1.3 Vers un consensus relatif concernant les situations
traditionnelles d'apprentissage implicite
Malgré la diversité des approches
expérimentales utilisées pour étudier ce
phénomène et malgré les différents points de
vue émis par les auteurs au fil des années, la
littérature sur l'apprentissage implicite tend quand même
à laisser entrevoir un consensus relatif concernant
les résultats obtenus. En effet, comme le souligne
Perruchet & Nicolas (1998), quel que soit le paradigme utilisé
(tâche de TRS, tâche de contrôle ou tâche de
grammaire artificielle), les résultats obtenus laissent
apparaître la formation de chunks et l'existence d'une forte
corrélation entre performance et connaissance explicite de la
situation. Evidemment, il est toujours possible de trouver des arguments
contradictoires mais comme nous allons le voir,
les données de la littérature semblent compatibles
avec un tel point de vue.
Vers un consensus relatif concernant les situations
traditionnelles d'apprentissage implicite 15
En considérant tout d'abord les situations
d'apprentissage séquentiel, les résultats
indiquent que les temps de réaction des sujets dans une
tâche de TRS s'améliorent au fil des essais, ce qui
reflète à la fois l'effet d'un entraînement à
ce type de tâche mais aussi les ajustements sensori-moteurs
consécutifs à la pratique de la tâche. Mais le constat
important
est que les temps de réaction des sujets confrontés
à la séquence répétée diminuent davantage
et plus rapidement que ceux des sujets contrôles. Ces
résultats ne semblent pas liés à la prise
de conscience de la répétition d'une
même série. En effet, les sujets normaux prennent
conscience de la répétition si une pratique suffisante
leur est autorisée, mais l'amélioration des performances
semble précéder cette prise de conscience. De plus, chez
des sujets amnésiques, une amélioration comparable des
performances peut être observée alors que ces sujets demeurent
incapables d'évoquer la structure de la tâche. Toutefois, Shanks,
Green & Kolodny (1994) ont remarqué que les différentes
positions possibles de la cible ne sont pas également
représentées dans les séquences
répétées utilisées par Nissen & Bullemer (1987)
et dans d'autres études antérieures. Cette caractéristique
est suffisante pour rendre compte d'une différence de temps de
réaction moyen, par rapport à une séquence
aléatoire dans laquelle tous les essais sont également
représentés. De plus, Perruchet et Nicolas s'opposent
à l'interprétation conventionnelle selon laquelle «
le fait que les sujets ne puissent pas verbaliser qu'une
même séquence est continuellement répétée
indique le caractère inconscient
de cette connaissance». Pour ces auteurs, une
telle interprétation devient absurde car si l'amélioration
des performances est due à l'apprentissage de la
fréquence des événements isolés alors, rien ne
permet d'inférer que la connaissance d'une répétition
existe réellement. Selon eux, la question pertinente est plutôt de
savoir si cette non équiprobabilité des cibles (responsable du
changement comportemental) est perçue consciemment ou non par les
sujets.
De nombreuses indications permettent de penser que
l'amélioration des temps de réaction est due à la
connaissance de quelques fragments de la séquence qui fournissent une
connaissance approchée mais suffisante des règles
séquentielles qui déterminent la séquence. Perruchet &
Amorim (1992) ont montré que les sujets devenaient très
rapidement capables de reconnaître
un certain nombre de fragments de la séquence
utilisée et que ces fragments reconnus correspondaient exactement
aux fragments de la séquence sur lesquels une amélioration des
temps de réaction pouvait être observée. Finalement,
Perruchet et Nicolas concluent que la connaissance de la règle
qui structure la séquence n'est pas utile et que
l'amélioration comportementale est due à des connaissances
fragmentaires et spécifiques. De plus, ils
16 Chapitre 1 : L'apprentissage implicite
démontrent que ces connaissances ont des
répercussions au niveau de la conscience que le
sujet a de la tâche.
Les tâches de contrôle, comme par exemple la
tâche proposée par Berry & Broadbent
(1984) dans laquelle les sujets doivent contrôler la
production d'une usine de sucre en variant
le nombre d'ouvriers, peuvent également aboutir
à une interprétation similaire à celle fournie pour les
tâches de TRS. A partir de leur étude, Berry et
Broadbent ont montré que les relations entre la performance
effective et la connaissance verbalisable étaient nulles, voire
négatives. En effet, ils ont observé que les sujets qui
assuraient le meilleur contrôle du système étaient
ceux qui obtenaient les moins bons scores lors d'un questionnaire
post expérimental portant sur les propriétés du
système. Dès lors, les premières conclusions issues
de ces tâches de contrôle soutiennent
l'idée selon laquelle le système cognitif serait capable
d'abstraire inconsciemment les propriétés structurales de
l'environnement. Seulement, des interprétations alternatives ont
été proposées au fil des années concernant
le statut de la connaissance. Marescaux (1997) a montré que
les connaissances impliquées dans les performances sont
explicites et non pas abstraites.
Concernant les situations standards de grammaire artificielle,
l'interprétation initialement proposée par Reber (1967)
reposait sur le fait que les sujets étaient capables d'abstraire
inconsciemment la grammaire, c'est-à-dire que le sujet pouvait
acquérir, lors de la phase d'étude, une connaissance dont la
forme était isomorphe à celle de la grammaire à
états finis. Seulement, cette conception abstractionniste va
connaître un certain nombre de détracteurs. Brooks (1978)
a été le premier auteur à proposer une conception
différente. Selon
lui, les items présentés lors de la phase
d'étude seraient simplement mémorisés, et lors du test,
la grammaticalité des items serait évaluée
en fonction de la similarité entre l'item cible et un
ou plusieurs items mémorisés. Dès lors,
nous passons d'une conception abstractionniste à une conception
exemplariste. Cette évolution de point de vue va se poursuivre et
conduire à une troisième catégorie
d'interprétation, celle de Perruchet (1994) qui défend une
position fragmentariste (cf.p.11). Cette dernière conception est
en accord avec l'interprétation de Brooks selon laquelle les sujets
ne feraient pas d'abstraction. Par contre, la différence entre
ces deux points de vue repose sur la nature des unités de
traitement initiales et en particulier
sur leur taille. Dans l'interprétation de Brooks,
les chaînes de lettres sont supposées être
encodées de façon holistique tandis que pour Perruchet, les
unités de traitement formées par
Vers un consensus relatif concernant les situations
traditionnelles d'apprentissage implicite 17
les sujets correspondraient à des parties de
chaîne, typiquement à des bigrammes ou des
trigrammes. Ce changement de conception nous conduit à
nouveau à considérer les résultats
en termes de chunks (comme cela a été fait avec les
tâches de TRS) et permet également de faire un rapprochement entre
les performances et la connaissance verbalisable de la situation.
En effet, il est possible de montrer que la connaissance
de petites unités de traitement
(bigrammes ou trigrammes) est consciente. Perruchet & Pacteau
(1990) montrent que le taux
de reconnaissance explicite de ces petites unités
apparaît suffisant pour rendre compte des jugements de
grammaticalité.
Finalement, un consensus relatif semble émerger
de l'ensemble des résultats obtenus dans les situations
conventionnelles d'apprentissage implicite. En effet, qu'il s'agisse des
études relatives aux tâches de grammaires artificielles, aux
apprentissages séquentiels ou bien encore aux tâches de
contrôle de système, on s'aperçoit que (1)
l'information réellement utilisée par le sujet est accessible
à la conscience et que (2) le sujet à tendance à traiter
cette information de manière fragmentaire (formation de « chunks
») plutôt que dans sa totalité.
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