- c - Les signes trompeurs ou déceptifs :
Selon l'article 4 de la loi n°36-2001, « Ne
peut être adopté comme marque ou élément de marque,
tout signe : d) De nature à tromper le public, notamment sur la nature,
la qualité ou la provenance géographique du produits ou du
service ».
Etant donné la fonction distinctive que lui assigne la
loi n°36-2001, la marque sert de toute évidence à identifier
les produits ou les services d'une personne physique ou morale par rapport
à leurs semblables, toutefois, « si, dans l'exercice de
cette fonction, la marque cause une tromperie à l'égard du
public, qu'elle a pour mission d'informer, elle sort de son rôle, et elle
cesse d'être utile pour être dommageable : elle doit donc
être interdite ».3
La prohibition des signes trompeurs par le droit des marques
s'aperçoit comme une mesure complémentaire à la loi
n°117-92 du 7 décembre 1992 4 relative à la
protection des consommateurs. En effet, cette loi interdit respectivement les
pratiques contraires à la loyauté des transactions
économiques dans son article 11 et la publicité mensongère
dans l'article 13 qui semble être manifestement la source d'inspiration
5 de l'article 4 (d) de la loi n°36-2001.
Ainsi, il paraît que la rationalité sur laquelle
repose la prohibition des signes déceptifs s'explique surtout par la
sauvegarde de l'intérêt du consommateur ainsi que celui de l'ordre
public économique.
A l'image des signes contraires à l'ordre public, la
prohibition des signes déceptifs porte sur les signes eux-mêmes,
c'est ce que laisse entendre la loi en interdisant le signe « de
nature à tromper le public ». En effet, il s'agit d'une
déceptivité intrinsèque à
la marque.
Par ailleurs, l'objet et les moyens de la tromperie sont par
nature très variés, c'est pourquoi la liste des signes
déceptifs a été précédée par
l'adverbe « notamment » comme pour confirmer son
caractère énonciatif. Il peut donc s'agir d'une tromperie sur la
nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou
service couvert par la marque en cause.
1 SALAH ZIN EDDINE : op. Cit. P. 324.
2 Concernant la connotation parfois politique des
marques, on remarque qu'à chaque fois que la tension monte lors des deux
dernières guerres du golf ou dans les territoires palestiniens
occupés, on entend de parts et d'autres des compagnes appelant à
boycotter les marques appartenant aux sociétés multinationales
américaines, britanniques ou même celles détenues ou
dirigées, de près ou de loin, par des juifs. C'est dire que la
marque est plus qu'un simple signe distinctif.
3 MATHELY (P) : « Le nouveau droit
français des marques » éditions J.N.A. 1994. p.46.
4 JORT N°83 du 15 décembre 1992,
p.1571.
5 Selon l'article 13 de la loi n°117-92 :
« Est interdite toute publicité pour des produits comportant sous
quelque forme que ce soit, des allégations ou des indications fausses ou
de nature à induire en erreur lorsque celles-ci portent
notamment sur un ou plusieurs des éléments ci-après : -
L'existence du produit, sa nature, sa composition, ses qualités
substantielles, sa teneur en principes utiles, son espèce ou son origine
ainsi que sa quantité ou son mode ou sa date de fabrication »
Compte tenu de sa nature de fait juridique, la
détermination de la tromperie revient au pouvoir discrétionnaire
des juges de fond qui doivent, sous peine de voir leurs décisions
censurées, préciser en quoi le signe est susceptible de tromper
le public.
A la différence de la jurisprudence tunisienne, les
tribunaux français ont eu -à maintes reprises- à se
prononcer sur les marques déceptives, en voici quelques exemples :
Il est des cas où un signe trompe le public sur la
nature du produit qu'il désigne, c'est en effet, le cas du signe «
servifrais »1 pour des produits
surgelés; « Capillosérum »2
pour un produit ne consistant pas en un sérum pharmaceutique. D'autres
décisions ont reconnu le caractère déceptif de la marque
compte tenu d'une tromperie sur la qualité du produit marqué, il
en est ainsi de la marque « Mokalux »3
pour un café ordinaire ; « Miel Epil
»4 pour un produit qui ne contient pas de miel.
La tromperie peut consister encore en l'usurpation d'une
appellation d'origine ou d'une indication de provenance à laquelle le
déposant de la marque n'a pas droit, c'est le cas de la marque «
Brazil »5 pour des cafés de
différentes origines; « Havane »6
pour des cigares qui ne proviennent pas de Cuba. Concernant la tromperie sur
l'origine, on note qu'elle s'accompagne souvent d'une tromperie sur la
qualité ou la réputation du produit ou du service
marqué.
Il convient de souligner que l'appréciation de la
déceptivité passe par la confrontation du signe au produit ou au
service qu'il identifie, s'il s'avère que le signe choisi cherche
à persuader le public quant à l'existence d'une qualité ou
origine qui ne coïncide pas avec la réalité, il y a alors
déceptivité.
En outre, le caractère déceptif d'un signe doit
s'apprécier de manière relative, car une marque peut
désigner plusieurs produits, alors si elle a été reconnue
comme déceptive pour certains produits, elle demeure valable pour les
autres objets désignés au dépôt. On note enfin qu'il
convient de se placer au moment de l'enregistrement de la marque pour
apprécier son caractère trompeur car c'est à cette date
que le droit sur la marque s'acquière.
Dans tous les cas d'illicéité d'un signe au sens
de l'article 4 de la loi n°36-2001, c'est-à-dire le choix d'un
signe interdit comme marque, contraire à l'ordre public ou aux bonnes
moeurs ou enfin déceptif, la loi n°36-200 1 prévoit la
nullité comme sanction unique à ce type de signe.
C'est ce qui ressort de l'article 32, de la dite loi, qui
dispose que « L'enregistrement d'une marque est
déclaré nul par décision de justice s'il n'est pas
conforme aux dispositions des articles 2, 3, 4 et 5 de la présente loi.
La décision d'annulation a un effet absolu ».
Compte tenu de la fermeté de leur interdiction, les
signes illicites au sens de l'article 4 sont d'une nullité absolue. En
ce sens, l'article 4 commence par la formule : « Ne peut
être adopté comme marque ou élément de marque, tout
signe.... ».
1 Paris, 12 février 1981, Ann. 1981. p. 32.
2 CA Paris, 24 mai 1962, PIOTRAUT (J-L) &
DECHRISTÉ (P-J): « Jugements et arrêts fondamentaux de la
propriété intellectuelle », Editions TEC & DOC 2002. p.1
70.
3 TGI Paris, 22 avril 1968, D. 1968, p.557
4 Cass., 27 novembre 1963, RTD Com. 1964. 548,
n°5.
5 Paris, 16 juin 1968, D. 1989, p.282.
6 Paris, 4 juillet 1985, Ann.1986. p. .226.
D'autres part l'article 32 alinéa 3 ne laisse aucun
doute quant au caractère absolu de la décision d'annulation d'une
telle marque, c'est pourquoi on conçoit mal la possibilité de la
régularisation d'une marque illicite.
Une fois qu'il est choisi parmi les catégories
proposées par l'article 2 et déclaré licite au sens de
l'article 4, le signe constitutif de la marque doit, sous peine de
nullité, être distinctif afin de pouvoir poursuivre la fonction
que lui assigne le droit des marques.
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