objet spécifique de l'acte de
contrefaçon
Présenté comme le pilier du libéralisme
économique, le principe de la liberté de la concurrence constitue
la règle d'or de l'activité économique aussi bien en droit
tunisien1 qu'en droit comparé.
Dans ce contexte régi par la libre concurrence, le
droit des marques s'analyse comme un droit spécial et
dérogatoire. En effet, par sa nature même, le droit de
propriété sur la marque confère à son titulaire un
monopole exclusif d'exploitation sur le signe constitutif de la marque
dans son application aux objets qu'il couvre.
Le caractère monopoliste des droits sur la marque rend
évidemment le signe qui la constitue indisponible dans le commerce, des
produits et services similaires, aussi bien à l'usage comme à
l'appropriation. Dès lors, à défaut d'autorisation, il
sera défendu à tout concurrent d'utiliser le même signe
pour désigner des objets identiques ou similaires à ceux
désignés par la dite marque.
Conscient de sa nature restrictive de la libre concurrence, le
législateur a subordonné la protection de la marque dans la loi
n°36-2001 à l'observation de plusieurs conditions qui tiennent
à sa validité lors de sa naissance et à son
opposabilité lors de son exploitation.2
L'inobservation de ces conditions déplace le débat
en dehors du droit des marques qui ne s'applique qu'à une marque qui
répond à ses exigences relatives au fond et à la forme.
Par conséquent, l'acte de contrefaçon, en tant
qu'atteinte spécifique à un droit de marque, ne peut être
envisagé que dans la mesure où la marque à laquelle il
s'attaque est valablement constituée. Ainsi si le droit sur la marque ne
satisfait pas aux conditions requises à sa protection en vertu de la loi
n°36-2001, il ne saura bénéficier des dispositions de la
dite loi, dès lors, il ne sera plus question de défendre ce droit
sur la base du droit des marques.
Or l'on sait que l'acte de contrefaçon n'a de sens que
dans la mesure où la loi des marques s'applique, car il est interdit et
réprimé en tant que tel uniquement par cette loi. Il s'ensuit que
toute atteinte au droit sur une marque nulle ou inopposable sera
disqualifiée de contrefaçon, dès lors, un changement de
paradigme s'imposera. Il sera alors question de qualifier cette atteinte, le
cas échéant, de faute ou d'acte de concurrence déloyale au
sens du droit commun de la responsabilité civile.
Ainsi, il apparaît clair que l'objet de l'acte de
contrefaçon de marque est nécessairement un droit de
propriété sur une marque, un droit qui répond aux
conditions strictes requises à sa validité ( section
1) et son opposabilité une fois valablement constitué.
(section 2)
1 Le principe de la liberté de la
concurrence est consacré en droit tunisien par l'article 2 de la loi
n°64-91 du 29 juillet 1991, relative à la concurrence et aux
prix.
2 La subordination de la validité du droit
sur la marque à l'observation de certaines conditions de fond, de forme
et d'opposabilité n'est pas étrangère au droit tunisien
des marques, car bien que le décret de 3 juin 1889 soit trop
économe en ce sens, il convient de noter que la jurisprudence tunisienne
a relativement comblé cette lacune tout en s'inspirant des principes
généraux régissant la validité de la marque en
droit français.
Section 1 : La validité du droit sur la marque
Le propriétaire désireux de voir sa marque
protégée contre une atteinte constitutive de contrefaçon
doit d'abord veiller à ce que son titre de propriété soit
valable. En effet, une marque nulle ne saurait faire l'objet d'un acte de
contrefaçon car celui-ci n'est qualifié comme tel que parce qu'il
porte atteinte aux droits sur une marque valablement constituée.
La validité du droit sur la marque s'entend ici de sa
nécessaire conformité aux prescriptions spécialement
aménagées à cet effet par la loi n°36-2001 du 17
avril 2001. Il n'est pas sans intérêt de remarquer que cette loi
édicte les conditions de validité de la marque dès son
chapitre premier relatif aux « dispositions générales »
et plus précisément à partir de son article
deuxième, c'est en quelque sorte la charte du droit des marques tunisien
ou en quelque sorte ses conditions spécifiques d'application.
Dans les articles 2, 3, 4 et 5 de la loi n°36-2001, le
législateur prévoit pour la première fois en droit positif
tunisien les conditions de validité de la marque de fabrique, de
commerce et de services.1 Ces conditions concernent la
validité de la marque quant au fond, elles tiennent essentiellement
à la détermination du signe pouvant constituer une marque au sens
de l'article 2, à la licéité de ce signe eu égard
aux dispositions de l'article 4 et enfin au caractère distinctif du
signe choisi comme marque au sens des articles 3 et 5 de la loi
n°36-2001.
La marque qui ne satisfait pas à toutes ces conditions
n'est en rien une marque, par conséquent, son titulaire ne pourra
prétendre aucun droit privatif sur elle.
Une fois qu'il répond aux conditions de validité
relatives au fond, le signe constitutif de la marque doit être
enregistré auprès de l'Institut National de la Normalisation et
de la Propriété Industrielle car « la
propriété de la marque s'acquiert par l'enregistrement
» selon la lettre de l'article 6. Ceci dit, nul ne peut revendiquer la
propriété d'une marque qui n'a pas été
enregistrée fût-elle valable au fond.
Ainsi, exception faite de la marque notoire au sens de
l'article 5 (a), la marque non- enregistrée ne peut
bénéficier de la protection accordée par la loi
n°36-2001, dès lors, son exploitation par un tiers ne peut tomber
sous le coup de la contrefaçon car elle ne fait pas l'objet d'un droit
privatif de propriété. Etant le seul mode d'acquisition
originaire des droits sur la marque, l'enregistrement reflète un
formalisme témoignant de la rigueur du droit des marques.
Ainsi, on s'aperçoit que la création d'une
marque de fabrique, de commerce ou de service est une opération
complexe. En effet, cette complexité se manifeste dans la loi du 17
avril 2001 à deux stades différents, le premier concerne
l'observation des conditions de validité du signe choisi comme marque
(paragraphe 1), quant au second, il se réfère
aux modalités de l'acquisition du droit de propriété sur
la marque (paragraphe 2).
1 Le décret du 3 juin 1889 applicable aux
marques de fabriques et de commerce ne prévoyait pas les conditions de
la validité de la marque, il se limitait à exiger dans son
article premier la condition de la distinctivité du signe choisi comme
marque et la subordination de l'appropriation exclusive de la marque à
son enregistrement dans son article 2.
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