Paragraphe 2 : L'intervention de l'acte de
contrefaçon en dehors d'une
autorisation légale
Il va sans dire que si la loi autorise les tiers à
utiliser un signe identique à celui d'une marque enregistrée, il
ne sera plus question de qualifier un tel usage d'atteinte illégale
constitutive, le cas échéant, d'une contrefaçon. Ainsi,
l'autorisation légale s'analyse comme un fait justificatif ou encore une
sorte de servitude légale au même titre que celle
supportée, en vertu des aménagements apportés à la
propriété immobilière, par le propriétaire du
fond servant.
Cette limite apportée au droit sur la marque par
l'article 25 de la loi n°36-2001 est formulée dans les termes
suivants : « L'enregistrement d'une marque ne fait pas obstacle
à l'utilisation du même signe ou d'un signe similaire comme
:
a) Dénomination sociale, nom commercial ou
enseigne, lorsque cette utilisation est, soit antérieure à
l'enregistrement, soit le fait d'un tiers de bonne foi employant son nom
patronymique,
b) Référence nécessaire pour
indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant
qu'accessoire ou pièce détachée, à condition qu'il
n'y ait pas de confusion sur l'origine du produit ou du service.
Toutefois, si cette utilisation porte atteinte
à ses droits, le titulaire de l'enregistrement peut présenter une
requête auprès du tribunal compétent pour limiter cette
utilisation ou l'interdire ».
Avant de procéder à une brève analyse des
trois cas d'autorisation légale, il est important de souligner qu'elles
ne peuvent être interprétées d'une manière
extensive, d'autant plus qu'il faut réunir les conditions
nécessaires à sa mise en oeuvre sinon l'utilisation de la marque
d'autrui tombe sous le coup de la contrefaçon.
-A- La tolérance accordée à certains
signes distinctifs antérieurs à la marque :
Dans l'article 25 (a), le législateur met l'accent sur
la gestion des conflits pouvant opposer trois signes distinctifs à
l'enregistrement d'une marque. Il s'agit en effet de la tolérance
accordée par la loi à la dénomination sociale,1
le nom commercial 2 et l'enseigne.3
1 La dénomination sociale se définie
comme le nom adopté par une société de capitaux.
2 Le nom commercial est le nom sous lequel une
personne exerce l'exploitation effective d'un fonds de commerce afin de le
distinguer des autres fonds de commerce similaires.
3 Selon Chavanne et Burst, « L'enseigne est un
signe visible qui sert à distinguer un établissement commercial
et à permettre au public de ne pas le confondre avec un autre »,
op. cit, N°1382.
A l'opposé des droits sur la marque, l'acquisition des
droits, sur le nom commercial, la dénomination sociale et l'enseigne,
n'est subordonnée à aucune obligation d'enregistrement, ils
s'acquièrent par le premier usage, toutefois, même s'ils sont
protégés en tant qu'éléments du fonds de commerce,
ces droits ne font pas toujours le poids face au droit sur la marque.
En effet, on a déjà vu qu'en vertu de l'article
5 de la loi n°36-2001, le titulaire de l'un de ces signes ne peut opposer
son droit antérieur à l'enregistrement d'une marque identique que
dans des conditions précises.
Concernant la dénomination sociale, elle ne constitue
une antériorité opposable à une marque identique que
lorsque la marque risque de créer une confusion dans l'esprit du public.
Quant au nom commercial et l'enseigne, outre la nécessité de
l'existence d'un risque de confusion, ils ne sont opposables à
l'enregistrement d'une marque identique que lorsqu'ils sont connus sur
l'ensemble du territoire tunisien.
En pratique, rares sont les situations où ces signes
distinctifs remplissent ces conditions, c'est pourquoi, ils ne font pas souvent
obstacle à l'enregistrement d'une marque identique.
Toutefois, faisant l'objet d'un droit antérieur acquis
par l'usage, le nom commercial, la dénomination sociale et l'enseigne
méritent bien d'être respectés malgré qu'ils n'aient
pas le pouvoir de s'opposer à l'enregistrement de la marque pour
défaut de notoriété ou de rayonnement territorial. En
fait, c'est le respect des droits acquis sur ces signes distinctifs qui leur
permet de tenir face à l'existence d'une marque identique ou
similaire.
Il convient de noter que les droits acquis sur ces signes
distinctifs ne résistent pas à la marque à tous les coups,
car s'il est démontré que l'utilisation du même signe, dans
le même secteur d'activité, par les titulaires de ces droits porte
atteinte aux droits du propriétaire d'une marque identique ou similaire,
le juge pourra selon le cas ordonner la limitation de cet usage ou voire
même l'interdire sur la base de l'article 25 alinéa 2 de la loi du
17 avril 2001.
Concernant la limitation de l'usage, elle peut consister en
l'adjonction de tout terme, date ou lieu d'exploitation propre à
dissiper la confusion dans l'esprit du public quant à l'origine de
produits ou des services. A notre avis, il est souhaitable que les juges optent
pour la coexistence de ces signes avec la marque tout en exigeant la preuve du
préjudice subi.
Quant à l'autre alternative de l'article 25 al. 2, elle
permet au juge d'interdire l'usage de la marque comme dénomination
sociale, nom commercial ou enseigne. Hélas, la solution n'est pas
heureuse,1 car elle contredit directement le principe de la
protection des droits acquis.
En ce sens, MATHELY 2 voyait, à juste titre,
en la mesure d'interdiction une expropriation
pure et simple, il est donc très recommandé à tout
commerçant ou opérateur économique de déposer
à titre de marque les noms sous lesquels il exerce son commerce ou son
activité.
1 l'adoption de la mesure de l'interdiction dans l'article 25
témoigne d'un mimétisme coutumier car le législateur n'a
fait que reprendre l'article L. 713-6 du C.P.I français, or rien ne
fonde cette mesure orthodoxe. En effet, il est très
démesuré de faire disparaître un droit acquis pour
réparer un préjudice parfaitement réparable sur le terrain
du droit commun de la responsabilité ou encore sur celui de la
concurrence déloyale.
2 MATHELY (P): op. cit. p. 190.
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