-B- Les conséquences du dépassement des
prérogatives consenties par le propriétaire de la marque :
Dans tous les cas où le propriétaire de la
marque autorise un tiers à faire usage de sa marque, le grief de
contrefaçon ne peut être retenu, car la contrefaçon
découle d'une atteinte aux droits sur la marque, or dans ces cas
l'autorisation permet à l'intervention du tiers d'être
fondée en droit.
Toutefois, la solution devient tout autre si le contractant du
titulaire de la marque ne respecte pas les termes du contrat. En ce sens, il
communément admis que le dépassement, par le licencié, le
franchisé ou le sous-traitant, des droits qui leurs sont consenties par
le propriétaire de la marque tombe sous le qualificatif de
contrefaçon.
Autrement dit, tout ce qui dépasse les termes du
contrat devient contrefaçon, c'est pourquoi la rédaction des
contrats revêt une importance capitale surtout pour minimiser les risques
de divergence dans l'interprétation des droits et obligations
découlant du contrat.
Bien évidemment, ce qui nous
intéresse c'est le fait que le contractant dépasse, par l'usage
qu'il fait de la marque, le cadre prévu par le contrat tout en portant
atteinte aux droits sur la marque car seule l'atteinte au droit peut être
qualifiée d'acte de contrefaçon.
La pratique des contrats portant sur la jouissance des droits
sur la marque, tel que la licence et la sous-traitance, révèle
que les anciens partenaires ou contractants du titulaire de la marque sont
souvent les plus susceptibles de devenir des contrefacteurs en raison des
connaissances techniques et des secrets de fabrication qu'ils ont pu
acquérir tout au long de la période où ils entretenaient
des rapports d'affaires avec le propriétaire de la marque.
Dans le cas de la sous-traitance, une enquête
1 nous a permis constater certaines pratiques constitutives de
contrefaçon de marque. En effet, il est courant pour le contractant du
titulaire de la marque de dépasser la production prévue dans la
commande, peu importe le fait que le produit sur lequel la marque d'autrui est
apposée soit un produit authentique ou imité, le délit de
contrefaçon pourra être retenu contre un tel sous-traitant soit
pour reproduction, apposition ou encore usage de marque et ce pour
l'excédant qu'il a produit sans autorisation.
Ce type de dépassement est courant surtout chez les
confectionnaires en matière de textile, il est souvent question de
sur-production d'étiquettes ou de logos de la marque, cette
pratique est très répondue en Tunisie et il semble que certaines
entreprises en font l'essentiel de leur activité.
1- Afin de donner un sens plus pratique aux dimensions de la
contrefaçon de marque en Tunisie, nous avons procédé
à une enquête auprès de quelques entreprises industrielles
et commerciales domiciliées en Tunisie, rares sont celles qui ont
coopéré, certains refusent d'admettre la contrefaçon de
leur marques tel que LEVI'S® et
SONY®.
Egalement pour le secteur de l'industrie
automobile,1 les constructeurs détenteurs des marques
automobiles souffrent souvent du dépassement des termes des contrats
passés avec leurs sous-traitants. Lors d'une enquête auprès
de l'entreprise RENAULT, les responsables de cette régie
d'automobile n'ont pas manqué de révéler leur
inquiétude à propos des pratiques de leur principal
sous-traitant, la société italienne VALEO.
En effet, en Tunisie comme à l'étranger, le dit
sous-traitant occasionne de considérables pertes à son donneur
d'ordre tant sur le plan financier que sur celui du prestige et de l'image de
marque et ce à travers la fabrication excédentaire et la
commercialisation, sur les circuits officiels de distribution, de pièces
de rechange contrefaites -dites adaptables- non
conformes aux normes du constructeur.
La dépendance de RENAULT envers VALEO
est aussi forte qu'elle ne peut la poursuivre pour contrefaçon car le
préjudice qu'elle peut encourir en rompant avec son sous-traitant serait
largement supérieur au préjudice que lui fait subir la
contrefaçon.
Concernant le dépassement de l'autorisation par le
licencié, le problème semble se poser lorsque le contrat omet de
prendre en considération le sort des stocks de produits marqués
encore en possession du licencié alors que la relation contractuelle est
arrivée à terme. Dans ce cas, à défaut d'accord des
parties, le licencié doit bénéficier d'un délai
raisonnable afin d'écouler le stock en sa possession sans qu'il puisse
être taxé de contrefaçon.
Parfois, certaines affaires de contrefaçon de marque
permettent de regarder avec méfiance la concession de droits sur la
marque sous quelque forme qu'elle soit, c'est le cas de l'affaire «
Haut Mornag ».2 En l'espèce, la
Coopérative viticole BOU ARGOUB, ancien membre de
l'Union Centrale des Coopératives Viticoles
3 a été exclue de l'union pour
dépassement des prérogatives qui lui sont consenties par
l'U.C.C.V. Sa mission consistait en partie en la mise en
bouteille des produits vinicoles sous la marque Haut Mornag
appartenant à l'U.C.C.V.
En raison de sa mission de remplissage, la Coopérative
viticole BOU ARGOUB connaissait parfaitement les caractéristiques de
cette marque notamment l'étiquette, le logo, la forme de la bouteille,
l'emballage ainsi que les prix pratiqués, ce savoir-faire lui a permis
de contrefaire la marque « Haut Mornag » durant sept
années entières en proposant à la vente un vin d'une
qualité médiocre sous la même marque.
La reproduction de la marque était tellement
ingénieuse que le propriétaire de la marque n'a pu, avant la
découverte de la contrefaçon, donner une explication rationnelle
à la baisse spectaculaire du chiffre d'affaire des ventes du produit
vinicole marqué.
Dans une autre affaire,4 il a été
révélé qu'un partenaire commercial s'est
approvisionné de produits revêtus d'une marque notoire tout en se
comportant, de fait, comme représentant du titulaire de la marque sur le
marché tunisien, alors qu'il se ravitaillait de produits marqués
afin de les mettre en vente tout en procédant à l'enregistrement
de la marque pour son propre compte.
1 Voir en ce sens, KESSLER (M): « La
contrefaçon dans l'industrie automobile » Gaz. Pal du 26 mars 1994.
n°2. p. 365.
2 CA, Tunis, arrêt n°83724 du 6
février 2002. (non publié) voir annexe n°4.
3 L'activité de l'U.C.C.V consiste en la
centralisation de la production des coopératives membres, le stockage,
la mise en bouteille, ainsi que la commercialisation de cette production sous
les différentes marques qu'elle possède.
4 CA, TUNIS, Arrêt n° 60537 du 16
février 2000. (JOHNSON ENDSON / JASMINAL) Voir annexe
n°5.
Outre les termes du contrat, s'il est constaté par
écrit, ce sont surtout des considérations de fait propres
à chaque espèce qui permettent aux juges de retenir le
délit de contrefaçon contre le dépassement, par le
contractant, des droits qui lui sont consentis par le titulaire de la
marque.
Comme pour témoigner du caractère
non-absolutiste du droit sur la marque, le législateur autorise
exceptionnellement certaines personnes, sous certaines conditions, à
utiliser le signe constitutif d'une marque enregistrée.
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