Paragraphe 2 : Les modalités du délit d'usage
:
L'article 22 distingue nettement entre le délit d'usage
d'une marque et celui de l'usage d'une marque reproduite. Bien entendu, dans
les deux cas c'est l'usage qui est pris singulièrement en compte sauf
que dans la deuxième hypothèse le délit d'usage intervient
nécessairement comme la continuation d'un acte antérieur de
reproduction de la marque alors que dans le premier cas, le délit
d'usage existe indifféremment de toute reproduction.
La plus courante forme d'usage illicite de la marque, du moins
en jurisprudence tunisienne, consiste dans l'acte de dépôt de la
marque, cet acte d'usurpation et d'accaparement constitue un acte d'usage
illicite 1 au sens propre du terme, ce qui importe dans ce type
d'usage c'est le fait qu'un tiers dépose la marque pour son compte
indifféremment du fait que le dépôt ait abouti ou non
à l'acceptation de l'enregistrement par l'administration. De même,
il importe peu que la marque objet du dépôt frauduleux soit
utilisée ou non ultérieurement au dit acte de
dépôt.
Concernant le support de l'usage, il s'apparente à
celui de l'acte de reproduction de la marque du moment qu'il peut consister en
un usage à titre de nom commercial, dénomination sociale ou
enseigne comme çà était le cas dans l'affaire
L'OREAL c/ FLEUREAL.2 De
même, l'usage s'entend aussi d'un usage dans la
publicité,3 les factures, sur un cintre 4 et en
général tout usage impliquant un emploi par lequel la marque
usurpée continue encore à exercer sa fonction distinctive au sens
juridique et économique peu importe que l'usage soit oral, manuscrit
5 ou encore dans l'espace virtuel que constitue Internet. 6
A l'image du délit de reproduction, l'adjonction de
termes tels que façon, formule ou méthode n'est admise en aucun
cas à faire repousser le grief de contrefaçon par usage car
l'emploi de tels termes, qui ne sont d'ailleurs cités par l'article 22
qu'à titre indicatif, ne cherche en fait qu'à profiter de la
clientèle et de la renommée de la marque usurpée.
Le délit d'usage peut être consommé
même en l'absence de tout support matériel de reproduction, c'est
ce que confirme les quelques cas d'usages illicites qui suivent :
* Dans la publicité et même d'une manière
orale, l'usage d'une marque, sans autorisation, peut être entrepris
à titre de référence pour vendre des produits autres que
celle-ci désigne, c'est la pratique des marques d'appel qui
consiste à faire de la publicité sur une marque tout en ne
disposant pas des stocks suffisants de produits revêtus de cette marque
afin de vendre et de promouvoir d'autres produits concurrents et
généralement substituables à ceux désignés
par la marque d'appel qui ne sert en fait que d'appât.
* En matière de parfumerie, il est une pratique
fort répondue, que l'on appelle smell-alikes ou les
tables de concordance,7 qui consiste pour un producteur
à présenter une fragrance ou essence
1 CA, Tunis, Arrêt n°83724 du 6
février 2002. voir annexe n°4 ; CA, Tunis, Arrêt n°
60537 du 16 février 2000. voir annexe n°5. TPI, Sfax, Jugement
commercial n°970 du 14 mars 2000. voir annexe n°1.
2 CA, Tunis, Arrêt du 30 décembre 1985.
rapporté dans l'annexe du mémoire de BOUDEN (O): op. cit. p.
92.
3 TPI, Tunis, Jugement n°64617 du 28
février 1989. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997,
n°1. p. 144.
4 CA, Paris, 15 décembre 1987. Ann. 1989. P.
269.
5 TPI, Bizerte, correctionnel n°6206 du 22 avril
2003. Voir annexe n°8. En l'espèce, la marque ASTRAL a
été utilisée sur un dessein qui la représente
graphiquement ainsi que sur une bande de papier collant.
6 Voir en ce sens l'affaire SONY,
TGI, Nanterre du 20 mars 2000. Précité, voir supra. p. 83, note
n°16.
7 Voir en ce sens, CHAVANNE (A) : « Le
délit d'usage de marque et son évolution ». Mélanges
Paul Mathély, Litec 1990. p. 105.
de parfum comme étant la réplique d'un autre
tout en utilisant la marque de ce dernier. C'est, en effet, un cas d'usage
interdit qui ne saurait bénéficier de la tolérance
accordée aux personnes admises à utiliser la marque d'autrui
à titre de référence nécessaire au sens de
l'article 25.
Au même titre que l'usage illicite d'une marque
authentique, constitue une contrefaçon, au sens de l'article 22,
l'usage d'une marque reproduite. Il s'agit d'un acte d'usage
distinct de celui qui s'applique illicitement à une marque authentique
car il s'agit dans ce cas précis d'usage ayant pour objet une marque
reproduite. De même, ce délit se distingue de la reproduction de
marque car « il y a contrefaçon à reproduire la
marque, aussi bien qu'à utiliser la marque reproduite dans le commerce,
que l'utilisateur soit lui même l'auteur de la reproduction ou
non ».1
Reste la question de la vente par un tiers non-agrée de
produits marqués relevant d'un réseau licite de distribution
sélective, saurait-elle rentrer dans la qualification de délit
d'usage illicite de marque ? En se ralliant aux arguments avancés par M.
POLLAUD-DULIAN,2 il semble judicieux de qualifier la violation d'un
réseau de distribution sélective comme délit d'usage
illicite de marque.
|