1.2 Des définitions et des points de vue
divergents
La description des paradigmes d'étude esquissée
ci-dessus met en évidence la diversité des tâches
utilisées pour étudier ce phénomène. Etant
donné les différentes approches expérimentales
utilisées, il est bien difficile de donner une
définition générale de
« l'apprentissage implicite ». En effet, cette
notion demeure fort imprécise et la définition du
phénomène ne fait pas l'objet d'un consensus, ce qui se traduit
par la coexistence de multiples significations pour le même concept.
Frensch (1997) a listé pas moins de onze définitions de
l'apprentissage implicite. Voici quelques unes d'entre elles : pour Berry &
Broadbent (1988),
« learning may be implicit, when people are merely
told to memorize the specific material presented, but nevertheless
learn about the underlying rules », pour Cleeremans &
Jiménez (1996), « implicit learning should designate cases
where some knowledge is (1) acquired without intention to learn ..., and
(2) capable of influencing behavior unconsciously ». Pour Perruchet
(1988), l'apprentissage implicite peut être défini comme «un
mode d'adaptation dans lequel le comportement d'un sujet apparaît
sensible à la structure d'une situation, sans que cette adaptation
ne soit imputable à l'exploitation intentionnelle de
la connaissance explicite de cette structure ».
En fait, ce qui est important de noter dans les
différentes définitions proposées pour
qualifier l'apprentissage implicite, c'est que l'accent
est mis sur l'aspect incident ou inconscient de la phase
d'apprentissage. Autrement dit, l'apprentissage se fait à l'insu du
sujet
et la connaissance acquise est difficilement accessible
à la conscience, et/ou difficilement exprimable verbalement.
L'intérêt se porte sur l'acquisition de connaissances «
complexes », comme par exemple l'apprentissage de structures complexes de
règles.
De plus, au-delà des divergences concernant
la définition même du concept d'apprentissage implicite,
nous allons voir que les auteurs ont également des points de vue
différents concernant l'interprétation du
phénomène. Le point de vue « abstractionniste »
défendu par Reber (1967) suppose que l'apprentissage implicite
est sous tendu par des mécanismes inconscients d'abstraction de
règles, déclenchés lorsque le sujet est confronté
à
un matériel complexe qui décourage la
découverte et l'utilisation de règles simples, rendant alors
inopérants les mécanismes conscients d'apprentissage.
Autrement dit, l'idée initiale défendue par Reber est que,
lors d'une tâche de grammaire artificielle, l'apprentissage
correspond à l'acquisition incidente (non intentionnelle) de
connaissances inconscientes sur la structure abstraite du matériel.
Seulement, cette position « abstractionniste » va être
contredite
par Brooks (1978) puis par Brooks & Vokey (1991). En effet,
selon ces auteurs, les sujets ne feraient pas d'induction mais au contraire
« mémoriseraient » des exemplaires d'items entiers
en mémoire épisodique. Ces auteurs
défendent donc une position « exemplariste » selon
laquelle, c'est cette connaissance stockée en mémoire qui
permettrait au sujet de décider qu'un item présenté
en phase de test est grammatical ou non, ceci en le comparant avec
l'exemplaire mémorisé lors de la phase d'étude. Proche
à certains égards de ce point de vue exemplariste (apprentissage
d'items et non des règles), le point de vue «
fragmentariste » proposé par Perruchet (1994) s'en distingue
principalement par le fait que, cette fois, l'accent n'est plus mis sur la
mémorisation d'exemplaires entiers appris lors de la phase
d'étude mais plutôt sur l'apprentissage de fragments
d'items (généralement des bigrammes ou des trigrammes,
souvent appelés « chunks ») présentés au
moment de la phase d'étude. Par la suite, Perruchet & Pacteau
(1990) vont faire évoluer cette position fragmentariste en
précisant que la fréquence d'apparition des bigrammes ou
des trigrammes (les rendant ainsi plus ou moins saillants) constitue
l'élément le plus important lorsque les sujets doivent
classer des chaînes de lettres en fonction de leur
grammaticalité.
Au-delà des nombreuses définitions et des
différents points de vue proposés pour définir
le phénomène d'apprentissage implicite, il
existe un autre débat concernant la nature des connaissances
(explicites/ implicites) acquises par les sujets. Une explication possible
à cette divergence est à chercher du côté du
paradigme employé puisqu'il semble que la nature des processus
d'apprentissage et des connaissances acquises dépende fortement
de la tâche utilisée. Dans cette perspective, plusieurs
auteurs ont défendu l'idée selon laquelle le paradigme
d'apprentissage de séquences (tâche de TRS) serait
particulièrement bien adapté à l'étude de
l'apprentissage implicite (Cleeremans & Jiménez, 1998).
D'après Cleeremans (1993b), ce paradigme présente l'avantage
d'offrir des conditions d'apprentissage réellement incidentes. En effet,
dans une situation de temps de réaction, des connaissances relatives
à la structure de la séquence ne sont pas nécessaires pour
effectuer la tâche. Par conséquent, rien n'incite les sujets
à tenter de découvrir des régularités dans le
matériel. Outre cet aspect, le choix du test post expérimental
utilisé pour mesurer les connaissances va aussi conduire à des
considérations divergentes selon les auteurs. Dienes & Berry (1997)
proposent d'évaluer si les sujets disposent de
métaconnaissances sur les connaissances acquises au cours
de l'apprentissage. En d'autres termes, ils veulent évaluer si les
sujets ont appris quelque chose à propos de la structure complexe du
matériel. Jacoby (1991) propose quant à lui d'évaluer la
capacité des sujets à contrôler leurs connaissances afin de
déterminer s'ils peuvent y accéder consciemment. Cependant,
Shanks & St. John (1994) viennent remettre en question
l'utilisation des rapports verbaux comme indicateur de connaissances
explicites. En effet, selon eux, l'utilisation des rapports verbaux ne
remplit pas les critères d'information et de sensibilité.
Le critère d'information porte essentiellement sur la nature des
connaissances acquises par les sujets au cours de la tâche. Ce
critère est atteint lorsque les connaissances à la base de
l'amélioration de la performance correspondent à celles que
l'expérimentateur cherche
à mesurer dans la phase de test des
connaissances explicites. Le critère de sensibilité
concerne, quant à lui, le niveau d'accès à la
conscience des connaissances acquises. Il implique que la phase de
description explicite de la tâche permette de détecter l'ensemble
des connaissances conscientes qui ont pu influencer la performance des
sujets. Faute de quoi, l'amélioration de celle-ci pourra
être attribuée à l'acquisition de connaissances
implicites simplement parce que la phase de description explicite de la
tâche est moins sensible que la tâche elle-même à
l'expression de l'information consciente. Finalement, Shanks & St.
John (1994) remettent en question l'existence même du
phénomène d'apprentissage implicite, ou
contestent l'idée selon laquelle la distinction
implicite/explicite permet de rendre compte des
données expérimentales (Neal & Hesketh,
1997; Whittlesea & Dorken, 1993). Dans le même sens, Perruchet,
Vinter & Gallego (1997b) affirment que si les processus
d'apprentissage influencent le traitement de manière implicite, les
connaissances acquises sont quant à elles systématiquement
accessibles à la conscience.
En analysant l'ensemble des arguments formulés dans ce
paragraphe, il est possible de résumer les divergences concernant la
nature des informations apprises dans les différentes
tâches d'apprentissage implicite en considérant qu'elles
s'organisent principalement autour de deux axes : (1) un premier axe qui oppose
un point de vue « abstractionniste » à un point de vue «
fragmentariste », et (2) un second axe sur lequel on peut mettre
en opposition des auteurs qui croient à la nature implicite de
l'apprentissage et ceux qui estiment, au contraire, qu'il est inutile de faire
appel à une quelconque connaissance implicite pour rendre compte de
la performance des sujets dans les tâches d'apprentissage
implicite.
Finalement, ces différentes prises de position
reflètent bien l'idée selon laquelle il est difficile de
définir ce qu'est l'apprentissage implicite, du fait de la
diversité des approches utilisées et des hypothèses
proposées pour en rendre compte. Est il possible d'arriver
à dégager un accord général de cette
littérature ?
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