Quatrième partie : Discussion
générale
Dans le cadre du présent travail de
recherche, nous nous sommes intéressés à
l'apprentissage implicite de régularités dans des tâches
motrices continues et discrètes. Nous avons tout d'abord
effectué une réanalyse des travaux portant sur les
quelques études existantes dans le domaine de l'apprentissage moteur
implicite, et plus particulièrement, sur
les travaux réalisés par Shea & al (2001).
Ceci nous a conduit à mettre en évidence, d'une part, l'existence
de problèmes méthodologiques dans ces études, et d'autre
part, la présence d'un biais potentiel dans les expériences de
Wulf et collaborateurs, pouvant expliquer le fait que ces auteurs obtiennent un
apprentissage implicite dans leur tâche de poursuite de cible. Nous en
sommes arrivés à la conclusion selon laquelle, il
était bien difficile d'obtenir un apprentissage implicite dans une
tâche continue. Dans un second temps, nous avons cherché à
comprendre pourquoi il était plus facile de tirer
bénéfice d'une répétition dans une tâche
discrète que dans une tâche continue. Pour se faire, nous
avons modifié une tâche de TRS classique en introduisant
différentes modifications (nouveau périphérique,
contrainte de précision, déplacement autonome et continu de la
cible). Notre but était de rendre cette tâche
120 Discussion générale
discrète la plus similaire possible à une
tâche continue afin de voir si l'apprentissage implicite
continuait à se manifester avec de telles
modifications. Il s'agissait pour nous, d'arriver à isoler le
facteur responsable selon les cas de cet apprentissage ou de ce non
apprentissage.
Cette discussion générale est divisée en
deux sections principales, dans lesquelles nous reviendrons sur les principaux
résultats que nous avons obtenus et sur leurs implications.
1. Vers une remise en cause des travaux
antérieurs portant sur l'apprentissage moteur implicite
Nous avons d'abord réalisé trois
expériences (expérience 1, 2 et 3) en suivant la
conception des études de Wulf et collaborateurs, mais employant un
segment répété différent pour chaque sujet, afin de
faire en sorte que, sur l'échantillon entier, les
caractéristiques des segments répétés et
aléatoires conduisent à une difficulté de poursuite
identique. Dans ces conditions, les sujets ont échoué
à apprendre. Il peut y avoir plusieurs explications non
exclusives à cet échec. En effet, il existe de nombreuses
différences procédurales entre nos expériences et les
études antérieures. Par exemple, dans nos
expériences, les participants utilisent une souris pour poursuivre
la cible, tandis que le matériel employé dans les
expériences précédentes était un levier ou un
stabilomètre. La taille du déplacement de la cible est
également différente, ainsi que d'autres détails
paramétriques. Néanmoins, il y a une autre explication
potentielle à ce non apprentissage du segment
répété. Dans la plupart des expériences de
Wulf et collaborateurs, le même segment répété
est employé pour tous les participants. De plus, la vitesse de
déplacement et l'accélération de la cible dans ce segment
répété se sont avérées être
inférieures à celles utilisées dans les segments
aléatoires. Par conséquent, ces caractéristiques ont pu
rendre ce segment particulièrement facile à pister. A l'appui de
cette hypothèse, une grande différence entre les segments
répétés et aléatoires a été
observée dans l'expérience 4, lorsque nous avons utilisé
le segment répété standard impliqué dans la
plupart des études de Wulf et collaborateurs. Il est important
de noter que cette différence d'apprentissage entre segments
répétés et aléatoires a été obtenue
dans les mêmes conditions que celles mises en oeuvre dans nos
premières expériences et qui menaient jusque
là à des résultats nuls. Il ne s'agit
pas de prétendre que les différences procédurales
et paramétriques entre nos études et celles de Wulf et
collaborateurs sont sans conséquence.
1. Vers une remise en cause des travaux antérieurs portant
sur l'apprentissage moteur implicite 121
Mais il s'agit de montrer que nos échecs initiaux
pour répliquer les résultats des études
antérieures sont principalement dus au contrôle
effectué pour la sélection du segment
répété, comme l'attestent les résultats obtenus
dans l'expérience 4. Autrement dit, l'apprentissage implicite
obtenu dans les tâches de poursuite continue antérieurement
réalisées serait dû à un biais dans la
sélection du segment répété qui serait
particulièrement facile à pister, comme nous l'avons
expliqué dans la discussion de notre expérience 4, page 71.
Nous ne prétendons pas que l'apprentissage d'un
segment répété dans une tâche de poursuite
continue est impossible. Il ne s'agit pas non plus de dire que tous
les résultats rapportés par Wulf et collaborateurs sont peu
concluants du fait d'un biais méthodologique potentiel. En effet, une
exception possible se trouve dans l'étude de Wulf et Schmidt (1997,
expérience 2). Dans cette expérience, les segments
étaient générés par une fonction plus simple
que celle utilisée dans les autres expériences (les six
derniers termes de l'équation produisant les composantes de
hautes fréquences étaient supprimés). De plus, la
durée d'entraînement était particulièrement
élevée (quatre jours de pratique avec 120 essais par
jour). Les propriétés mathématiques de la
séquence répétée ainsi
générée sont loin d'être optimales. En effectuant
une analyse mathématique identique à celles
réalisées précédemment (voir la discussion des
expériences 1, 2 et 3, page 61), nous montrons que seulement 25.68% des
segments aléatoirement produits ont une vitesse moyenne égale ou
supérieure à la vitesse moyenne du segment
répété, et que seulement 37.82% des segments
aléatoirement produits
ont une accélération moyenne égale ou
supérieure à son accélération moyenne. Là
encore, il
est vraisemblablement plus facile de pister le segment
répété que les segments aléatoires. Cependant,
par opposition avec les autres expériences des mêmes
auteurs, la différence de précision dans la poursuite entre
segments répétés et aléatoires a significativement
augmenté durant les quatre jours d'entraînement. Ces
résultats laissent entendre que dans cette expérience,
il existe un véritable apprentissage de la séquence
répétée. Toutefois, la preuve de
cet apprentissage n'est pas complètement fondée
étant donné que ce segment répété semble
plus facile à pister.
Après avoir réalisé nos
différentes expériences et examiné les
résultats issus de la littérature sur l'apprentissage
moteur implicite, nous en arrivons à la conclusion selon
laquelle, l'apprentissage dans des tâches de poursuite continue est plus
difficile à obtenir que
ce que peuvent suggérer les études
réalisées par Wulf et collaborateurs (Chambaron, Ginhac,
Ferrel-Chapus & Perruchet, sous presse).
Partant de cette conclusion, il est
intéressant de voir quel est le rapport entre
l'amélioration des performances et la connaissance explicite de la
structure à apprendre. Shea
et al. (2001) indiquent que l'apprentissage dans des
tâches de poursuite continue se produit indépendamment de la
connaissance consciente des répétitions. Un tel
résultat est en désaccord avec la conclusion tirée des
tâches de TRS et des autres situations d'apprentissage implicite. Nous
(Perruchet, Chambaron & Ferrel-Chapus, 2003) avons
suggéré que cette différence d'apprentissage entre ces
différentes situations pouvait s'expliquer par la manière dont
était mesurée la connaissance consciente (i.e
explicite) dans les études de Wulf et collaborateurs. Cette
hypothèse n'est pas infirmée dans la contribution
expérimentale actuelle. Elle peut s'appliquer, par exemple, à
l'expérience 2 de Wulf & Schmidt (1997) dans laquelle
ces auteurs montrent que les sujets sont capables d'apprendre
inconsciemment les régularités présentes dans le
déplacement de la cible. Cependant, il s'avère que les
conclusions de Wulf et collaborateurs peuvent être remises en question
à un autre niveau. En effet, si les répétitions n'ont
aucune influence sur l'amélioration des performances motrices, alors le
fait de ne pas avoir de connaissance explicite au sujet de ces
répétitions devient un résultat insignifiant. Il
n'y a donc aucune raison de s'attendre à une
identification explicite du segment répété si les
meilleures performances obtenues sur ce segment sont principalement
dues au fait qu'il est plus facile à pister que les segments
aléatoires, et ce, dès le début. Par conséquent,
l'apparente dissociation entre performance et connaissance explicite,
révélée dans les études de Wulf et collaborateurs,
a la même origine que la plupart des autres dissociations mises en
évidence dans le domaine de l'apprentissage implicite durant les
trois dernières décennies. Cela provient en fait d'un
ensemble de problèmes méthodologiques dans les mesures de
la performance et/ou dans les mesures de la connaissance explicite. En
effet, les études sur l'apprentissage moteur implicite
entreprises par Wulf et ses collègues (Wulf & Schmidt,
1997 ; Shea et al., 2001) représentent une bonne
illustration des problèmes méthodologiques
qui auraient pu être évités si ces
auteurs s'étaient basés sur une littérature relative
à l'apprentissage implicite plus récente.
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