clauses
d'exonération ne sont reçues en droit anglais que si
l'inexécution qu'elles couvrent n'atteint pas l'essence du contrat.
C'est d'ailleurs ce que pense le Lord Justice Denning qui précisait
à propos du contrat de dépôt que «l'essence du
contrat pour un entrepositaire est de conserver les marchandises au lieu
prévu et de les restituer à la demande du déposant. S'il
les conserve dans un endroit différent ou s'il les conserve mal ou
s'il les détruit, s'il les vend ou s'il les donne sans raison à
quelqu'un d'autre, il commet une rupture fondamentale du contrat et ne peut
invoquer les clauses d'exonération qu'il a stipulées.
»
Il ressort de ces différents développements que
l'obligation essentielle constitue aussi la limite à la validité
des clauses exonératoires en droit anglais. Qu'en est-il en droit
Belge?
- EN DROIT BELGE
Parlant des clauses de responsabilité en doit belge,
Paul Durand utilisait la formule suivante :« Alors
que la validité et les effets de la clause d'exonération de
responsabilité ont donné dans la jurisprudence française
à des hésitations sans fin, au point que, plus de 50 ans
après, l'incertitude est encore complète sur la théorie
de ces clauses, la doctrine de la Cour de Cassation (belge) est d'une rare
simplicité de lignes».
Ainsi, les clauses de responsabilité n'ont pas eu
beaucoup de mal à se faire accepter en droit belge. Elles ont tout de
suite eu une validité de principe. Mais une interdiction textuelle ou
l'intention de nuire peuvent entraver cette validité. De même, si
ces clauses réduisent de par leur nature la valeur économique de
la prestation promise et que cette réduction se révèle
en une absence d'obligation; elles se rendent par de ce fait non valables. La
doctrine belge prêche l'existence dans tout contrat d'une obligation
minimale à la charge du débiteur, obligation que les parties ne
peuvent s'amuser à abaisser par quelque clause que ce soit sans
porter atteinte à l'essence du contrat.
A l'instar du droit anglais, on remarque que les notions
d'obligation essentielle, ou d'essence du contrat ou d'économie du
contrat sont de vrais critères encadrant le domaine des clauses
afférentes à la responsabilité. Cette tendance demeure le
sens de la jurisprudence belge en la matière depuis une décision
de la Cour de cassation belge du 23 novembre 1911. Dans cette affaire, il
s'agissait d'une agence de renseignement qui opposait à une demande
de dommages et intérêts de l'un de ses clients se plaignant
d'avoir reçu d'elle des renseignements inexacts. La clause convenue
dans le contrat qu'elle proposait stipulait que l'agence «n'est pas
responsable des conséquences d'une disposition quelconque prise par
l'abonné. Les risques inévitables dérivant des
correspondants et d'abonnés sont encourus exclusivement, ce dernier
renonce à tout recours en cas de dommage attribués par lui
à des erreurs ou fautes d'auxiliaires et renonce formellement à
reconnaître la provenance des renseignements à lui
fournis ».
Les juges du fond écartent cette clause aux motifs
que les renseignements n'ont été ni recueillis ni
contrôlés avec la diligence nécessaire et que les
agissements étaient constitutifs de fautes graves enlevant toute
valeur aux renseignements et détruisaient par la même occasion
l'économie du contrat. Abondant dans le même sens, la Cour de
cassation belge énonça :
« attendu que .... l'institut demandeur s'est
engagé à répondre à la demande de renseignement
adressée par un rapport concis basée sur les données qui
lui sont fournies par son service ordinateur de recherche ... que les juges
du fond constatant que les renseignements fournis au défendeur et sur
la base desquels il a traité, les préposés du demandeur
ont commis non une simple inadvertance mais un acte de mauvaise
volonté devant fatalement produire des conséquences dommageables
non recherchées par les auteurs mais que ceux-ci ont
nécessairement prévu sans se donner la peine de les
prévenir .... Que les juges ont déduit à bon
droit que si la clause invoquée s'étendait à semblable
faute, elle enlèverait tout effet utile au contrat ».
Depuis un arrêt de la Cour de cassation (belge) du 25
septembre 1959; la jurisprudence belge s'est démarquée des
jurisprudences française et anglaise en ce qui concerne les clauses
d'irresponsabilité. Désormais seul le dol du débiteur
prive d'efficacité la clause d'irresponsabilité. Ainsi ni la
faute lourde, ni la faute intentionnelle n'ont plus semblable effet.
L'arrêt de 1959 fut occasionné par le
déplacement maladroit d'une voiture automobile effectué dans
le monte charge d'un garage par un préposé du garagiste.
Le Tribunal de Liège statuant en dernier ressort
avait accordé au propriétaire de la voiture des dommages et
intérêts en dépit de cette clause exonérant le
garagiste « des dégradations pouvant résulter des
déplacements des voitures opérés dans le garage par le
personnel de celui-ci et pour les besoins de l'exploitation et du service
».
Cette clause fut écartée par les juges du fond
aux motifs qu'elle exonérait le garagiste ou son préposé
de leur faute lourde. La Cour de cassation belge s'est inscrite en faux contre
ce jugement en posant deux grandes règles : 1° En dehors des cas
où la loi en dispose autrement et de celui ou l'obligation
contractée serait anéantie, les parties à un contrat
peuvent valablement convenir d'avance que le débiteur ne
répondrait pas de la faute même intentionnelle de ses
préposés.
2° Aucune disposition légale, sauf certaines
exceptions étrangères en la matière, n'interdit aux
parties contractantes de convenir que l'une d'elle ne répondra pas de sa
faute lourde personnelle.
Ensuite elle renvoya l'affaire devant le Tribunal de commerce
de Verviers qui donna raison au propriétaire de la voiture puis
releva que le garagiste viderait le contrat de garage « de toute
substance objective s'il lui était permis de s'exonérer
conventionnellement de l'obligation de résultat qu'il assume en
déplaçant les voitures dont il a la garde »
Commentant cet arrêt, M. Delebecque
déclara : « La Cour de cassation belge isole l'atteinte
à l'essence du contrat pour l'ériger en limite autonome de la
validité des clauses d'irresponsabilité». Les principes de
licéité de l'exonération conventionnelle de la
responsabilité du débiteur en raison du fait intentionnel du
préposé et de licéité de l'exonération
conventionnelle de responsabilité en cas de faute lourde du
débiteur lui même continuent de régenter le droit belge
des clauses de responsabilité. Par exemple dans une décision de
1987, la Cour de cassation belge déclarait que « Les clauses
d'exonération ne sont pas licites lorsqu'elles ont pour effet de
détruire l'objet même de l'obligation et de vider le contrat de
sa substance » .
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