2. Variations autour d'une tâche de TRS et
persistance de l'apprentissage
implicite
La dernière série d'expériences
(Expériences 5 à 9) met en évidence l'existence robuste
d'un apprentissage implicite quelles que soient les modifications introduites
dans une tâche standard de TRS. Dans l'expérience 5, nous avons
réalisé une modification de procédure dans
la tâche elle-même. En effet, nous avons
effectué une tâche de TRS en utilisant une séquence
répétée placée entre des essais aléatoires.
Il s'avère que la méthode que nous avons employée
présente un avantage important comparé aux méthodes
classiquement utilisées pour mesurer l'apprentissage dans les
tâches de TRS. Dans la méthode standard, l'apprentissage
est seulement évalué à la fin de la phase de pratique en
mesurant l'effet néfaste (généralement, une forte
augmentation du temps de réaction) que produit l'introduction
d'un bloc de transfert. Dans des articles plus récents, le bloc de
transfert est présenté après une phase de pratique
relativement longue (e.g., 96 répétitions dans
Shanks, 2003), ce qui suggère que l'apprentissage dans les
tâches de TRS nécessite un grand nombre de
répétitions pour se manifester. La méthode que nous
avons utilisée ici, nous permet d'observer l'apprentissage au
fil du temps, ce qui rend alors possible la
génération de courbes d'apprentissage. Nos résultats
révèlent deux phénomènes importants.
Premièrement, une amélioration sélective des
performances semble se produire très tôt durant la phase
d'entraînement. Ce résultat est conforme aux résultats
obtenus par quelques études qui s'intéressaient
directement à cet aspect (Perruchet & Amorim, 1992; Perruchet et
al., 1997). Deuxièmement, la différence qui existe entre les
séquences aléatoires et répétées continue
à augmenter durant toute la phase de pratique. De manière
générale, les résultats obtenus dans cette
expérience ne cherchent pas à invalider l'utilisation d'un grand
nombre d'essais d'entraînement, mais ils suggèrent que ce
qui est observé dans la plupart des études de TRS
correspond à une quantité importante de
« surapprentissage », et ne peut donc pas
se généraliser aux premières parties de
l'apprentissage.
Dans l'expérience 6, nous avons examiné l'influence
du périphérique utilisé dans une tâche de TRS, afin
de voir quel était son impact sur l'apprentissage. Classiquement, les
tâches
de TRS sont réalisées au moyen d'un
dispositif nécessitant l'utilisation d'un clavier. Les sujets ont
pour consigne de positionner l'index et le majeur de chaque main sur les
touches du
clavier qui correspondent spatialement aux positions
potentielles de la cible sur l'écran, et
d'appuyer aussi rapidement que possible sur la touche
correcte dès que la cible apparaît. L'utilisation de ce
type de matériel implique une association directe stimulus-
réponse. En effet, l'usage du clavier entraîne
inévitablement l'existence d'une correspondance directe entre une
position sur l'écran et un mouvement spécifique. Dans ce cas, il
est possible de se demander si l'apprentissage observé dans ce genre de
situation n'est pas dû à la présence de cette association.
C'est pourquoi, le fait d'utiliser une souris, en lieu et place d'un clavier,
va nous permettre de « rompre » cette liaison
stimulus-réponse. L'utilisation d'une souris ne correspond pas
à mouvement unique, puisque pour atteindre une position au
moyen de ce périphérique, tout dépend de l'endroit
d'où l'on vient (par exemple, si le curseur est du côté
droit de l'écran et que la cible apparaît à gauche, il va
falloir déplacer la souris vers la gauche pour atteindre la cible). Par
conséquent, le fait d'utiliser une souris n'implique pas l'existence
d'une liaison directe entre une position affichée à
l'écran et un mouvement particulier, (comme c'est le cas avec
l'utilisation d'un clavier). Nous voulons observer si l'apprentissage continue
quand même à se manifester dans ces conditions. Il s'agit d'une
expérience novatrice car, à notre connaissance, c'est la
première fois qu'une tâche de TRS est réalisée au
moyen d'une souris. Les sujets avaient pour consigne de cliquer aussi vite que
possible sur une cible
qui apparaissait à l'écran, afin de la faire
disparaître. Les données indiquent que les temps de
réaction des sujets utilisant la souris sont légèrement
plus élevés que ceux des sujets utilisant
le clavier. Cette différence s'explique par le fait que
les participants de la « condition souris » doivent dans un premier
temps déplacer le périphérique afin d'atteindre la cible,
puis cliquer dessus, ce qui leur prend plus de temps que d'appuyer sur une
touche de clavier. Les résultats obtenus indiquent clairement que les
sujets sont capables d'apprendre les régularités présentes
dans la tâche que ce soit en utilisant un clavier ou une souris.
Finalement, le fait de montrer une « équivalence » entre ces
deux périphériques, pour une tâche de TRS, va nous
permettre
de dépasser certaines contraintes qui étaient
liées à l'utilisation d'un clavier. En effet, il est
désormais possible d'envisager de faire des tâches de TRS avec un
nombre plus important de positions potentielles et également avec
différents agencements de ces positions sur l'écran,
ce qui n'était pas commode, voire impossible,
avec l'utilisation d'un clavier (du fait de la limite physique
imposée en terme de positionnement possible des doigts).
De plus, l'utilisation de la souris permet de manipuler d'autres
variables, comme la précision ou la nature du déplacement de
la cible. C'est ce que nous avons examiné dans nos expériences 7,
8
et 9. Là encore, les résultats nous montrent que,
quelle que soit la modification introduite dans
la tâche de TRS, l'apprentissage implicite continue
à se manifester.
Apprentissage dans les tâches discrètes
vs absence d'apprentissage dans les tâches continues : un
problème d'anticipation ?
Notre stratégie qui consistait à transformer une
tâche de TRS standard afin de la rendre
la plus similaire possible à une tâche
continue nous a permis d'obtenir des résultats significatifs
d'apprentissage dans tous les cas. Il nous reste maintenant à expliquer
pourquoi
un tel apprentissage semble si facile à obtenir dans une
tâche discrète alors qu'il est tellement difficile à mettre
en évidence dans une tâche continue.
Une première supposition que nous pouvons faire consiste
à penser que, dans les tâches
de poursuite continue, le sujet ne peut pas anticiper à
cause des contraintes de la tâche. En effet, il doit faire en permanence
des micro mouvements d'ajustement afin de se positionner
le plus précisément possible sur la cible qui est
en perpétuel mouvement. Ainsi, il est possible
de supposer que le sujet se focalise tellement sur ces micro
mouvements d'ajustement qu'il ne prête pas d'attention à la forme
générale du mouvement. Une telle hypothèse a
été testée dans une expérience
complémentaire non rapportée dans le corps de cette thèse.
L'objectif de cette expérience était d'expliquer l'échec
à obtenir un apprentissage dans une tâche de poursuite continue en
supposant que le pistage moteur était trop compliqué (car le
focus attentionnel se portait sur les micro mouvements d'ajustement),
ce qui ne permettait pas de traiter l'information à un
niveau global. Les sujets étaient répartis en deux
groupes : un « groupe acteur » dans lequel ils effectuaient, en
phase de pratique, une tâche de poursuite identique à celle
présentée dans notre expérience 1, et un «
groupe observateur » dans lequel ils observaient uniquement le
déplacement de la cible sur l'écran sans effectuer aucun pistage
(ce
qui constituait la phase de pratique). Les deux
groupes étaient ensuite soumis à un test de
reconnaissance. Quel que soit leur groupe d'appartenance, les sujets
réalisaient ce test de reconnaissance dans la même
modalité que celle utilisée lors de la phase de pratique. Nous
nous attendions à ce que les sujets du groupe «
observateur » obtiennent de meilleures performances que ceux
placés dans le groupe « acteur » car ces premiers devaient
uniquement observer le déplacement de cible sans effectuer aucun pistage
moteur et donc ne devaient pas être « gênés »
par une focalisation sur des micro mouvement d'ajustement. Toutefois,
les
résultats obtenus dans cette expérience ne vont pas
dans ce sens. En effet, aucun apprentissage
en observation n'est obtenu.
Une seconde supposition consiste au contraire à penser
que, dans une tâche de poursuite continue, le sujet peut anticiper
mais que cela ne lui sert à rien pour améliorer ses
performances. Deux cas de figures sont à envisager lorsque l'on
émet une telle hypothèse.
Premièrement, il est possible de penser que les
ralentissements et les accélérations présents dans le
déplacement de la cible permettent au sujet de prédire les
changements de direction (par exemple : la cible part du centre de
l'écran, se déplace vers la droite puis ralentit à
l'approche du changement de direction, et accélère ensuite
d'autant plus que le prochain changement de direction est
éloigné). Il est possible que ce genre d'information rende
inutile l'utilisation de la régularité. Dans un
mémoire de DEA conduit sous ma co- direction (Buczaga, non
publié), nous avons mis en place une expérience dans
laquelle la vitesse de déplacement de la cible a été
modifiée, de manière à être constante, rendant ainsi
tout changement de direction impossible à anticiper
grâce aux accélérations et aux
décélérations de la cible. Les sujets réalisaient
cette expérience au moyen d'une souris. Celle-
ci était placée sur un dispositif de forme
arrondie permettant au sujet d'effectuer un mouvement en arc de cercle
d'environ 45° (comme c'était le cas dans l'expérience de
Pew,
1974). Pour cela, les participants positionnaient leur coude
sur un plateau tournant qui leur permettait de faire pivoter aisément
leur avant bras. L'utilisation d'un tel dispositif et d'une souris permettait
de se rapprocher du dispositif expérimental utilisé par
Wulf & Schmidt (1997). De plus, dans notre expérience, un cache
était positionné devant la main des sujets de manière
à masquer l'amplitude des mouvements effectués. Ils
effectuaient une phase de pratique suivie d'un test de reconnaissance. Les
résultats obtenus ne laissent pas apparaître d'apprentissage.
Finalement, il est donc peu probable que les informations fournies
par les accélérations et/ou les ralentissements de la cible,
dans les tâches de poursuite continue telles que nous les avons
réalisées jusqu'à présent, empêchent le
sujet d'utiliser la régularité, puisque lorsque celui-ci se
trouve dans une situation dans laquelle la vitesse est maintenue
constante entre deux changements de direction, il ne manifeste aucun
apprentissage de la régularité. Les résultats issus du
test de reconnaissance indiquaient que les sujets n'étaient pas capables
de reconnaître les segments déjà vus.
Deuxièmement, nous constatons que, dans les
situations continues, le sujet peut être
parfaitement informé de la présence de la
répétition sans pour autant être capable
d'améliorer
ses performances au point d'aboutir à un apprentissage.
Par contre, nous observons qu'il est parfaitement capable de
reconnaître les séquences qu'il a déjà vues
parmi des séquences aléatoires. Les résultats obtenus
dans l'expérience 10 l'attestent. Ceci nous amène donc
à penser qu'un apprentissage latent peut se produire dans les
tâches continues. En effet, dans
ces situations, l'apprentissage semble non perceptible
immédiatement dans la performance. Les sujets semblent avoir appris,
mais, l'indice utilisé (le temps sur cible) n'est pas
révélateur. C'est le test de reconnaissance qui va permettre de
révéler un apprentissage qui n'était pas apparu
auparavant. Ceci nous amène à reprendre la distinction classique
entre performance et apprentissage. La performance motrice représente le
comportement observable du sujet durant l'exécution d'une
tâche. Elle est évaluée à l'aide de
critères bien précis (par exemple, le nombre de paniers
réussi au lancer franc en basket, ou bien le nombre de fois
où un sujet clique correctement sur une cible).
L'apprentissage fait pour sa part référence à
un changement permanent de la performance (ou de l'aptitude
à effectuer certaines tâches ou certains mouvements)
résultant de la pratique. Si l'on tient compte de cette
distinction, la performance observée durant une pratique n'est
pas nécessairement un bon indicateur de l'apprentissage
réalisé par un sujet.
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