Introduction
De tout temps, l'atteinte à la propriété
soit plus généralement l'usurpation du bien d'autrui faisait
l'objet d'interdits sociaux, quel que soit l'ordre normatif dans lequel la
prohibition puise son discours fondateur. Appliquée aux droits du
propriétaire d'une marque de fabrique, de commerce ou de services,
l'atteinte ou l'usurpation se désigne par un terme spécifique
dénommé l'acte de contrefaçon de marque.
Une fois saisie par le droit, en l'occurrence la
législation des marques, une telle atteinte devient sujette à
identification et à une qualification afin de lui appliquer le
régime juridique qui lui est propre. Dans ce contexte s'insère la
présente étude ayant pour finalité l'identification d'un
fait juridique particulier : l'acte de contrefaçon de marque.
Elevé au rang des droits faisant l'objet de garanties
constitutionnelles,1 le droit de propriété est
défini par l'article 17 du code des droits réels 2
comme étant celui qui « confère à son
titulaire le droit exclusif d'user de sa chose, d'en jouir et d'en
disposer. »
Etant le plus complet des droits réels,3 le
droit de propriété visait originairement et depuis la nuit des
temps les biens 4 corporels qui se divisent, au sens de l'article 2
du CDR, en biens meubles et immeubles.5
Compte tenu de sa définition rigide, le bien immeuble
constitue une catégorie close fermement cloisonnée par la loi.
Les biens meubles sont par contre une catégorie ouverte susceptible
d'englober toute chose qui ne rentre pas dans la stricte définition de
l'immeuble.6
« Chaque catégorie de biens comporte une
forme d'appropriation à elle particulière (...)
Il n'y a pas une propriété ; il y a des propriétés,
parce que l'intérêt de la société est que
l'appropriation des biens comporte des statuts en harmonie avec les buts
poursuivis, lesquels varient beaucoup ; le droit de propriété est
un des plus souples et des plus nuancés qui figurent dans les
différentes catégories juridiques ; sa plasticité est
infinie. »7
La plasticité dont parlait Josserand a permis
d'étendre le droit de propriété à des biens
incorporels ou sans réalité physique. Ces biens n'existent que
dans la mesure où la loi a disposé ainsi, leur existence vient de
la loi et par une décision de celle-ci.
1 Le droit de propriété est un droit
fondamental garanti par l'article 14 de la constitution tunisienne du
1er juin 1959 en ces termes : « Le droit de
propriété est garanti. Il est exercé dans les limites
prévues par la loi. » ; Sur le statut constitutionnel du droit de
propriété, voir Fadhel Moussa (M-L) : « La constitution et
le droit de propriété en Tunisie » RTD 1986. p. 371.
2 Le Code des Droits Réels a été
promulgué par la loi n°5-65 du 12 février 1965.
3 Selon le doyen CARBONNIER, le droit réel
s'entend d'un « pouvoir juridique qu'a une personne de retirer directement
tout ou partie des utilités économiques d'une chose [...] La
chose est comme assujettie à la personne, obligée de lui
obéir ; et c'est en quoi on peut parler d'un droit sur la chose »
J. Carbonnier, Droit civil, T. 3, Les biens, 12ème éd.
Thémis, PUF 1988, n°12. p. 62.
4 Au sens de l'article 1 CDR, « Les biens sont
toutes choses qui ne sont pas hors du commerce par leur nature ou par
disposition de la loi et qui peuvent faire l'objet d'un droit ayant une valeur
pécuniaire. »
5 Selon l'article 3 du CDR, « est immeuble toute
chose fixe qu'on ne peut déplacer sans dommages. »
6 Voir en ce sens, CHARFI (M) & MEZGHANI (A):
« Les droits subjectifs » Sud Editions 1995. (en arabe), p. 47.
7 JOSSERAND (L) : « Cours
élémentaires de droit civil », 1929, T. 1, n°1517. p.
839.
Etant donné qu'ils ne peuvent être
qualifiés d'immeubles, les biens incorporels sont naturellement
rangés parmi les biens mobiliers non pas naturels mais ceux qui, au sens
de l'article 13 du CDR, le sont « par détermination de
la loi. »
Objets d'appropriation, les biens incorporels peuvent
être le siège d'un droit de propriété que la
doctrine tend à désigner sous le vocable de
propriété incorporelle comme pour rendre compte du
caractère soit immatériel soit intellectuel de cette
propriété.
C'est précisément à la catégorie
des propriétés incorporelles que participe l'ensemble des droits
portant sur des choses intellectuelles et que l'on désigne par
la dénomination générique : Droits de
Propriété Intellectuelle lesquels faisant l'objet d'une
discipline juridique à part entière et qui comprend «
toutes les règles tendant à la protection des droits de
propriété industrielle, des droits d'auteur et du
savoir-faire. »1
Bien que leur objet soit purement intellectuel, ces droits
évoquent le droit de propriété 2 par leur
opposabilité à l'égard des tiers, une opposabilité
qui permet au titulaire de ces droits de les défendre contre quiconque y
porte atteinte, la propriété est aussi étendue à
ces droits afin de mettre l'accent sur le droit exclusif d'user et de disposer
de ces biens intellectuels.
Au-delà de son unité terminologique et de son
objet foncièrement immatériel, la notion de
propriété intellectuelle abrite des catégories de biens
hétérogènes, elle se divise classiquement en
Propriété littéraire et artistique d'une part, et en
Propriété industrielle d'autre part.
Selon Carbonnier, la Propriété littéraire
et artistique, ou encore le droit d'auteur, est « l'ensemble des
prérogatives qui appartiennent à l'écrivain ou à
l'artiste (peintre, sculpteur, musicien, etc.), sur son oeuvre
».3
1 CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : Droit de la
propriété industrielle. 5ème éd, Dalloz
Delta 1998.. p. 1.
2 Il est à noter que du point de vue de la
qualification et la terminologie, l'appellation « droits de
propriété intellectuelle » n'a cessé d'alimenter un
épineux débat doctrinal, le problème s'est posé
à la fois à propos de l'adjectif « intellectuel »
qualifiant l'objet de ces droits et concernant le substantif «
propriété » indiquant la nature de ce genre de droits. Bien
entendu, eu égard à leur objet immatériel, on ne peut
appliquer à ces droits mobiliers les règles du droit des biens
régissant les meubles, ainsi, ils ne sont pas susceptibles de
possession. Ces droits sont par ailleurs des droits temporaires alors que le
droit de propriété se caractérise par sa
perpétuité. On peut aussi reprocher à ces droits
intellectuels de ne pas être purement intellectuels à
tous les coups car il est des droits qui portent sur des objets qui
n'impliquent généralement, en substance, aucune activité
créative ou innovatrice tel que l'adoption d'une marque qui reprend un
nom patronymique ou l'usage d'une appellation d'origine protégée.
Sur l'ensemble de la question et les théories avancées en ce
sens, voir POLLAUD-DULIAN (F) : Droit de la propriété
industrielle. Montchrestien. E.J.A, Paris, 1999. n°8 à n°38.
p. 3 et s.
3 Carbonnier (J) : op. cit. p. 377. La
propriété littéraire et artistique est régie en
droit tunisien par la loi n°94-36 du 24 février 1994 relative
à la propriété littéraire et artistique. JORT
n°17 du 1er mars 1994, p. 361.
Le droit d'auteur comporte deux composantes, l'une
patrimoniale, l'autre morale, il reconnaît au créateur d'une
oeuvre littéraire ou artistique un droit de paternité sur son
oeuvre qui lui permet de s'opposer à la modification ou à
l'altération de celle-ci sans qu'il n'y consente. Quant à
l'attribut patrimonial du droit d'auteur, il permet à son titulaire de
bénéficier d'un monopole d'exploitation sur son oeuvre, il est
ainsi seul à en tirer les profits et il lui revient exclusivement
d'ordonner sa publication et d'autoriser son exploitation selon les modes qu'il
juge convenables.
Sur l'ensemble de la question, voir en ce qui concerne le
droit tunisien : Ben Jemia (M) : « Cours de propriété
intellectuelle » , 3ème année de la
maîtrise en sciences juridiques, FSJPS, année universitaire
2002/2003. (non publié) ; Voir notamment concernant le droit
français et international de la propriété
littéraire et artistique, COLOMBET (C) : Propriété
littéraire et artistique et droits voisins. 9ème
éd, Dalloz Delta 1999 ; Voir aussi, Piotraut (J-L) : Droit de la
propriété intellectuelle, Collection Référence
Droit, Ellipses 2004. p. 27 et s.
Quant à la propriété industrielle, on
regroupe sous ce vocable générique deux grandes catégories
de droits incorporels à savoir le droit des créations
industrielles et le droit des signes distinctifs.
Concernant le droit des créations industrielles, il
couvre des objets et des techniques d'une originalité et d'une
nouveauté absolue, on compte parmi ces droits le brevet
d'invention,1 les dessins et modèles industriels,2
les obtentions végétales 3 ainsi que les
schémas de configuration des circuits
intégrés.4
Pour ce qui est du droit des signes distinctifs, il comporte
essentiellement les marques de fabriques, de commerce et de services, les
appellations d'origines contrôlées,5 le nom
commercial,6 l'enseigne,7 la dénomination
8 et la raison9 sociale.
Bien que l'on soit tenté d'observer une certaine
hiérarchie concernant la classification des droits portant sur les biens
incorporels que constituent les signes distinctifs, on note néanmoins
qu'ils ont pour trait commun de jouer « un rôle essentiel
dans la concurrence : ils servent à distinguer les compétiteurs
et leurs produits ou prestations les unes aux autres, aux yeux de la
clientèle. La clientèle peut rattacher les produits ou services
à l'entreprise qui en est responsable, choisir ses partenaires
commerciaux en connaissance de cause. Le titulaire du signe y trouve un moyen
de conquête et d'attachement de la clientèle, qui donne de la
valeur à son fonds et lui permet d'empêcher toute confusion avec
ses concurrents. »10
1 Les brevets d'invention étaient
régis en droit tunisien depuis 1888 par le décret du 22
décembre 1888 portant loi sur les brevets d'invention. La nouvelle
législation en la matière a vu le jour avec la promulgation de la
loi n°84 2000 du24 août 2000, relative aux brevets d'invention. JORT
n°68 du 25 août 2000. Selon l'article premier de cette loi, «
toute invention d'un produit ou d'un procédé de fabrication peut
être protégée par un titre, dénommé brevet
d'invention qui est délivré par l'organisme chargé de la
propriété industrielle et ce, dans les conditions
déterminées par la présente loi. » Ce titre est
délivré au sens de l'article 2 de la même loi « pour
les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et
susceptibles d'application industrielle ». Voir concernant le nouveau
cadre juridique des brevets d'inventions en Tunisie, « Brevets d'invention
» in Le Manuel Permanent du Droit des Affaires Tunisien, Cabinet Salah
Ammamou. Mise à jour septembre 2000. p. 1 et s.
2 Le droit tunisien des dessins et modèles
industriels était réglementé par le décret du 25
février 1911, ce décret a été abrogé par la
loi n° n°2001-21 du 6 février 2001, relative à la
protection des dessins et modèles industriels.
3 Le droit sur les obtentions végétales
est régi par la loi n°99-42 du 10 mai 1999, relative aux semences,
plants et aux obtentions végétales telle que modifiée par
la loi n°2000-66 du 3 mars 2000.
4 Voir en ce sens la Loi n°2001-20 du 6
février 2001, relative à la protection des schémas de
configuration des circuits intégrés. Sur la question, voir
notamment : CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : op. cit. p. 394 et s.
5 L'appellation d'origine protégée
est un signe distinctif indiquant l'origine géographique et certifiant
la production et la qualité d'un produit donné selon des
méthodes originales d'une localité ou d'une région
déterminée et réputée dans la fabrication ou la
production d'un tel produit. L'usage de ce signe fortement distinctif et
attractif est soumis à des conditions légales et
réglementaires très strictes et à un contrôle
permanent de qualité et de conformité aux usages et normes de
production. Voir en ce sens, sur la réglementation stricte des
appellations d'origine contrôlée des produits
agricoles, la loi n°99-57 du 28 juin 1999. J.O.R.T 1999, n°2. p.
1088.
6 Le nom commercial est le nom sous lequel une
personne exerce l'exploitation effective d'un fonds de commerce afin de le
distinguer des autres fonds de commerce similaires. Voir en ce sens, « Nom
commercial » in Le Manuel Permanent du Droit des Affaires Tunisien,
Cabinet Salah Ammamou. Mise à jour juillet 1994. p. 1 et s.
7 Selon Chavanne et Burst, « l'enseigne est un
signe visible qui sert à distinguer un établissement commercial
et à permettre au public de ne pas le confondre avec un autre »,
op. cit, N°1382. p. 841.
8 La dénomination sociale se définie
comme le nom adopté par une société de capitaux.
9 La raison sociale est la désignation,
incluant le nom patronymique d'au moins un associé, de
l'éventuelle société de personnes qui exploite un fonds de
commerce.
10 POLLAUD-DULIAN (F) : Droit de la
propriété industrielle. Montchrestien. E.J.A, Paris, 1999.
n°1033. p. 461.
Le fait de porter sur des choses incorporelles et
intellectuelles ne suppose aucunement que l'usage ou l'adoption d'un signe
distinctif implique une quelconque activité inventive témoignant
d'une originalité particulière.1
Ainsi, on peut estimer que les signes distinctifs ne sont
rangés parmi les droits de propriété intellectuelle et
plus précisément la propriété industrielle qu'en
fonction de leurs objets incorporels, leur originalité ou
nouveauté est largement relative car ils n'ont pour fonction que
d'accompagner ou garantir l'origine d'un produit ou d'un service rendu par un
opérateur économique. Ils permettent en outre de distinguer le
commerce et l'établissement d'un commerçant par rapport à
ceux détenus par des concurrents.
Ce sont donc des signes visibles qui servent au ralliement de
la clientèle autour d'une entreprise ou d'un fonds de commerce auquel
les signes distinctifs participent en tant qu'éléments
incorporels.2
Au sommet de la pyramide des signes distinctifs, la marque
occupe à plusieurs titres, à coté de l'appellation
d'origine contrôlée, une place de choix. Etant une création
ingénieuse du droit des marques, la marque se présente comme un
sceau, une empreinte ou un signe visible et distinctif qui sert à
distinguer, dans le commerce, les produits ou les services d'une personne
physique ou morale.
La marque n'a pour fonction légale que de rattacher
d'une manière certaine un produit ou un service à la personne ou
à l'entreprise qui l'a produit ou offert sur le marché et qui en
assume, en conséquence, la responsabilité à l'égard
des tiers. La marque n'est jamais, en principe, une garantie de la
qualité ou des propriétés du produit ou service qu'elle
désigne. La garantie de la qualité est par ailleurs régie
par la loi sur la protection du consommateur et la législation sur les
fraudes.
La reconnaissance de la marque et du droit de
propriété dont elle fait l'objet est relativement récente
en droit tunisien comme en droit comparé.3
En droit tunisien, il semble que la production
législative relative à la propriété industrielle et
plus précisément celle des marques n'a fait que répondre
aux engagements internationaux de la Tunisie résultant des conventions
auxquelles elle a adhéré. Tout s'est passé comme si le
législateur tunisien entendait honorer ses engagements conventionnels
parallèlement à la signature d'une convention qui traite de la
protection des droits sur la marque.
1 Les signes distinctifs tel que la marque ne
servent qu'à rallier, fidéliser et informer la clientèle
à propos de l'origine d'un produit ou d'un service offert dans le
commerce. Pour arriver à se distinguer eux et leurs produits, les
commerçants font appel à des signes plus ou moins originaux et
suffisamment distinctifs par rapport à ceux employés par des
établissements similaires et concurrents. La créativité
n'est donc pas de mise.
2 En tant que bien unitaire, meuble et incorporel,
le fonds de commerce est constitué de biens mobiliers affectés
à l'exercice d'une activité commerciale à savoir la
clientèle et l'achalandage. Il comprend aussi, au titre de l'article 189
alinéa 3 du code du commerce tunisien, « sauf dispositions
contraires, tous autres biens nécessaires à l'exploitation du
fonds, tel que l'enseigne, le nom commercial, le droit au bail, le
matériel, les marchandises, les brevets, marques de fabrique,
dessins et modèles, droits de propriété littéraire
et artistique. » Concernant les éléments non obligatoires du
fonds de commerce, voir : Christine Labastie DAHDOUH & Habib DAHDOUH :
Droit commercial, 1ère éd, I.O.R.T 2002. volume I. p.
325 et sui.
3 Concernant l'historique de la reconnaissance du
droit sur la marque ainsi que sa protection en droit français, voir
notamment, POLLAUD-DULIAN (F) : op. Cit. P. 2 et sui ; Piotraut (J-L) : Droit
de la propriété intellectuelle, Collection
Référence Droit, Ellipses 2004. p. 11 et sui ; CHAVANNE (A) &
BURST (J-J) : op. cit. p. 484 et sui.
En effet, après avoir adhéré, en date du
7 juillet 1884,1 à la Convention de Paris pour la protection
de la propriété industrielle - dite aussi Convention d'Union de
Paris - signée le 20 mars 1883, la première législation
tunisienne relative aux marques a vu le jour en vertu du décret beylical
du 3 juin 1889 portant loi sur les marques de fabriques et de
commerce.2
Ne dépassant pas les 29 articles, ce décret
avait pour handicap d'être trop économe pour gérer une
matière aussi complexe que le droit des marques. Bien qu'il ait repris
quelques règles matérielles énoncées dans la
Convention de Paris, le décret du 3 juin 1889 est, à mains
égards, le produit d'une réception juridique dans la mesure
où il témoigne d'un emprunt 3 pur et simple de la loi
française sur les marques datant du 23 juin 1857.
Le-dit décret prévoyait une protection
relativement satisfaisante du droit sur la marque face à la
contrefaçon qu'il ne défini pas d'ailleurs, il subordonne en
outre l'accès à la protection pénale du droit à la
marque à l'accomplissement d'un acte spécifique, en l'occurrence
le dépôt. En déposant une marque auprès de
l'autorité compétente à cet effet, un commerçant
pourra se réserver le droit exclusif d'user et d'exploiter cette marque
afin de désigner ses produits ou son commerce.
A une époque où le secteur des services n'a pas
encore dominé l'économie, le décret du 3 juin 1889 ne
reconnaissait bien évidemment que les marques de fabriques et de
commerce. La marque de fabrique est celle qui « appartient
à l'industriel qui fabrique un produit et l'appose sur ses propres
produits ».4 Quant à la marque de commerce,
elle consiste en la marque qu'un commerçant appose pour désigner
des produits qu'il n'a pas fabriqués, « elle est le signe
du soin qu'il met à sélectionner les produits qu'il vend et
à choisir entre les divers fabricants. » 5
Le décret du 3 juin 1889 avait régi la marque en
Tunisie pendant près de 112 années sans qu'il soit notablement
modifié afin de l'adapter au contexte évolutif de la vie
économique.
L'anachronisme du décret de 1889 témoigne sans
doute du fait que la législation des marques et par delà leur
protection n'a jamais été un besoin pressant se fondant sur une
rationalité 6 propre au système juridique tunisien ou
répondant aux aspirations ou à la pression des opérateurs
économiques tunisiens.
Le décret fût abrogé suite à
l'avènement de la nouvelle législation tunisienne des marques,
c'est-à-dire la loi n°36-2001 du 17 avril 2001.
1 Information fournie par l'I.NNORPI. La Convention de
Paris n'a été rendue applicable en Tunisie que cinquante ans plus
tard en vertu du décret beylical du 2 janvier 1940 publié au
Journal Officiel Tunisien (JOT) du 14 mars 1940.
2 Publié au Journal Officiel Tunisien du 6 juin
1889, p. 167.
3 Dans une large mesure, la protection des marques
par le décret du 3 juin 1889 décret s'analyse comme la mise en
forme juridique de la domination politique française exercée sur
le territoire tunisien. Les marques, à l'époque, revenaient dans
leur quasi-totalité aux entreprises et aux colonisateurs
français, la protection de la marque alors ne pouvait que soutenir et
garantir leurs intérêts et investissements.
4 CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : op. cit.
n°865. p. 481.
5 Ibid. P. 482.
6 Appliquée aux règles juridiques
elles-mêmes, la rationalité se présente comme un «
ordre structuré dont les éléments ne sont pas liés
au hasard ou arbitrairement qui de plus est toujours censé incarner de
façon intrinsèque ou du moins pouvoir véhiculer des
valeurs positives et qui est considéré comme propre à (ou
prôné comme souhaitable pour) la conduite des hommes à
certains égards, ou qui, à tout le moins, relève de
données objectives déterminantes pour rendre possible une telle
conduite ». Dictionnaire encyclopédique de théorie et de
sociologie du droit, 2ème édition, L.G.D.J 1993. p.
504.
Comme son objet l'indique, la loi n°36-20011
est « relative à la protection des marques de fabrique, de
commerce et de services », la protection de la marque semble donc
a priori occuper une place de choix au sein de cette loi.
La loi n°36-2001 a, dans une large mesure,2 vu
le jour dans le dessin d'harmoniser le droit tunisien des marques avec les
engagements internationaux de la Tunisie en la matière.
Ayant adhéré à la convention du 15 avril
1994 portant création de l'Organisation Mondiale du Commerce, la Tunisie
s'est engagée 3 à se doter d'une législation
relative aux marques en harmonie avec le standard international conçu
par une annexe de cette convention et dénommée « Accord sur
les « Aspects des Droits de Propriété
Intellectuelle qui touchent au Commerce » »4
désigné aussi par l'abréviation : Accord sur les ADPIC.
Cet accord prévoyait une protection minimale
à respecter par les Etats signataires concernant les droits de
propriété intellectuelle, il s'est inscrit, en outre, dans la
continuité de la Convention d'Union de Paris tout en innovant sur
certains sujets.
A son tour, la loi n°36-2001 s'est conformée aux
standards internationaux en la matière tout en assurant,
théoriquement, une protection relativement satisfaisante des droits du
propriétaire de la marque. A ce stade, l'efficacité 5
de cette loi ne peut être appréciée que d'un point de vue
statique ou textuel, le court laps de temps séparant cette étude
de sa mise en oeuvre ne permet certainement pas d'apprécier, à sa
juste valeur, son effectivité 6 et son adéquation aux
fins de protection de la marque qu'elle poursuit.
D'après l'intitulé même de la loi
n°36-2001, le législateur tunisien admet trois sortes de marques
à savoir la marque de fabrique, de commerce et de
services.7
1 Publiée au JORT n°31 du 17 avril 2001.
p. 834.
2 Cette loi tend indirectement à encourager
l'investissement étranger, la protection des droits des investisseurs
sur leurs droits de propriété intellectuelle, et notamment les
droits sur la marque, les incite, ne serait-ce que théoriquement,
à s'implanter en Tunisie. Voir en ce sens, les travaux
préparatoires relatifs à cette loi, discussions parlementaires du
19 mars 2001, n°29. p. 1881.
3 La ratification par la Tunisie des accords de
l'Uruguay Round est intervenue par le biais de la loi n°95-6 du 23 janvier
1995. JORT n°9 du 31 janvier 1995.
4 Une prise de conscience relative à la
protection du commerce international légitime face à la nouvelle
réalité de la contrefaçon dans le monde s'est
manifestée après les négociations entamées durant
le TOKYO ROUND sous l'égide de l'accord du GATT, ce regain
d'intérêt pour les droits de propriété
intellectuelle a fini par les mettre à l'ordre du jour des
négociations de l'URUGUAY ROUND depuis 1986.
Suite à la fermeté de la position des pays
industrialisés et singulièrement les Etats Unis
d'Amérique, l'accord sur les ADPIC a vu le jour dans le contexte de la
création de l'Organisation Mondiale du Commerce à Marrakech en
1994. L'ADPIC a vu le jour en droit comparé et en droit international
des marques afin de contrecarrer la prospérité
considérable qu'à connu le commerce de contrefaçon depuis
les années 1980. il a pour finalité de créer une sorte de
standard international en matière de protection des droits de
propriété intellectuelle et notamment le droit sur la marque.
L'accord ADPIC contribuait, en outre, à l'élimination les
barrières non tarifaires qui entravent le développement du
commerce international légitime.
La rationalité derrière l'accord ADPIC
dépasse le cadre strict de la protection du droit sur la marque, c'est
en effet une mesure qui se propose indiscutablement d'assainir le commerce
international légitime entravé depuis les années 1980 par
la montée incessante du commerce de contrefaçon. Concernant
l'accord ADPIC, voir la thèse de M. ZHANG (SH) : « De l'OMPI au
GATT » LITEC 1994.
5 L'efficacité s'entend du « mode
d'appréciation des conséquences des normes juridiques et de leur
adéquation aux fins qu'elles visent » Dictionnaire
encyclopédique de théorie et de sociologie du droit,
2ème édition L.G.D.J, 1993, p. 219.
6 On entend par effectivité, le «
degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des
règles énoncées par le droit » Ibid. p 217.
7 La marque de services est celle qui accompagne
matériellement un service rendu par un commerçant.
Bien entendu, ces marques sont soumises à un
régime juridique unitaire tant sur le plan de leur création que
sur celui de leur protection. Quelle que soit sa dénomination, la marque
est, au titre de l'article 2 de la loi n°36-2001, « un signe
visible permettant de distinguer les produits offerts à la vente ou les
services rendus par une personne physique ou morale. »
A la marque individuelle s'ajoute la marque collective. Au
sens de l'article 66 de la loi n°36- 2001, une marque est dite collective
« lorsqu'elle peut être exploitée par toute personne
respectant un règlement d'usage établi par le titulaire de
l'enregistrement ». Elle ne se distingue, par ailleurs, en rien
des autres marques dans la mesure où l'article 67 la soumet au
régime général de la marque au sens de la loi
n°36-2001.
La loi n°36-2001 du 17 avril 2001 n'a pas
révolutionné 1 catégoriquement le droit
tunisien des marques, la jurisprudence a, relativement, su combler l'avarice du
décret du 3 juin 1889 sur certaines questions tel que les conditions de
validité de la marque.
Dès sa première consécration en droit
positif tunisien par le biais de l'article 2 du décret du 3 juin 1889,
le droit d'user, d'en jouir et d'en disposer d'une marque était
clairement reconnu comme un droit de propriété sur le signe
constitutif de la marque.
Cette conception du droit sur la marque n'a pas changé
dans la loi n°36-200 1 qui dispose dans son article 21 que «
l'enregistrement de la marque confère à son titulaire un
droit de propriété sur cette marque pour les produits qu'il a
désignés lors du dépôt ».
Le législateur tunisien est clair en ce sens, il consacre
la notion de propriété et non pas celle d'un droit exclusif ou
privatif dans l'absolu.
Comparée au décret de 1889, la loi du 17 avril
2001 a largement renforcé la protection des droits du
propriétaire de la marque, l'illustration en est l'aggravation longtemps
attendue des sanctions des atteintes aux droits sur la marque, la conversion
des droits exclusifs du propriétaire de la marque en interdictions
à l'égard des tiers, la mise en place à coté de la
saisie-contrefaçon d'une procédure de saisie en douane de
marchandises soupçonnées de porter une marque contrefaite.
A ce stade, une question se pose concernant les raisons de la
protection de la marque comme en témoigne l'objet de la loi
n°36-2001.
Le producteur fabrique un produit, le consommateur
achète une marque. La marque devient de plus en plus un contrat de
confiance, un raccourci entre le commerçant et le consommateur, c'est un
véritable avantage concurrentiel.
1 Cela dit, sans bouleverser la jurisprudence qui
lui est antérieure, la loi n°36-2001 a innové à
plusieurs titres, on peut souligner en ce sens la reconnaissance des marques
sonores ainsi que de la marque de services, la détermination des
conditions de validité de la marque, la consécration de
l'enregistrement comme seul et unique mode initial d'acquisition de la
propriété sur la marque, l'aménagement d'une
procédure d'opposition à l'encontre d'un dépôt de
marque portant atteinte à des droits antérieurs, la
possibilité de se pourvoir devant le juge contre les décisions du
directeur de l'organisme chargé de l'enregistrement des marques,
l'énumération des actes que le propriétaire est en mesure
d'interdire aux tiers, l'obligation mise à la charge du
propriétaire, sous peine de déchéance, d'exploiter
sérieusement la marque et de veiller à ce qu'elle ne devienne pas
trompeuse ou usuelle.
Par effet d'osmose, la marque exerce sur le consommateur un
pouvoir considérable créateur d'une accoutumance
stupéfiante qui est allée parfois jusqu'à pousser les
commerçants et les hypermarchés à refouler la puissante
image de marque de certaines marques en lançant des «
produits libres »1 qui libèrent le
produit de la marque du fabricant pour ne laisser dans l'esprit du consommateur
que le souvenir de la marque de commerce du distributeur.
C'est le nom accolé sur le produit qui est
créateur de plus-value et non pas le produit en lui- même. Le
produit est muet, la marque lui donne un sens. Certains ont même
estimé qu'« à défaut d'âme, les objets
ont des marques. »2
La marque « est un potentiel de ventes futures
déposé dans le subconscient de milliers d'individus
»,3 elle capitalise en elle toute l'image de l'entreprise, elle
peut aller jusqu'à devenir son bien le plus valeureux.
La familiarité rassurante de la marque repousse
l'anxiété et l'indécision du consommateur lors de l'achat
du produit. L'utilisation d'une marque peut aller jusqu'à marquer
l'appartenance de celui qui l'emploi à une classe sociale bien
déterminée, il arrive même que le consommateur soit
hanté par le désir d'acquérir un produit seulement en
raison de la marque qu'il porte et sans qu'il ne lui soit nécessaire de
se procurer ce produit marqué.
Dans les économies modernes, la marque est
perçue comme l'une des plus valeureuses composantes du patrimoine
intellectuel de l'entreprise, car il lui revient dans une large mesure de
rallier la clientèle autour de l'entreprise qui l'emploi.
Ainsi, l'usurpation des droits sur la marque semble être
l'une des plus dangereuses atteintes qui peuvent être occasionnées
à une entreprise, son accaparement par un concurrent fausse la
loyauté de la concurrence et déjoue par la même la
confiance présumée dans la poursuite des transactions
commerciales.
Par ailleurs, le droit sur la marque s'analyse comme un droit
de propriété caractérisé par sa nature exclusive
impliquant une domination sur la chose objet du droit, en l'occurrence le signe
constitutif de la marque. Le non respect des droits qu'à une personne
physique ou morale sur sa marque est érigée classiquement en une
atteinte constitutive d'un acte de contrefaçon de marque qui, selon
l'article 44 de la loi n°36-2001, « engage la
responsabilité civile et pénale de son auteur ».
Le même article considère que «
toute atteinte aux droits du propriétaire de la marque constitue
une contrefaçon ». Le droit privatif sur la marque suppose
l'interdiction de l'usage dans le commerce du signe constitutif de la marque
dans un même secteur d'activité, ainsi, la concurrence sera
légalement prohibée chaque fois qu'un concurrent tente de
reprendre le signe appartenant à autrui et servant pour le ralliement de
la clientèle. La contrefaçon naît du chef même de la
violation de cette interdiction.
1 Carrefour France a fait recours à
cette pratique depuis 1976, il a été suivi par Euromarché
qui commercialisait des « produits orange » pour lesquels tout lien
direct entre le producteur et le consommateur est rompu.
2 De l'Écotais (Y) : « La Seccotine est
irremplaçable » Editions Plon 1998. Cité par POLLAUD-DULIAN
(F) : op. Cit. P. 513.
3 Pierre Herbin, Vendre, avril 1961. cité par
LELOUP (J-M) : « La franchise, droit et pratique »
3ème édition. Editions Delmas 2000. N°326, p.
46.
Etant un délit spécifique qui a pour objet les
droits sur la marque, la contrefaçon de marque se présente comme
une atteinte singulière qui se distingue de n'importe quelle atteinte
dont une marque pourrait faire l'objet.
Sans doute, c'est l'unification et à travers elle
l'identification de la notion de contrefaçon de marque qui est la plus
marquante des nouveautés apportées par la loi n°36-200 1 et
plus précisément son article 44.
Une fois saisi par le droit, l'acte 1 de
contrefaçon de marque, à l'image de tout fait de l'homme, devient
l'objet possible d'une connaissance juridique. Ayant un régime juridique
propre, l'acte de contrefaçon est parfaitement susceptible
d'identification.
La condamnation de l'acte de contrefaçon par le droit
des marques repose sur le fait qu'il constitue une atteinte aux droits
exceptionnels reconnus par cette législation dérogatoire qui
chasse le signe constitutif de la marque déposée du domaine
public dès lors, le principe de la libre concurrence cessera
d'être applicable.
L'identification 2 de l'acte de contrefaçon
abouti à ranger ce type d'atteinte au droit sur la marque dans le
régime juridique qui lui est propre. C'est donc en terme de
spécificité que se défini l'acte de contrefaçon car
bien qu'il constitue une atteinte à la propriété sur la
marque, il se distingue des autres usurpations dont la marque pourrait faire
l'objet. .
Le voisinage de la contrefaçon de marque est
incontestablement constitué par l'institution de la concurrence
déloyale 3 qui se définie selon l'article 10 Bis de la
Convention d'Union de Paris comme « tout acte de concurrence
contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou
commerciale ». Sise à l'article 92 C.O.C, la concurrence
déloyale est approchée analytiquement par les rédacteurs
du code à travers l'énumération indicative de quelques
agissements proscrits qui seraient constitutifs de concurrence
déloyale.
En prévoyant spécifiquement des dispositions
relatives aux actes de concurrence déloyale, le législateur
tunisien permet la sanction de ces actes a priori, alors qu'en droit
français, compte tenu de l'absence d'un texte spécial, la
jurisprudence ne peut que qualifier ces actes de déloyaux qu'une fois
saisie par celui qui prétend en être la victime, et ce sur la base
du droit commun de la responsabilité civile pour faute, en l'occurrence,
les articles 1382 et 1383 du code civil français relatifs à la
responsabilité civile du fait personnel.
Le premier cas cité par l'article 92 est celui du
« fait d'user d'un nom ou d'une marque à peu près
similaire à ceux appartenant légalement à une maison ou
fabrique déjà connue, ou à une localité ayant une
réputation collective, de manière à induire le public en
erreur sur l'individualité du fabricant et de la provenance du
produit. »
1 On entend par acte, la « manifestation de
volonté ayant des conséquences juridiques. » Dictionnaire
encyclopédique universel, éditions George Naef. Genève
1993. p.1 5.
2 L'identification « désigne l'acte
d'esprit par lequel une identité se trouve ou constaté ou
institué entre deux réalités. [..] à partir de ses
traits distinctifs, confrontés avec une nomenclature scientifique »
AUROUX (S) ( sous la dir.) : « Encyclopédie Philosophique
Universelle » Tome II, Les notions philosophiques. PUF 1990. p. 1207.
3 Sur l'ensemble des arguments motivant la distinction
entre la contrefaçon et la concurrence déloyale, voir la
remarquable thèse de M. PASSA (J) : « Contrefaçon et
concurrence déloyale » LITEC, 1997. p. 41 et sui.
D'emblée, on peut estimer que l'atteinte constitutive
de contrefaçon est par la même attentatoire à la
règle de la loyauté de la concurrence car l'usurpation dans ce
cas n'aura pour principal effet que le détournement de la
clientèle ralliée autour de l'entreprise qui utilise la marque en
question.
Le principe de la libre concurrence implique la
possibilité d'entreprendre une activité commerciale de son choix
tout en utilisant des signes de ralliement de clientèle. Lors de ce
choix, il ne faut pas que la liberté du choix du signe en question
déborde sur l'accomplissement de pratiques déloyales en vue de
conquérir la clientèle.
L'obtention d'un avantage concurrentiel indu et acquis par des
procédés condamnables mettra celui qui en est le
bénéficiaire dans une position favorable par rapport à ses
concurrents sans que cet avantage soit le résultat d'un effort, d'un
investissement ou d'une habilité professionnelle.
Dans cette optique, si l'acte de contrefaçon porte
violation à un droit privatif sur une marque enregistrée,
valablement constituée et parfaitement opposable aux tiers, l'auteur
d'un acte de concurrence déloyale, lui, n'a pas pour objectif de
contester un droit sur la marque, il se limite juste à abuser de la
liberté de la concurrence en mettant en oeuvre des moyens ou des
procédés attentatoires aux règles de
l'honnêteté et de la loyauté tel que la recherche de la
confusion, l'usurpation des signes de ralliement de clientèle
utilisés par un concurrent, les fausses allégations, le
dénigrement... etc.
L'acte de concurrence déloyale ne transgresse
pas un droit privatif qui exclut temporairement la liberté de la
concurrence, mais il contredit un devoir légal de loyauté dans
l'exercice de cette liberté. La protection ne concerne donc plus la
propriété, le débat se déplace ainsi de la
sphère du droit des biens vers le terrain du droit des
obligations.
L'acte de concurrence déloyale découle ainsi
d'un excès ou d'un abus dans l'exercice de la liberté de la
concurrence. En effet, la liberté de la concurrence étant le
principe, il s'ensuit qu'un commerçant n'est jamais en faute toutes les
fois où il use de cette liberté, le fait qu'il cherche à
conquérir une clientèle est de tout ce qu'il y a de
légitime, toutefois, pour arriver à cette fin, il faut observer
les règles de la confiance et de l'honnêteté dans le
domaine des transactions commerciales.
Bien entendu, « Un agent économique ne
serait se plaindre de ce qu'un concurrent cherche à capter sa
clientèle, puisqu'il n'a sur celle-ci aucun droit privatif [....]
Simplement, si on doit admettre la licéité du «
préjudice concurrentiel » ainsi entendu, on ne saurait
tolérer que des actes déloyaux soient à l'origine du
transfère de clientèle de l'un des compétiteurs vers
l'autre ; la recherche de clientèle « d'autrui » est licite,
à condition « de respecter les usages loyaux du commerce
».1
L'exclusivité qui va de pair avec le droit privatif du
propriétaire de la marque est créatrice d'une exception au
principe de la libre concurrence, alors que l'acte de concurrence
déloyale n'a pour autre finalité que de porter atteinte au
principe même de la liberté de la concurrence à travers
l'excès qu'il renferme et qui se fonde sur l'usage de manoeuvres ou
pratiques qui contredisent la loyauté ou l'honnêteté
présumée être le pilier de l'éthique de tout
commerçant.
Ainsi, ce n'est que le moyen déloyal utilisé
lors de la conquête de la clientèle qui se trouve prohibé
car, étant fugitive et non susceptible d'appropriation définitive
ou même provisoire, « la clientèle est à celui
qui sait la conquérir et la prendre »1 dans les
règles de loyauté et d'honnêteté de l'art
commercial.
Il est permis donc de voir en l'acte de contrefaçon une
manifestation éclatante de la déloyauté, néanmoins
et au-delà de cette connexité évidente résultant de
sa perception dichotomique, l'acte de contrefaçon se présente
intrinsèquement et avant tout comme une violation d'un droit privatif et
non pas une violation d'une certaine éthique ou déontologie
professionnelle dont le respect est inévitable, à peine de
sanction, pour chaque commerçant.
A vrai dire, compte tenu sa nature de fait juridique, de sa
déroutante contingence à des institutions voisines et du mandat
reconnu au juge afin de l'identifier, l'identification de l'acte de
contrefaçon ne peut accéder en définitive à la
certitude.
L'identification de l'acte de contrefaçon présente
ainsi une complexité plus qu'évidente que ce soit d'un point de
vue de la qualification juridique ou de la constatation dans les faits.
En effet, il est certains facteurs de complexité qui
rendent l'identification de l'acte de contrefaçon de marque une
entreprise délicate, il s'agit, en effet, de la nature factuelle de la
contrefaçon de marque qui ajoute à l'entreprise de son
identification une complexité complémentaire. En raison de sa
nature de fait juridique, l'identification de cet acte impose une sorte de
délégation de pouvoir au profit du juge à qui revient en
définitive l'appréciation de l'existence de la
contrefaçon.
Les actes constitutifs de contrefaçon
présentent, par ailleurs, un fort degré de parenté quelque
fois déroutant. En effet, il arrive parfois que l'on puisse qualifier un
seul acte matériel de contrefaçon comme impliquant un
délit d'usage, de reproduction, d'usage d'une marque reproduite ainsi
qu'un cas d'apposition.
Un facteur de complication semble aussi peser sur
l'appréciation de la contrefaçon, c'est celui de la bonne foi. En
effet, exception faite des actes interdits dans l'article 52, bien qu'il soit
établi que l'acte de contrefaçon est répréhensible
indifféremment de la bonne foi de son auteur, il semble que le juge
tunisien ne soit pas totalement familiarisé avec le paradigme de la
responsabilité objective. Certaines décisions cherchent à
motiver la condamnation d'un acte de contrefaçon par une
appréciation plus ou moins subjective du comportement du
contrefacteur.
Un autre facteur semble aussi compter pour beaucoup dans la
démarche du juge, c'est celui de la technicité du droit des
marques ainsi que son caractère un peu abstrait. Le juge tunisien n'est
pas encore familiarisé au droit des marques, il lui arrive de confondre
marque et produit.2
L'acte de contrefaçon présente aussi un
caractère multi-céphal, il constitue une atteinte à un
droit privatif préexistant qui a pour fonction d'interdire la
concurrence, il a aussi un caractère foncièrement déloyal
car il porte forcément atteinte à la règle de
loyauté dans le commerce, il touche enfin le consommateur sa victime
perpétuelle.
1 ROUBIER (P) : «Théorie
générale de l'action en concurrence déloyale » Revue
de Droit Commercial 1948. I. p. 554.
2 Cass-Civ, n°18698 du 4 décembre 1989.
Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p. 149. voir
aussi, TPI, Sfax, Jugement n°14808 du 13 février 1989. Bulletin de
la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p. 144.
Parmi les facteurs de complication, on compte la
subtilité de la distinction de l'acte de contrefaçon par rapport
aux autres atteintes à la marque et qui ne rentre pas dans le champ
d'application de la loi des marques.
Néanmoins et sans aller jusqu'à le rendre non
identifiable, il semble judicieux de suivre la démarche de l'article 44
de la loi n°36-2001, lequel n'ayant pour objet que de tracer les contours
de l'acte de contrefaçon de marque.
Selon l'article 44 de la loi n°36-2001, «
Toute atteinte portée aux droits du propriétaire de la
marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité
civile et pénale de son auteur.
Constitue une atteinte aux droits sur la marque, la
violation des dispositions prévues aux articles 22 et 23 de la
présente loi ».
Au-delà de leur clarté apparente, le fait de
prétendre à l'automatisme dans la mise en oeuvre des dispositions
de la loi n°36-2001 relatives à l'acte de contrefaçon de
marque serait tout à fait illusoire en raison de leur
indéterminisme évident. Ceci est vrai tant pour celles qui
définissent l'acte de contrefaçon que pour celles qui
spécifient ses manifestations possibles. Il est permis de voir ainsi
dans ce dispositif légal une coquille vide 1 dont le
contenu sera déterminé par le juge ou d'une manière
générale par l'interprète..
L'article 44 parle d'une atteinte dans l'absolu aux droits du
propriétaire. Temporairement, l'acte de contrefaçon s'identifie
à une atteinte aux droits sur la marque, c'est en quelque sorte une
approche synthétique de l'acte en soi et à l'état
statique, c'est en quelque sorte une qualification de l'acte avant toute
expérience, matérialisation ou extériorisation.
L'usage des définitions dans la loi cherche à
circonscrire la discrétionnalité interprétative ; celle-ci
ne peut toutefois jamais être éliminée, car même les
énoncés de définition doivent de toute évidence
être interprétées à leur tour.
Cette démarche trouve un écho dans l'article 44
dans ses deux alinéas. En effet, la contrefaçon est une atteinte
aux droits du propriétaire de la marque, l'atteinte en question est
définie à son tour comme étant la violation de
dispositions spécifiques de la loi n°36-2001. Ces dispositions sont
relatives aux actes que le propriétaire serait admis à interdire
aux tiers.
En consultant les dispositions des articles 22 et 23 de la loi
n°36-2001 auxquelles renvoie l'article 44 alinéa 2, on
s'aperçoit aussitôt des limites de la définition des
catégories d'actes par lesquels se manifeste l'atteinte constitutive de
contrefaçon.
Il est certain que la définition des ces actes, en
l'occurrence la reproduction, l'usage, l'apposition, la suppression,
l'imitation, etc., n'est ni possible à titre définitif ni
souhaitable d'un point de vue pratique compte tenu du caractère
contraignant de la définition en droit. Leur définition
circonstanciée n'ira pas sans tomber dans une circularité de la
définition.
1 Rouvillois (F) : « Le droit » GF
Flammarion, 1999. p. 219. En considérant le droit et plus
précisément la règle juridique comme une coquille vide,
une école anglo-saxonne de l'interprétation en droit, en
l'occurrence celle du réalisme juridique américain, a pour
principal souci de reconnaître au juge la possibilité, voire le
nécessaire pouvoir, de remodeler, préciser et affiner le droit
positif pour l'adapter aux changements incessants et aux situations de faits
toujours différentes.
L'identification à ce stade rend compte du qualificatif
d'atteinte, cette atteinte, qu'est la contrefaçon, renferme des
spécificités qui découlent par ricochet de la
spécificité de l'objet de l'atteinte lui-même, en
l'occurrence, le droit de propriété ayant pour objet une
marque.
L'article 44 parle de toute atteinte, cette
ambiguïté momentanée n'est que fonction de l'objet
même de l'alinéa 1 de l'article 44, car c'est au concept
même de contrefaçon que s'intéresse cet alinéa. Pour
donner une substance ou un contenu suffisamment précis à l'acte
de contrefaçon de marque, l'article 44 al. 2 invite l'identificateur
à consulter les articles 22 et 23 de la même loi afin de
déterminer les actes dont l'exercice non autorisé par un tiers
serait constitutif d'un acte de contrefaçon.
La consommation de l'un de ces actes interdits aux tiers sauf
autorisation du propriétaire tel que la reproduction de la marque, son
usage, son imitation, son apposition, etc, peut être perçue comme
la mise en oeuvre de l'atteinte au droit sur la marque, c'est à travers
ces actes, qui supposent la dynamique, que l'atteinte s'extériorise et
devient sujette à détermination.
En dévoilant l'économie générale
de l'acte de contrefaçon, l'article 44 reflète en vertu de
l'articulation de ses deux alinéas « la technique du
développement en parallèle »,1 il avance
le principe ou la définition puis sa mise en oeuvre ou ses cas
particuliers.
La démarche poursuivie par le législateur
tunisien lors de l'identification de l'acte de contrefaçon de marque
répond à la logique de l'entonnoir, il procède du
général, en considérant que « toute atteinte
aux droits du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon
», pour finir au particulier, c'est-à-dire la
spécification de la quintessence même de l'acte en disposant que
« Constitue une atteinte aux droits sur la marque, la violation
des dispositions prévues aux articles 22 et 23 de la présente
loi ». Ainsi, on part de la règle à son
application.
La structure de l'article 44, pierre angulaire de
l'identification de l'acte de contrefaçon, le fait paraître comme
la réponse à une question posée par le destinataire de la
règle qu'il énonce.
Le recours à l'affirmatif « Tout
» exprime clairement la totalité globalement sans l'individualiser.
Placée en tête de l'article, le terme marque la
généralité et la met en pleine évidence.
L'acte de contrefaçon s'identifie à une atteinte
qui se distingue par ses spécificités de n'importe quelle
atteinte perpétrée à la marque et c'est là
où l'article 44 alinéa 1 devient profitable dans la mesure
où il trace les termes de l'économie générale de
l'acte de contrefaçon, bien entendu l'intérêt de cet
article se résume à l'approche synthétique qu'il renferme,
sa généralité ne l'empêche pas d'être
décisif lors de l'identification une fois qu'il est
décortiqué.
La qualification de la contrefaçon comme atteinte est
symptomatique car d'emblée la loi place le débat sur le terrain
de l'illégalité, la spécificité de cette atteinte
découle incontestablement des propriétés de l'objet auquel
elle s'attaque, en l'occurrence, le droit du propriétaire de la
marque.
C'est de l'interdépendance des rapports entre le droit
sur la marque et l'atteinte qui lui est perpétrée que se
dégage les traits caractéristiques propres à identifier
l'acte de contrefaçon de marque. Bien qu'elle semble tautologique, la
détermination des spécificités de la marque et du droit
dont elle fait l'objet s'impose incontestablement à l'identificateur de
l'acte de contrefaçon.
1 CORNU (G) : « Linguistique juridique »
2ème éd, Montchrestien 2000. p. 302.
En effet, si l'acte de contrefaçon devait être un
livre, la mise en exergue de la quintessence du droit de marque auquel il porte
atteinte en sera la préface. La définition légale de
l'acte de contrefaçon est en elle-même sujette à
décortication car, compte tenu de sa nature de fait juridique, l'acte de
contrefaçon échappe d'emblée à toute tentative de
délimitation définitive concernant ses manifestations
possibles.
De la démarche poursuivie par le législateur
tunisien, se dégage un constat qui se résume à
considérer que l'identification de l'acte de contrefaçon est
réalisable en deux temps ou à deux vitesses allant de
l'unicité conceptuelle de l'acte vers une diversité factuelle et
catégorielle de ses manifestations.
Ainsi, se pose la question de savoir en quoi consiste la
spécificité de l'identification de l'acte de contrefaçon
de marque ?
Notre approche sera axée sur une étude
structurale de l'article 44 siège de la philosophie
générale de l'acte de contrefaçon et point de
départ de l'entreprise de son identification. En effet, en le
présentant d'une manière synthétique, l'alinéa
premier de l'article 44 dévoile l'infrastructure de l'acte de
contrefaçon qui n'est autre qu'une atteinte aux droits du
propriétaire de la marque.
Quant à l'alinéa deuxième du même
article, tout en poursuivant une approche analytique, il se prononce in
concreto sur la superstructure ou encore la phénoménologie
de l'acte de contrefaçon de marque et ce, en renvoyant aux actes
interdits aux tiers dans les articles 22 et 23 de la loi n°36- 2001 du 17
avril 2001..
Ainsi et en vue d'arriver à une satisfaisante
identification de l'acte de contrefaçon de marque, ne voilà t-il
pas possible de joindre l'utile à l'agréable en associant
à l'étude analytique des
contrefaçons, dans leur riche palette, la
conceptualisation de l'acte de contrefaçon dans le dessin de tracer,
partout où il atterrit, son fil conducteur ou son droit
commun.
Titre premier : L'approche synthétique de
l'acte de
contrefaçon :
une atteinte au droit de propriété sur la
marque
Titre deuxième : Les manifestations de
l'acte de
Contrefaçon
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