Paragraphe 3 : La déchéance des droits sur la
marque
Une fois que la marque est enregistrée, le
propriétaire voit la persistance de son droit sur la marque
subordonnée au respect de certaines obligations dont le non-respect est
sanctionné au sens de la loi n°36-2001 par la
déchéance des droits sur la marque.
La déchéance, selon l'article 35, est
prononcée par le juge suite à une demande formulée par
toute personne intéressée que ce soit à titre principal ou
reconventionnel, c'est dire qu'elle ne joue pas de plein droit. Ainsi, toute
marque demeure opposable aux tiers jusqu'à ce que son titulaire soit
déchu de ses droits par une décision de justice.
La sanction de déchéance est une sanction
particulièrement grave compte tenu de son effet absolu. Une fois
déchu, le propriétaire de la marque se trouve
dépouillé de ses droits et c'est alors qu'il ne sera plus admis
à agir utilement en contrefaçon. Quant à la marque, elle
devient res nullius, et donc susceptible d'appropriation par tout
intéressé.
1 CHAVANNE (A) & BURST (J-J) : op. cit.
n°1089, p. 630.
Par ailleurs, on note que le législateur a placé
la déchéance sur le même pied que la nullité tant
sur le plan de son effet absolu que sur celui de son étendue qui peut
être partiel ou total selon qu'il touche tout ou partie des produits ou
services pour lesquels la marque a été enregistrée.
D'après les articles 34 et 36 de la loi du 17 avril
2001, on constate que le législateur frappe par la
déchéance le propriétaire de la marque qui oppose son
inertie face à trois obligations de faire. En effet, encoure la
déchéance, le propriétaire qui n'exploite pas sa marque
(A) ainsi que celui qui en fait d'elle un usage de manière à la
rendre déceptive (B) ou usuelle (C).
-A- La déchéance pour défaut
d'exploitation de la marque :
Sous l'empire du décret de 1889, ce type de
déchéance n'avait pas de raison d'être car il suffisait
à l'intéressé d'exploiter la marque pour en
acquérir la propriété ou encore l'enregistrer pour en
revendiquer la propriété exclusive sans pour autant avoir
à l'exploiter obligatoirement. Sur la base d'un tel régime, le
propriétaire de la marque pouvait conserver son droit grâce au
renouvellement du dépôt, alors même qu'il n'a jamais
exploité la marque.
Avec la loi n°36-2001, l'exploitation de la marque a
regagné d'intérêt puisqu'elle pèse en tant
qu'obligation sur le propriétaire. En effet, il n'y a aucune raison
à reconnaître perpétuellement un monopole légal sur
une marque qui n'est même pas exploité car « La
marque n'est pas un signe pris en lui-même : c'est un signe pris dans son
application à des produits ou à des services, et dans la fonction
de les désigner en référence à leur origine. Or la
marque ne se réalise que par l'usage qui en est fait. Une marque
non-exploitée n'exerce pas la fonction qui est la sienne ; Par
conséquent elle cesse en vérité d'être une marque,
au sens juridique et économique du mot ».1
Conformément à ses engagements
internationaux,2 le législateur tunisien a entouré la
déchéance de garde-fous, en ce sens, tout en retenant l'exception
de juste motif, la loi n°36-2001 subordonne la déchéance
pour défaut d'exploitation à plusieurs conditions.
En effet, le titulaire de la marque peut invoquer un juste
motif afin d'éviter la sanction de la déchéance. Bien
qu'il ne soit pas définit dans l'article 34 al, le juste motif s'entend,
au sens de l'article 19 de l'accord ADPIC, de toutes «
circonstances indépendantes de la volonté du titulaire de la
marque qui constituent un obstacle à l'usage de la marque, par exemple
des restrictions à l'importation ou autres prescriptions des pouvoirs
publics visant les produits ou les services protégés par la
marque». Bien évidement, il revient au juge
d'apprécier la justesse du motif susceptible d'exonérer le
propriétaire de la sanction de déchéance.
Concernant la période de non-usage après
laquelle la déchéance pourra être retenue, elle est
fixée à cinq ans selon l'article 34. Par ailleurs, au sens de
l'alinéa 3 du même article, la déchéance pour
défaut d'exploitation ne peut être invoquée à
l'encontre d'une marque qui a fait l'objet d'un commencement ou d'une reprise
d'usage sérieux, il est donc indispensable que la durée de non-
exploitation s'étale d'une manière ininterrompue pendant cinq
ans.
1- MATHELY (P): op. cit. p. 243.
2 Conformément à l'article 5-C-1 de
la Convention d'Union de Paris, « L'enregistrement ne pourra être
annulé qu'après un délai équitable et si
l'intéressé ne justifie pas des causes de son inaction ».
Dans le même ordre d'idée, l'accord sur les ADPIC dans son article
19 ordonne aux états signataires de subordonner la radiation de
l'enregistrement à l'écoulement d'une « période
ininterrompue de non-usage d'au moins trois ans, à moins que le
titulaire de la marque ne donne des raisons valables reposant sur l'existence
d'obstacles à un tel usage ».
Toutefois, l'article 34 al. 2 ne compte sauver de la
déchéance que la marque ayant fait l'objet d'une exploitation
sérieuse du même ordre que les exemples qu'il cite à titre
indicatif.
Il est à noter que l'article 34 al. 4 n'admet pas le
caractère sérieux de l'usage entrepris dans les trois mois
précédent la présentation de la demande de
déchéance car un tel usage dans cette période
suspecte tend manifestement à frauder la sanction de la
déchéance.
Par ailleurs, au terme de l'article 34 al. 3, le décompte
de la période de non-exploitation de cinq ans commence à partir
du jour de la présentation de la demande de déchéance.
Néanmoins, il est une situation intéressante
à envisager, il s'agit en effet de la demande de déchéance
d'une marque enregistrée depuis cinq ans et qui n'a jamais
été exploitée, dans ce cas, les délais
commenceront-ils à courir à partir de la date du
dépôt ou de la date de la publication de l'enregistrement de la
marque ?
Il semble opportun d'adopter la date de publication de
l'enregistrement de la marque comme point de repère car c'est à
cette date là -et non pas à celle du
dépôt-1 que les tiers, y compris le demandeur en
déchéance, seront informés de l'existence de la marque.
En définitive, si le titulaire de la marque objet d'une
demande en déchéance ne parvient pas à prouver par tous
les moyens une exploitation propre à éviter la sanction, le
tribunal prononcera alors la déchéance avec un effet absolu. Par
ailleurs, la déchéance prend effet à partir de la date de
l'expiration du délai de cinq ans conformément à l'article
35 alinéa 3.
Toutefois, la perte des droits ne sera que partielle lorsque
la déchéance est retenue pour certains produits ou services
à l'exclusion des autres pour lesquels la marque a été
enregistrée, ainsi, la marque demeure opposable aux tiers pour les
produits non concernés par la déchéance.
Par ailleurs, tant que la marque n'a pas été
enregistrée par un tiers, le propriétaire déchu pourra
alors utilement l'exploiter et l'enregistrer à nouveau pour son propre
compte.
|