Section 2 : La panoplie des actes de contrefaçon
par « confusion »
La marque est protégée au sens de l'article 22
de certaines atteintes préjudiciables qui mettent en cause un emploi de
la marque pour les mêmes objets qu'elle désigne suivant ce qui a
été revendiqué lors de son dépôt. Il s'agit
donc d'une protection qui se doit d'être rigoureuse car l'atteinte dans
ce cas touche la marque dans sa spécialité au sens le plus
strict.
Dans ce contexte, la condamnation des actes de
contrefaçon selon l'article 23 de la loi n°36- 2001 doit être
entendue dans le sens d'une protection nécessaire, de nature à
compléter et à conforter celle prévue dans l'article
22.
Dans le point (a) de l'article 23, le législateur a
aménagé certaines interdictions propres à protéger
la marque des atteintes qui résultent de son emploi par un tiers non
autorisé pour des objets similaires à ceux que
cette dernière couvre, cet emploi de la marque par voie de reproduction,
usage ou apposition risque s'il en résulte un risque de confusion dans
l'esprit du public, de nuire gravement à la singularité de la
marque ainsi qu'à son propriétaire qui ne saurait assumer la
responsabilité qui découle de l'emploi d'une marque identique
à la sienne et désignant, par la même, des objets
similaires. (Paragraphe 1)
D'autre part, l'article 23 reconnaît, dans son point (b) au
propriétaire une protection contre l'imitation de sa marque ainsi que
l'usage d'une marque imitant la sienne.
1 (Affaire : KIRI c/ RIKI) : CA,
Tunis, Arrêt n° 61799 du 27 novembre 1985. Bulletin de la Doctrine
et de la Jurisprudence, publication de la Faculté de Droit de Sfax 1997,
n°1. p. 148. La cour affirme qu' « afin d'être rassurée,
la cour a procédé à la présentation des deux
produits dans la salle d'audience à trois personnes différentes
qui ont certifié unanimement qu'il n'y a pas de ressemblances entre les
produits » ; Dans le même sens, (Affaire : JACQUES JONY c/
SOTALCO) : TPI, Tunis, JUGEMENT n°15847 du 20 avril 1985. BOUDEN
(O): op. cit. Annexe p. 140. Dans les deux cas, on ne peut reprocher aux
personnes questionnées d'avoir comparé les produits et non pas
les marques elles-mêmes.
Contrairement à l'indiscrétion de l'atteinte
constitutive de contrefaçon au sens de l'article 22 et, à un
moindre degré, l'article 23 (a), l'acte d'imitation de la marque se
caractérise par une certaine subtilité qui n'implique pas le
reprise ou l'accaparement de la marque en substance, il consiste minutieusement
en l'emploi d'une marque qui, sans reprendre totalement ou même
partiellement la marque d'autrui, s'en rapproche approximativement au point de
créer un risque de confusion dans l'esprit du public concernant la
véritable origine des objets qu'elle désigne par rapport à
leurs identiques ou similaires couverts par
la marque imitée. (Paragraphe 2)
Paragraphe 1 : Les actes interdits pour des produits ou
services similaires à ceux désignés à
l'enregistrement :
Selon la lettre de l'article 23 (a), « Sont
interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il en peut
résulter un risque de confusion dans l'esprit du public :
a) La reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque,
ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services
similaires à ceux désignés dans l'enregistrement
».
Les actes de contrefaçon selon l'article 23 (a) se
distinguent de ceux de l'article 22 (a) à deux niveaux. Le premier est
celui de l'exigence d'un risque de confusion, quant au second il concerne le
caractère similaire des objets pour lesquels l'usurpation de la marque a
été consommée.
Nonobstant ces spécificités, les actes de
contrefaçon de l'article 22 (a) et ceux de l'article 23 (a) se recoupent
fondamentalement sur deux points essentiels.
En premier lieu et à l'image de l'article 22, la bonne
foi du contrefacteur demeure pour les mêmes raisons un
élément inopérant aux fins de l'appréciation du
délit de contrefaçon qui résulte au sens de l'article 23
de « La reproduction, l'usage ou
l'apposition d'une marque, ainsi que l'usage d'une marque
reproduite, pour des produits ou services similaires à
ceux désignés dans l'enregistrement ». Ainsi, la
contrefaçon sera retenue indépendamment de l'intention de celui
qui commet les actes énumérés à titre limitatifs
dans l'article 23.
En deuxième lieu, il est à préciser que
la matérialité des actes de reproduction, usage,
apposition d'une marque ainsi que celui de l'usage d'une
marque reproduite, au sens de l'article 23 de la loi n°36-2001 ne
se distingue en rien de celle de leurs semblables interdits dans l'article 22
de la même loi.
Ce sont les mêmes faits matériels qui constituent
le délit de contrefaçon dans les deux cas, de même, il
convient d'ajouter que les actes de reproduction, d'usage, d'apposition
d'une marque ainsi que celui de l'usage d'une marque
reproduite s'apprécient de la même manière et
interviennent selon les mêmes modalités peu importe qu'il s'agisse
de ceux interdits à l'article 22 ou de ceux prohibés dans
l'article 23.
La seule différence réside donc dans le
caractère similaire des produits et des services couverts par la marque
contrefaite. Cette similarité a bien entendu poussé le
législateur à exiger la survenance d'un risque de confusion dans
l'esprit du public afin de s'assurer que la fonction distinctive de la marque
ainsi que les intérêts légitimes de son propriétaire
ont été atteints par
l'existence et l'emploi d'une marque, qui en raison de son
caractère identique ou quasi-identique à la marque
usurpée, risque de laisser à croire que les produits qu'elle
désigne ont la même origine que ceux qui leurs sont similaires et
qui se trouvent couverts par la marque antérieure.
Outre la sensibilité de l'appréciation du risque
de confusion, c'est la détermination du caractère similaire des
produits ou des services en cause qui pose véritablement un
problème lors de l'appréciation du délit de
contrefaçon dans tous les cas de figure de l `article 23 (a).
D'emblée, l'estimation de la similarité souffre
d'une subjectivité accentuée, elle revêt par ailleurs une
importance capitale car elle débouchera sur la détermination de
l'étendue de la spécialité de la marque et par voie de
conséquence sur l'étendue de sa protection.
Raisonnablement, le juge doit d'abord déterminer les
produits qui figurent dans le dépôt de la marque peu importe
qu'ils soient exploités ou non à moins qu'une décision de
justice n'ait prononcé la déchéance des droits sur la
marque concernant le produit ou le service en question.
Avant d'aller plus loin, il importe de rappeler que
l'appartenance de deux produits à une même classe au sens du
classement de l'arrangement de Nice, ne devra pas compter pour quelque chose
dans la détermination de la similarité entre les produits car la
loi des marques ne reconnaît à l'appartenance d'un produit
à une classe donnée aucun effet de droit sur l'étendue de
la protection de la marque, par ailleurs, ces « classifications
sont plus ou moins arbitraires, et avec l'évolution des techniques se
révèlent parfois artificielles ».1
Objectivement, on peut considérer deux produits comme
similaires chaque fois que leur nature ainsi que leur usage se trouvent
manifestement voisins. Par ailleurs, si l'on examine la similarité sous
un angle économique, nécessairement plus souple, «
on considérera comme similaires des produits dont le public a
toutes raisons de croire qu'ils proviennent du même fabricant. On prendra
aussi en considération la destination commune des produits
».2
Sur la base d'un tel raisonnement, ont été
considérés comme similaires « les produits, qui en
raison de leur nature et de leur destination, peuvent être
attribués par les consommateurs à la même origine. Tel est
le cas des chaussures, des produits chaussants et des vêtements, tous ces
produits ayant une fonction commune qui est de vêtir l'homme
».3
Par ailleurs, il arrive qu'un produit soit similaire à
un service.4 De même, outre la condition de l'emploi de signes
identiques ou quasi-identiques, la similitude est envisageable entre l'objet
d'un service rendu par l'animateur d'un nom de domaine sur Internet et des
objets couverts par une marque de commerce, de fabrique ou de services
appartenant à autrui.
Les éléments qui devront compter lors de
l'appréciation de la similitude peuvent changer d'une espèce
à l'autre eu égard aux circonstances de fait pertinentes.
1 CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : op. cit.
n°1017. p. 579. Concernant l'arrangement de Nice, voir supra. p. 62.
2 Ibid. n°1018. p. 580.
3 Paris, 19 janvier 1993,
D. 1994. Somm. Com., p.
56.
4 CA, Paris, 30 mai 1969. Ann. 1970. p. 118. Selon
MATHELY, la similarité a été retenue entre une marque de
services et une marque de fabrique dans la mesure où l'activité
de la marque de services porte sur l'organisation d'une distribution
commerciale d'objets couverts par la marque de produit. Op. cit. p. 318.
Parmi ces éléments, on compte la
complémentarité des produits, leur destination à la
même clientèle ainsi que le caractère notoire de la marque
contrefaite.
Quoi qu'il en soit, l'estimation de la similarité doit
nécessairement s'opérer dans les limites du raisonnable tout en
gardant sous les yeux deux impératifs sensiblement peu conciliables. En
effet, sans aller jusqu'à provoquer l'éclatement de tout
l'édifice construit autour du principe de la spécialité
des marques en tenant pour semblables deux produits qui, manifestement, ne le
sont pas, le juge doit se porter garant d'une protection efficace des
intérêts du titulaire de la marque ainsi que du respect de la
fonction religieusement distinctive de celle-ci.
Contrairement à une jurisprudence française
abondante en matière d'appréciation de la similarité des
produits et des services,1 à notre connaissance, le juge
tunisien n'a pas encore été saisi d'une action en
contrefaçon impliquant des produits similaires à l'exception
d'une affaire, encore en instance, classée au greffe du
Tribunal de Première Instance d'Ariana sous le n°12127.
Dans cette affaire, la société COCA-COLA
COMPANY, propriétaire de la marque FANTA
enregistrée pour des produits de boissons gazeuses, s'est
opposée, sur la base des articles 23 et 24 de la loi n°36-2001,
à l'utilisation par un tiers de la marque FANTA CHIPS
appliquée à des produits alimentaires de pommes de terre
frites.
En l'espèce, il semble difficile d'admettre que la
contrefaçon soit retenue au sens de l'article 23 en raison du
caractère apparemment non similaire des produits en question à
moins que les juges ne soient d'un avis contraire.2
En définitive, il apparaît clair que la
constitution du délit de contrefaçon au sens de l'article 23 de
la loi n°36-2001 repose sur la réunion de trois conditions
cumulatives. En premier lieu, il faut que la marque contrefaisante soit
identique ou tout le moins quasi-identique à celle d'autrui, ensuite, il
faut que l'acte matériel de contrefaçon, consommé par voie
de reproduction, usage, apposition ou par l'usage d'une marque reproduite, soit
appliqué à des produits ou services similaires à ceux qui
figurent dans l'acte d'enregistrement de la marque usurpée. En dernier
lieu, il est nécessaire aux fins de la condamnation de ces actes qu'il
soit établit un risque de confusion dans l'esprit du public 3
concernant la véritable origine des produits ou des services en
question.
La distinction entre produits et services similaires ou
identiques perd son utilité concernant la constitution du délit
d'imitation de marque au sens de l'article 23 (b).
1 Voir en ce sens la jurisprudence citée par MATHELY (P):
op. cit. p. 315 et sui.
2 Dans sa requête introductive d'instance, le
propriétaire de la marque FANTA a mentionné les
articles 23, 24 et 44 de la loi n°36-2001 en tant que base légale
de sa demande. Par ailleurs, il nous a été
révélé que la stratégie de la demanderesse repose
plutôt sur l'article 24 relatif à l'engagement de la
responsabilité civile de l'auteur d'un emploi injustifié ou
préjudiciable d'une marque jouissant d'une renommée pour des
produits ou services non similaires à ceux pour lesquels cette
dernière a été enregistrée.
Ce choix semble raisonnable dans la mesure où les juges
reconnaîtront plus aisément le caractère notoire de la
marque FANTA que la nature similaire des produits en
question.
Toutefois, rien n'empêche le juge de retenir la
contrefaçon au sens de l'article 23 (a) pour ces raisons, d'abord, il
s'agit de deux produits alimentaires, de grande consommation, vendus
généralement dans les mêmes rayons en grande surface et que
les jeunes tendent de nos jours à consommer à des moments et en
des circonstances pareilles surtout avec la nouvelle culture de
consommation qui ne cesse de se rapprocher des standards américains en
la matière.
A ces considérations s'ajoute l'influence probable du
caractère notoire de la marque FANTA, ce
caractère pourra être pris en considération lors de
l'appréciation du risque de confusion dans l'esprit du public qui pourra
raisonnablement voir en la marque FANTA CHIPS la
désignation du nouveau produit de la marque mère
FANTA.
3 Cf. CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : op. cit.
n°1017. p. 579. Ces auteurs considèrent que le risque de confusion
n'est pas fonction de la similarité des produits ou services mais
uniquement fonction de l'identité des marques elles-mêmes.
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