TITRE PREMIER :
L'approche synthétique de l'acte de
contrefaçon : une atteinte au droit de
propriété
sur la marque
Alors qu'il était conçu d'une manière
purement analytique dans les articles 15, 16 et 17 du décret du 3 juin
1889, l'acte de contrefaçon de marque s'identifie aujourd'hui, au sens
de l'article 44 alinéa 1 de la loi n°36-2001, à
l'idée commune de « toute atteinte portée aux droits
du propriétaire de la marque».
L'unification du concept de l'acte de contrefaçon est
une nouveauté apportée par la loi n°36- 2001, en ce sens,
l'article 44 al. 1 de la dite loi se propose d'exposer en termes clairs
l'économie générale de l'identification de l'acte de
contrefaçon.
Partant de l'idée selon laquelle l'article 44 de la loi
n°36-2001 se présente comme la pierre angulaire de l'identification
de l'acte de contrefaçon, on se trouvera d'emblée amené
à penser l'acte de contrefaçon dans le paradigme de la
spécificité. Une spécificité qui découle
fondamentalement de la spécificité du droit auquel il porte
atteinte, en l'occurrence, le droit de propriété sur la marque.
C'est en effet, une atteinte spécifique à un droit
spécial.
L'apport théorique de l'approche synthétique du
concept de contrefaçon aura donc pour effet, a priori, de le distinguer
en fonction de ces spécificités telles qu'elles se
dégagent de l'article 44 al. 1 qui dispose que « Toute
atteinte portée aux droits du propriétaire de la marque constitue
une contrefaçon engageant la responsabilité civile et
pénale de son auteur ».
Sur la base de cet alinéa, l'acte de contrefaçon
ne peut intervenir sans la réunion de deux conditions cumulatives
intimement liées à savoir un droit exclusif sur la marque et une
atteinte qui lui est perpétrée. Ces deux conditions
résument pertinemment l'économie générale de l'acte
de contrefaçon et dévoilent sommairement ses
caractéristiques propres.
D'un point de vue chronologique, on ne peut envisager de
parler de la contrefaçon de marque sans l'existence préalable
d'une marque. La marque comme tout bien incorporel tire son existence de la loi
1 et par une décision de la loi. Elle consiste, au sens de
l'article 2 de la loi n°36-2001, en un signe visible servant à
distinguer, dans le commerce, les produits et services d'une personne physique
ou morale par rapport à leur semblable.
Etant un bien immatériel, la marque s'acquiert
exclusivement et initialement par un mode spécial qu'est
l'enregistrement. Ce dernier confère à son titulaire,
conformément à l'article 21 de la loi n°36-2001, un
véritable droit de propriété sur le signe qui la constitue
dans son application aux produits et services désignés dans
l'enregistrement.
1 CARBONNIER (J) : Droit civil, Les biens.
12ème éd, Thémis, PUF 1988. N°19 et 83. p.
87 et 373.
Ceci étant, l'efficacité du droit de
propriété sur la marque se trouve subordonnée à
l'observation de conditions légales strictes qui tiennent à sa
validité lors de sa création et à son opposabilité
lors de son exploitation.
En conséquence, une marque nulle ou dont les droits qui
s'y rattachent sont inopposables n'est en rien une marque, dès lors, son
propriétaire ne pourra plus bénéficier de la protection
spéciale que lui garantie la loi des marques. En effet, la loi
n°36-2001 ne protège la marque que si elle répond à
ses conditions rigoureuses relatives à la validité et
l'opposabilité du droit dont elle fait l'objet.
Il s'ensuit que si l'une de ces conditions fait défaut
dans une marque, tout l'édifice des dispositions
échafaudées sur la loi des marques cessera de lui être
applicable, ceci aura donc pour conséquence de déplacer le
débat en dehors de la loi n°36-200 1 et c'est ainsi qu'un
changement de paradigme s'opère.
En effet, étant une atteinte aux droits du
propriétaire de la marque, l'acte de contrefaçon est
érigé en délit pénal selon les articles 51 et 44
al. 2 de la loi n°36-2001. Ceci dit, on ne peut qualifier une atteinte,
aux droits sur la marque, de contrefaçon qu'en application de la loi
n°36- 2001, or si le droit sur la marque n'est pas valablement
constitué ou utilement opposable, la loi des marques ne lui sera plus
applicable, dès lors et par ricochet, il n'y aura plus lieu d'identifier
une quelconque atteinte comme constitutive d'acte de contrefaçon.
Ainsi, se dévoile la première
spécificité de l'atteinte constitutive de l'acte de
contrefaçon. Une spécificité directement rattachée
aux caractéristiques propres de son objet, en l'occurrence, le droit de
propriété sur la marque. ( Chapitre 1 )
A l'image de toute propriété incorporelle, la
marque évoque le droit de propriété par son
opposabilité quasiment absolue du moment qu `elle peut être
défendue contre quiconque y porte atteinte. Par ailleurs, le droit de
propriété s'analyse comme un rapport de droit entre son titulaire
et la chose ou le bien objet du droit, ce rapport implique par sa nature
certaines prérogatives dont le bénéfice revient
exclusivement au propriétaire.
En raison de sa nature exclusive, le droit de
propriété sur la marque se trouve naturellement assorti, à
l'égard des tiers, d'une interdiction formelle de porter atteinte aux
droits privatifs accordés au propriétaire. C'est
précisément de la violation de ces droits que découle
l'atteinte constitutive de l'acte de contrefaçon au sens de l'article 44
al. 1 de la loi n°36-2001.
Toutefois, si l'acte de contrefaçon résulte
d'une atteinte aux droits du propriétaire de la marque, il convient de
préciser qu'il est des cas où la qualification d'atteinte ne
pourra être retenue soit parce que le propriétaire autorise un
tiers à exercer un quelconque droit sur la marque soit parce que la loi
greffe le droit de propriété sur la marque de servitudes
légales comparables à celles supportées par le
propriétaire d'un bien immeuble conformément à l'article
165 C.D.R.
Pour qu'il y ait donc atteinte constitutive de
contrefaçon, il faut que l'acte reproché au tiers soit intervenu
en dehors d'une quelconque autorisation de nature à le rendre
fondé en droit.
Dans cette optique, l'acte de contrefaçon se
présente comme l'atteinte qui contredit, en dehors de toute
autorisation, les droits du titulaire de la marque dans leur acception
privative ou exclusive.
Par ailleurs, pour qu'il y ait atteinte à la
propriété sur la marque, il faut que cette atteinte soit
située dans les limites objectives des droits conférés par
l'enregistrement. Ceci nous amènera nécessairement à
délimiter le champ dans lequel les droits sur la marque s'exercent et se
localisent.
En effet, la portée du droit de propriété
sur la marque se trouve triplement délimitée. En premier lieu, la
protection de ce droit est fonction de son objet spécifique et qui se
limite en substance aux produits et services pour lesquels la marque a
été enregistrée conformément à l'article 21
de la loi n°36-2001, c'est ce que la doctrine et la jurisprudence ont
convenu à appeler le principe de la spécialité de la
marque.
En deuxième lieu, à l'image de tout droit
subjectif, le droit de propriété sur la marque n'a d'existence
que dans les limites géographiques de l'ordre juridique au sein duquel
il est crée et reconnu, il s'ensuit que l'acte de contrefaçon
doit nécessairement se localiser dans cette aire géographique
d'efficacité du droit sur la marque, c'est ce qu'on entend par le
principe de la territorialité du droit des marques et plus
généralement de l'ensemble des droits de propriété
intellectuelle.1
En dernier lieu, compte tenu du caractère temporaire
2 des droits sur la marque et qui se limite à dix ans
à compter de la date du dépôt, la conséquence en est
que les droits sur la marque ne sont opposables aux tiers que de durant cette
limite temporelle. Il s'ensuit que l'atteinte constitutive de
contrefaçon ne peut exister et n'aura de sens que si elle intervient
dans cette durée de protection légale.
C'est seulement dans sa localisation tridimensionnelle,
entendue dans le sens de la spécialité, la territorialité
et la temporalité des droits sur la marque, que l'acte de
contrefaçon revêt un sens et une spécificité par
rapport à n'importe quelle atteinte 3 perpétrée
à la marque.
Ainsi, se dégage le deuxième volet de
l'identification de l'acte de contrefaçon dans sa double
spécificité qui tient à la violation de
l'exclusivité des droits sur la marque d'une part et à sa
localisation tridimensionnelle d'autre part. (Chapitre 2)
1 Voir en ce sens, BOUCHE (N) : « Le principe de
territorialité de la propriété intellectuelle ».
Collection Logiques Juridiques 2002.
2 La temporalité étant le principe, ceci
n'empêche pas le propriétaire désireux de conserver ses
droits sur la marque de renouveler indéfiniment son dépôt
à l'expiration de la période de protection de base fixée
à dix ans selon l'article 6 de la loi n°36-2001 du 17 avril
2001..
3 En dehors de la spécialité et des limites
spatio-temporelles des droits sur la marque, la protection de la marque ne peut
être obtenue que dans les conditions du droit commun de la
responsabilité civile que ce soit sur le terrain de la concurrence
déloyale au sens de l'article 92 C.O.C ou sur celui de la
responsabilité civile pour faute au sens des articles 82 et 83 C.O.C.
Toutefois, la localisation de l'acte de contrefaçon au
sens de la trilogie citée plus haut n'est jamais aussi facile ou
aisée à opérer pour deux raisons. En premier lieu, on note
que la frontière est parfois mince entre une atteinte constitutive de
contrefaçon et atteinte constitutive d'un acte de concurrence
déloyale. Cette subtilité s'explique par le caractère
dichotomique de l'atteinte portée à la marque et qui peut
représenter à la fois une atteinte aux droits privatifs sur la
marque et une atteinte à la règle de loyauté de la
concurrence dans le domaine économique. Sur la distinction entre
contrefaçon et concurrence déloyale, voir : PASSA (J) : «
Contrefaçon et concurrence déloyale » LITEC, 1997.
En deuxième lieu, l'acte de contrefaçon est
naturellement une question de fait dont l'appréciation relève
souverainement du pouvoir discrétionnaire des juges de fond, or nul
besoin de rappeler que la conviction du juge là dessus est largement
teintée par une subjectivité inhérente à toute
appréciation. C'est ce qui fait de l'identification de l'acte de
contrefaçon une entreprise d'une exceptionnelle complexité et
d'une évidente incertitude.
Chapitre 1 : Le droit sur la marque :
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