L'identification de l'acte de contrefaçon de marque en Tunisie( Télécharger le fichier original )par Kaïs Berrjab Faculté des Sciences Juridiques, Ploitiques et Sociales de Tunis - DEA en Sciences Juridiques Fondamentales 2004 |
109 Paragraphe 2 : Les actes interdits pour des produits ou services identiques ousimilaires à ceux désignés à l'enregistrement :Selon l'article 23 de la loi n°36-2001, sont également « interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il en peut résulter un risque de confusion dans l'esprit du public : b) L'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ». Consécutivement à l'emploi de la conjonction « et » dans l'article 23, il convient de distinguer les interdictions posées par cet article selon qu'il s'agit d'un acte d'imitation (1) ou celui d'usage d'une marque imitée. (2) 1) Le délit d'imitation de marque :L'interdiction de l'imitation en tant que telle était consacrée déjà sous l'empire du décret du 3 juin 1889 et plus précisément par son article 16 qui puni « ceux qui sans contrefaire une marque, en ont fait une imitation frauduleuse de nature à tromper l'acheteur ». La consécration de l'incrimination de l'imitation dans l'article 23 de la loi n°36-2001 ne semble pas remettre en cause le mode d'appréciation du fait matériel d'imitation ni les solutions jurisprudentielles relatives à la détermination des modalités d'intervention de ce délit. Ceci étant, l `article 23 a opéré un changement fondamental relatif aux éléments constitutifs du délit d'imitation, ceci est percevable de la terminologie employée dans cet article. En effet, l'article 23 interdit l'imitation en tant que telle sans la qualifier de « frauduleuse » comme çà était le cas dans l'article 16 du décret de 1889, c'est donc l'élément intentionnel qui a été éliminé de la sphère des éléments constitutifs de l'imitation de marque et ce aussi bien au civil comme au pénal. En ce sens, il est permis de voir dans la mise à l'écart de l'intention criminelle des éléments constitutifs de l'imitation de marque une des plus grandes innovations de la loi n°36-2001 du 17 avril 2001. En l'absence d'une définition textuelle, la doctrine la plus autorisée tient pour imitation, l'acte qui « consiste à reproduire le signe, constituant la marque non pas à l'identique, mais approximativement ».1 Toutes les définitions avancées par la doctrine se recoupent sur l'idée que l'imitation n'implique pas la reproduction pure et simple de la marque d'autrui, au contraire, c'est de similarité entre les marques qu'il s'agit. L'imitation est donc en quelque sorte une contrefaçon par reproduction qui cherche à se déguiser derrière quelques dissemblances créées par le contrefacteur afin de repousser le grief de contrefaçon, c'est donc de ressemblance qu'il s'agit et non pas d'identité totale ou partielle entre les marques en question. 1 MATHELY (P): op. cit. p. 300. L'imitation de la marque d'autrui est un acte particulièrement grave qui perturbe le jugement et le choix du consommateur sur la véritable origine du produit, revêtu de cette marque car son attention sera retenue autant par les ressemblances entre les marques que par leurs dissemblances et c'est là où entre en jeu l'effet de la confusion voulu et soigneusement aménagé par le contrefacteur par imitation. L'imitation que le législateur tunisien réprime dans l'article 23 est celle qui implique une ressemblance d'un degré assez suffisant pour qu'il « en résulte un risque de confusion dans l'esprit ». En pratique, la distinction entre imitation et reproduction de la marque semble être d'une délicatesse manifeste. La finesse de la distinction n'a pas manqué de d'influer sur la terminologie employée en ce sens par les juges tunisiens qui ne se donnent pas la peine de trancher s'il s'agit d'un cas d'imitation ou de reproduction surtout que les deux actes se trouvent interdits à la fois pour des produits identiques ou similaires. Et pour couronner le tout, les juges, à une exception près,1 emploient le terme contrefaçon ou taklid indifféremment pour désigner les deux délits. Ce qui semble, donc, distinguer l'imitation de la reproduction, c'est le fait que le signe imitant se rapproche approximativement ou à peu près de la marque originale objet de l'imitation sans la reprendre, comme dans la reproduction, totalement ou même partiellement. Comme on l'a déjà vu à propos du risque de confusion, le consommateur ordinaire retient souvent une impression générale de la marque ainsi que des éléments qui la compose, il sera d'autant plus amené à croire qu'il se trouve devant la marque authentique qu'il connaît chaque fois que la marque contrefaisante reprend approximativement les éléments caractéristiques ou potentiellement distinctifs de la marque authentique. Pour cette raison et compte tenu du caractère déguisé de l'imitation, une jurisprudence constante admet unanimement une méthode synthétique dans l'appréciation de l'imitation de marque afin de relever les ressemblances entres les marques en questions. Cette méthode synthétique permet au juge d'extrapoler l'impression d'ensemble que laisse la marque contrefaisante dans l'esprit d'un consommateur ordinaire, si ce dernier se laisse tenté par l'idée que la marque contrefaisante est suffisamment semblable à la marque originale pour qu'il y ait risque de confusion dans son esprit, on pourra alors retenir le délit d'imitation. La confusion deviendra encore certaine si l'on admet que, dans des conditions normales, le consommateur n'est ni censé comparer les deux marques ni être en mesure de le faire car il n'est pas supposé avoir sous les yeux les deux marques en même temps pour qu'il puisse les comparer. A l'image de l'appréciation de la reproduction, il est évident que le juge doit prendre en considération les éléments distinctifs de la marque imitée car ce sont ces éléments que l'enregistrement protège, qui singularisent la marque et qui de part leur présence 2 dans un 1 Le juge pénal semble plus précis sur le plan terminologique. En effet, il emploi le terme NASKH et non pas TAKLID pour désigner le délit de reproduction. Çà était le cas des juges qui ont prononcé le jugement correctionnel n°6206 du 22 avril 2003 rendu par le TPI de Bizerte. Voir annexe n°8. 2 Voir dans le droit fil de cette affirmation : Cas s-civ n° 65931 du 8 mai 2001. Bull Civ 2001, p 103. ensemble présentant certaines démarcations, en l'occurrence la marque contrefaisante, risquent de semer la confusion dans l'esprit du public. Il y a donc lieu de considérer que la contrefaçon par imitation n'est pas constituée si les éléments, imités, repris dans la marque contrefaisante ne figurent pas dans le dépôt de la marque imitée ou s'il s'avère qu'ils sont nécessaires, descriptifs ou encore usuels. Il faut donc qu'ils soient protégeables et intrinsèquement distinctifs. Par ailleurs, on doit pouvoir exiger que la reprise approximative de ces éléments distinctifs dans la marque contrefaisante ne leur fasse pas perdre leur caractère original.1 En effet, si ces éléments perdent leur singularité tout en se dispersant dans l'ensemble auquel ils sont assemblés, il y a lieu de dire qu'ils ne sont plus en mesure de rappeler la marque antérieure dont ils faisaient partie. Dès lors, il n'y aura pas de confusion ni par voie de conséquence d'imitation. Il convient de noter que la conviction du juge sur l'existence de l'imitation se nourrit souvent de la prise en compte de certaines circonstances de fait propres à chaque espèce ainsi que d'une touche de subjectivité inhérente, semble t-il, à l'appréciation. Cette touche de subjectivité explique peut être l'exclusion de l'imitation comme çà était le cas dans l'affaire KIRI c/ RIKI. La Cour de Cassation a considéré qu'il n'y a pas d'imitation même s'il y a eu inversion de la marque KIRI. Ceci étant, il est permis de voir dans les motivations de cet arrêt l'exemple type de la démarche à ne pas suivre dans l'appréciation de l'imitation. En effet, après avoir approuvé l'arrêt qui a basé la comparaison sur les différences quant aux dénominations -entre la marque RIKI, arguée de contrefaçon, et la marque La Vache Qui Rit- ainsi que sur les différences entre les produits quant à la forme et les couleurs, la Cour de Cassation, tout en employant un terme dénué de toute précision, en l'occurrence Tadliss,2 a considéré que « l'imitation des marques de fabrique suppose l'existence d'une confusion entre les deux marques et une identité totale tant entre les dénominations que dans la manière dont elles sont présentées au public afin qu'il puisse en résulter une confusion dans l'esprit des clients ». 3 De même, en raison de la comparaison des produits et non pas des marques en causes, il a été jugé que la marque NUIT de PARIS ne constitue pas une imitation de la marque SOIR de PARIS.4 Dans les affaires où l'imitation a été retenue, les juges motivent souvent remarquablement et dûment leurs décisions, tel est le cas dans l'arrêt qui a considéré que « la ressemblance établie entre les marques SONY et SONYA est de nature à créer un doute et une confusion auprès du commun des clients [....] La cour admet ainsi qu'il y a une grande ressemblance entre les deux marques, c'est ce qui explique le trouble et l'embrouillement du consommateur ordinaire. La responsabilité qui en découle est à la charge du propriétaire de la marque SONYA qui a choisi une marque similaire à celle de son concurrent SONY sans considérer ni observer les antériorités ni les marques déjà exploitées sur le marché dont il n'est pas en droit d'ignorer l'enregistrement».5 1 Affaire CACHOU, Cour de Cassation française, arrêt commercial du 24 janvier 1995. Rapportée dans le Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence, publication de la Cour d'Appel de Sfax 1997, n°1. p. 4. ( Partie en langue française ) 2 Aux fins de la traduction, on tiendra le terme tadliss pour équivalent d'imitation frauduleuse au sens du décret de 1889. 3 Cass-Civ, n°18698 du 4 décembre 1989. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p. 149. 4 TPI, Sfax, Jugement n°14808 du 13 février 1989. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p. 144. 5 CA, Tunis, arrêt n°1593 du 13 février 1987. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p. 150. voir aussi dans le même sens, les motivations pertinentes de l'arrêt : Cass-civ n° 65931 du 8 mai 2001. Bull Civ 2001, p 103. L'imitation a été aussi retenue à plusieurs reprises dans des cas très fréquents qui impliquent l'utilisation par un tiers d'une marque dont la consonance est trop proche ou rappelle excessivement la marque d'autrui, c'est la modalité d'imitation sonore. Çà était le cas dans l'affaire 1 POMPÉIA c/ PAON BEYA et Rêve d'Or c/ Rêve d'Aurore. De même dans les affaires WELLASTRATE c/ BEL STRATE 2 et SUNSILK c/ SUPERSILK. 3 A l'occasion de deux décisions rendues, dans l'affaire DIXAN c/ DEXEL, postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n°36-2001, les juges sont parvenus à consacrer l'esprit même de la protection que le législateur a voulu faire bénéficier au propriétaire de la marque face à l'imitation. En l'espèce les premiers juges 4 ont considéré que la marque DEXEL, enregistrée et appliquée à un détergent, constituait une imitation de la marque antérieure DIXAN enregistrée pour le même produit. Selon le tribunal, « il ressort de la comparaison de l'élément nominal des marques DIXAN et DEXEL en latin une ressemblance quant à l'aspect général des deux mots d'autant plus que la grande similitude relative à la prononciation des deux marques en langue arabe est de nature à induire le consommateur à confondre ces marques, surtout qu'il s'agit d'un produit identique, en l'occurrence un détergent, dont la dénomination se confond, lors de la prononciation, à l'appellation du produit de la demanderesse ». Tout en confirmant la solution entérinée en première instance, la Cour d'Appel de Tunis 5 a tenu à rappeler que « la détermination de l'imitation d'une marque de commerce passe par la mise en exergue des ressemblances, entre la marque authentique et celle arguée d'imitation, susceptibles de semer la confusion dans l'esprit du consommateur ordinaire qui n'est pas en mesure d'exercer un contrôle afin de comparer la marque originale à la marque contrefaisante. Par ailleurs, les éléments circonstanciés de dissemblance n'ont point d'effet sur le pouvoir discrétionnaire du juge qui prend en considération les caractéristiques de la marque ainsi que sa perception d'ensemble afin d'établir l'imitation ». Quant au modalités de l'imitation, elles varient en fonction de la fécondité de l'imagination du contrefacteur. Parmi ces modalités, on compte notamment l'imitation visuelle qui se trouve généralement et non pas nécessairement accompagnée par une imitation sonore, c'était le cas dans les affaires précitées : WELLASTRATE c/ BEL STRATE et SUNSILK c/ SUPERSILK. L'imitation peut résulter aussi de la traduction de la marque dans la mesure où elle laisse transparaître la marque d'autrui,6 en ce sens, il a été jugé 7 que la marque « Après l'amour » imitait la marque « After love » de même « Master vox » et « Master voice ». De même, il est possible que l'imitation découle d'une association d'idées dans des cas où le public ne peut s'empêcher de rapprocher les deux marques comme dans le cas de « Mignon Camembert » et « coquet Camembert ».8 1 TPI, Tunis, jugement du 5 juillet 1948. (PIVER / BATTIKH) Ann. Prop. Ind 1948. p. 272. 2 TPI, Tunis, jugement n°19598 du 27 décembre 1988. BOUDEN (O): op. cit. Annexe p. 170. 3 TPI, Tunis, jugement n°11049 du 4 mars 1985. BOUDEN (O): op. cit. Annexe p. 103 4 TPI, Tunis, commercial n° 11380 du 18 janvier 2003. voir annexe n°9. 5 CA, Tunis, arrêt commercial n°1810 du 19 janvier 2004. voir annexe n°10. 6 CHAVANNE (A) & BURST (J-J): op. cit. n°1219. p. 726. 7 Ibidem. 8 Paris, 14 septembre 1925. Ann. 1926. p. 2. Il est à noter que le juge tunisien n'a pas reconnu, à tort, l'imitation par rapprochement à l'occasion de l'affaire SOIR de PARIS c/ NUIT de PARIS. 1 Enfin, l'association d'idées s'opère aussi par un contraste paradoxalement susceptible de semer la confusion, l'exemple classique en ce sens est celui de la marque « La vache sérieuse » qui, bien que différente, constitue la réplique par contraste de la marque « La vache qui rit ».2 Il importe en définitive de rappeler que l'imitation est retenue au sens de l'article 23 chaque fois que cet acte s'applique à « des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ». La condamnation de l'acte d'imitation de marque ne doit pas déborder sur la protection de la marque en dehors des limites raisonnables de sa spécialité ni permettre de sanctionner des actes déloyaux qui ne rentrent pas raisonnablement et strictement dans le champ d'application de la loi des marques. la mise en oeuvre de tels propos n'est évidemment pas une mince affaire si l'on admet que la condition du risque de confusion inhérent à la condamnation de l'imitation de marque est en quelque sorte une notion empruntée à la terminologie et à l'esprit même de la répression des actes de concurrence déloyale au sens de l'article 92 C.O.C. |
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