Section 5 : Le délit d'importation ou
d'exportation de marchandises présentées sous une marque
contrefaite
La répression de l'importation ou de l'exportation de
marchandises revêtues d'une marque contrefaite fait l'objet de l'article
51 de la loi n°36-2001, la prohibition est formulée comme suit :
« Sous réserves des peines prévues par des textes
spéciaux, sera puni d'une amende de 5000 à 50 000 dinars
quiconque aura :
b) importé ou exporté des marchandises
présentées sous une marque contrefaite ».
Si l'on se réfère à la définition
littérale de l'acte de contrefaçon au sens de l'article 44 tout
en gardant sous les yeux l'énumération stricte de ces actes en
tant qu'interdictions à la charge des tiers au sens des articles 22 et
23 de la loi n°36-2001 du 17 avril 2001, on finira par admettre que le
législateur tunisien a délibérément choisi
d'incriminer les actes d'importation et d'exportation de produits revêtus
d'une marque contrefaite sans pour autant les qualifier expressément
d'actes de contrefaçon malgré qu'ils soient passibles des
mêmes peines prévues pour n'importe quel acte de
contrefaçon au sens de la loi n°36-2001.
Cette distinction semble artificielle car il n'y a aucune
différence de nature entre ces actes et n'importe quel acte de
contrefaçon impliquant un usage illicite d'une marque
enregistrée. En effet, on est en droit de soutenir que l'acte d'importer
ou d'exporter des marchandises revêtues d'une marque contrefaite
constitue, selon le cas, un cas particulier du délit d'usage d'une
marque reproduite au sens de l'article 22 ou encore reproduite ou imitée
au sens de l'article 23.
La délictualisation de l'importation et de
l'exportation de produits revêtus d'une marque contrefaite est une mesure
de nature à consolider l'arsenal juridique protecteur des marques, elle
permet aux titulaires des droits de s'opposer à la mise en circulation
et à l'exportation de marchandises revêtues illicitement de leurs
marques, c'est aussi l'ultime chance de poursuivre des actes de
contrefaçon, jusque là non aperçus, qui impliquent au
moins la commission des délits de reproduction et d'apposition. Cette
prohibition permet en outre de poursuivre, dès l'entrée de ces
marchandises en Tunisie, des actes de contrefaçon consommés
à l'étranger.
Par ailleurs, on note que l'interception aux frontières
des marchandises revêtues d'une marque contrefaite est rendue commode
grâce à l'agencement, au sens de l'article 56 de la loi
n°36-2001, de mesures à la frontière 1 tendant
à suspendre, lors d'une opération d'importation, le
dédouanement des marchandises revêtues de marques contrefaites
à fin de prévenir leur intrusion dans les circuits du commerce
légitime.
Le fait d'importer ou d'exporter des marchandises
présentées sous une marque contrefaite constitue une violation
manifeste des interdictions qui découlent de l'enregistrement de la
marque. Cet enregistrement, confère, au sens de l'article 21 de la loi
n°36-2001, à son titulaire un droit privatif de
propriété sur la marque pour les produits et services qu'il a
désignés lors du dépôt. Ce droit exclusif est
foncièrement incompatible avec toute mise en circulation de produits
portant une marque contrefaisante, il bénéficie par ailleurs
d'une efficacité et d'une opposabilité qui s'étendent sur
tout le territoire national qui reconnaît le droit sur la marque en
question.
1 Conformément à ses engagements
internationaux en vertu de l'article 51 de l'accord sur les ADPIC, le
législateur tunisien a prévu dans le chapitre VII de la loi
n°36-2001 des mesures à la frontière tendant à
suspendre le dédouanement des marchandises revêtues de marques
contrefaites. Ces mesures ne sont applicables qu'aux marchandises
importées.
En conséquence, l'incrimination des actes d'importation
ou d'exportation se révèle comme l'expression géographique
par excellence des prohibitions qui découlent de l'enregistrement de la
marque. Ainsi se dégage la règle selon laquelle importer ou
exporter c'est encore contrefaire.
Aux fins de l'incrimination des actes d'importation ou
d'exportation, il n'est point exigé dans l'article 51 de la loi du 17
avril 2001 que ces actes doivent avoir été commis
délibérément ou frauduleusement, ce sont donc des
délits d'imprudence punissables du seul fait de la consommation des
actes d'importation ou d'exportation ayant pour objet de telles
marchandises.
Selon la lettre de l'article 51 de la loi du 17 avril 2001, la
prohibition se limite aux marchandises 1 à l'exclusion des
services. Le législateur n'a pas défini aux fins de
l'appréciation du délit d'importation ou d'exportation ce que
l'on doit entendre par « marchandises »
présentées sous une marque contrefaite, s'agit-il des
marchandises à caractère commercial ou simplement de marchandises
contenues dans les bagages personnels des voyageurs ?
A notre sens, le délit doit être retenu chaque
fois qu'il s'agit de marchandises à caractère commercial, la
question qui se pose à ce stade est celle de savoir si l'incrimination
porte sur toutes les marchandises situées dans le territoire tunisien
sous n'importe quel régime douanier ?
En droit français,2 depuis la mise en oeuvre
de la loi dite LONGUET du 5 février 1994, la contrefaçon
de marque est érigée en délit douanier. Ainsi,
l'importation sous tous régimes douaniers et l'exportation de
marchandises présentées sous une marque contrefaite sont
interdites à titre absolu, cette prohibition concerne aussi les
marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs. De
même, « la circulation sur le territoire français,
fût-ce sous le régime du transit, de la marchandise contrefaisante
constitue une atteinte au droit du propriétaire de la marque et doit
être réprimée quel que soit le régime qui lui est
applicable » .3
Bien entendu, le droit tunisien dans son état actuel ne
reconnaît pas une protection aussi rigoureuse des droits sur la marque,
ceci étant, rien n'empêche d'appliquer l'article 51 de la loi
n°36-200 1 à toute sorte de marchandises revêtues d'une
marque contrefaite à l'exception de celles contenues dans les bagages
personnels des voyageurs dans les limites réglementaires fixées
pour l'octroi d'une franchise douanière et ne présentant pas un
caractère commercial conformément à l'article 64 relatif
à la limitation du champ d'application des mesures à la
frontière.
La mise en oeuvre de la prohibition posée par l'article
51 de la loi des marques ne semble pas en contradiction avec les
impératifs régissant les différents régimes
douaniers d'admission des marchandises en territoire tunisien car ces
régimes n'ont pas pour effet de situer fictivement le délit
à l'étranger, ils jouent seulement en vue de l'application d'un
régime fiscal privilégié ou incitatif.
1 Le législateur tunisien semble adopter la
terminologie employée dans l'article 51 de l'accord sur les ADPIC qui
utilise le terme marchandises au lieu de produits. Le terme
marchandises est défini dans la note explicative n°14
relative à l'article 51 ADPIC comme suit : « Aux fins du
présent accord : a) l'expression «marchandises de marque
contrefaites» s'entend de toutes les marchandises, y compris leur
emballage, portant sans autorisation une marque de fabrique ou de commerce qui
est identique à la marque de fabrique ou de commerce valablement
enregistrée pour les dites marchandises, ou qui ne peut être
distinguée dans ces aspects essentiels de cette marque de fabrique ou de
commerce, et qui de ce fait porte atteinte aux droits du titulaire de la marque
en question en vertu de la législation du pays d'importation ».
2 DERRAC (M) : « Les nouveaux pouvoirs des douaniers et
le règlement communautaire du 22 décembre 1994 » GAZ. PAL du
13 juin 1996. N°3. p. 590 ; Sur la réglementation européenne
relative aux pouvoirs douaniers en matière de lutte
anticontrefaçon, voir ARNAUD (E) : « Sur le règlement du
conseil du 25 janvier 1999.. » Gaz. Pal du 14 avril 2000. N°2. p.
674. Voir également la nouvelle directive du 26 avril 2004, contre la
contrefaçon et le piratage, disponible sur :
www.europa.eu.
3 CA, Toulouse, Arrêt n°86 du 26 janvier
1993. publié sur l'adresse :
http://www.ca-toulouse.justice.fr
Dans cette optique, il semble utile de rappeler que l'article
116 du code des douanes exclu de l'admission sur le territoire tunisien sous le
régime de transit, « les marchandises portant de fausses
marques d'origine tunisienne ou d'un pays en union douanière avec la
Tunisie ».
De même, sont inadmissibles, au sens de l'article 128 du
code des douanes, à n'importe quel titre et dans les tous les types
d'entrepôts de douanes « les produits étrangers
portant de fausses marques de fabrique tunisiennes ou d'un pays en union
douanière avec la Tunisie ».
Sur la base de telles dispositions, on doit pouvoir admettre
que ce type de marchandises n'est admis ni au dédouanement à
l'importation ni à fortiori à la mise en circulation sur le
territoire tunisien. La constatation du délit d'importation ou
d'exportation présente une complexité particulière car
elle est souvent combinée à la mise en oeuvre de la
législation douanière.
S'agissant de la matérialité du délit, on
doit admettre qu'il y a importation de marchandises présentées
sous une marque contrefaite chaque fois que ces marchandises se situent sur le
territoire tunisien et tant qu'elles n'ont pas été soumises au
dédouanement car une fois qu'elles sont mises en circulation, le
délit d'importation cesse d'exister.1
Quant à l'acte de l'exportation, il devra être
retenu dès la présentation, au bureau des douanes
concerné, de la déclaration en détail concernant ces
marchandises conformément aux articles 72 et 73 du code des douanes. La
présentation de la dite déclaration déclenche
l'opération de l'exportation et prouve indubitablement l'intention et
l'acte matériel de l'exportation.
Ce qui importe c'est l'existence d'un fait matériel
permettant de conclure à la consommation de l'exportation, la chose a
été jugée au pénal par la chambre correctionnelle
du Tribunal de Première Instance de Bizerte.2 En
l'espèce, la marque ASTRAL a été
reproduite et apposée sur des pots en aluminium destinés à
être rempli par des produits de peintures ne provenant pas de la
société ASTRAL, ces marchandises étaient destinées
à être exportées en Libye sur la demande d'un importateur
libyen, le tribunal n'a pas retenu le délit d'exportation car
« le délit d'exportation de marchandises revêtues
d'une marque contrefaite n'est pas fondé en fait comme en droit du
moment qu'il n'y a pas eu exportation des pots revêtus de la marque
contrefaite à n'importe quelle destination hors des frontières
».
En définitive, il semble opportun de considérer
le délit comme constitué même concernant les petits envois
et les colis car les contrefacteurs font de plus en plus recours à cette
pratique afin de ne pas attirer l'attention des détenteurs des droits et
pour éviter les contrôles douaniers rigoureux relatifs aux
conteneurs et aux grandes cargaisons. Il convient aussi de souligner que le
délit de l'article 51 (b) doit pouvoir s'appliquer aussi bien pour les
opérations régulières d'importation ou d'exportation que
pour celles qui impliquent un trafic occulte de contrebande.
A travers l'étude de tous ces actes de
contrefaçon prévus dans l'article 22 et 51 (b) de la loi
n°36-2001, la protection de la marque semble rigoureuse en raison de
l'atteinte directe à la marque pour des produits ou services identiques
à ceux désignés dans l'acte d'enregistrement, cette
rigueur garde son intensité même dans le cas où l'atteinte
en question toucherait la marque pour des objets non pas identiques mais
seulement similaires à ceux qu'elle couvre mais dans ce cas un risque de
confusion dans l'esprit du public doit être constaté afin de
retenir la contrefaçon.
1 Toutefois, la mise en circulation de telles marchandises en
Tunisie peut tomber sous le coup de la contrefaçon selon qu'il s'agit
d'un usage au sens de l'article 22 de la loi n°36-2001 ou d'un cas
spécifique d'usage au sens de l'article 52.
2 TPI, Bizerte, correctionnel n°6206 du 22 avril 2003.
Affaire : ASTRAL c/ SUPER PANDA ASTRAL Voir
annexe n°8.
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