4.5 Expérience 4
Cette expérience a pour but d'explorer
l'hypothèse selon laquelle une partie des démonstrations
antérieures (Wulf & Schmidt, 1997 ; Shea & al, 2001) mettant en
évidence un apprentissage implicite dans les situations de poursuite
continue serait due à l'utilisation d'un segment
répété qui serait plus facile à pister que la
plupart des segments aléatoires.
Dans cette expérience, nous avons donc employé
le même segment répété standard que celui
utilisé dans la plupart de ces études, et ce pour tous
les sujets (contrairement à nos expériences dans lesquelles
le segment répété était propre à chaque
sujet). En dehors de cette modification, la procédure
générale demeure identique à celle utilisée dans
les expériences 1,
2 et 3.
4.5.1 Méthode
Sujets
Vingt deux étudiants de Psychologie (18 filles
et 4 garçons) ont été recrutés pour
participer à l'étude. Les participants n'avaient pas
d'expérience antérieure avec la tâche. Tous avaient une
vision normale ou parfaitement corrigée.
Matériel, Stimuli et Procédure
Le matériel et les stimuli sont identiques
à ceux employés dans l'expérience 1. La
procédure est également identique à celle de
l'expérience 1, avec une phase de pratique comprenant douze essais
de 36 s, séparés chacun par une pause de 10 secondes.
Cependant,
ici le segment répété est le même
pour tous les sujets. Les coefficients pour ce segment (i.e le segment
répété standard) sont ceux utilisés
dans la plupart des études de Wulf et collaborateurs. Il
s'agit de : b0=-1.52, a1 = -4.0, b1 = 3.0, a2 = -4.0, b2 = -3.6, a3 = 3.9, b3
=
4.5, a4=0.0, b4 = 1.0, a5 = -3.8, b5=-0.5, a6 = 1.0, b6 = 2.5 et
=35°. La Figure 4.9 représente
le déplacement de la cible sur le segment standard
répété en utilisant ces coefficients dans
l'équation sinus cosinus décrite au paragraphe 4.1.1. De plus, ce
segment répété est découpé
en trois fragments A, B et C comme nous l'avons
déjà fait dans nos expériences
précédentes.
Ces trois fragments sont utilisés lors du test de
reconnaissance.
Bord gauche
de l'écran
Centre de
l'écran
Bord droit
de l'écran
Fragment A
3.72
Fragment B
8.33
Fragment C
12
Temps (s)
Figure 4.9: Représentation du déplacement de la
cible sur l'écran calculé à partir du segment
répété standard utilisé par Wulf
et collaborateurs. Ce segment d'une durée de 12 secondes est
découpé en 3 fragments A, B et C.
4.5.2 Résultats
Phase de pratique
La Figure 4.10 illustre l'évolution de la RMSE et du
temps sur cible au fil des essais, permettant ainsi de comparer les
performances obtenues sur le segment répété par rapport
à celles obtenues sur les segments aléatoires. Trois points
principaux ressortent de cette figure.
Premièrement, les performances s'améliorent
(diminution de la RMSE et augmentation
du temps sur cible) au cours des trois premiers
essais puis restent stables durant les essais suivants.
Deuxièmement, les performances sur le segment
répété sont supérieures à celles
obtenues sur les segments aléatoires. Troisièmement, cet
écart de performances est présent dès le premier
essai. Ce dernier point est inattendu dans la mesure où, tous
les segments, qu'ils soient répétés ou aléatoires,
sont construits de manière identique et devraient donc être
de complexité similaire. De ce fait, il aurait
été logique d'obtenir des performances quasi
identiques lors du premier essai.
52
Répété
50 Aléatoire
48
46
RMSE (pixels)
44
42
40
38
36
34
32
e1 e2 e3 e4 e5 e6 e7 e8 e9 e10 e11 e12
Essais
54
52
50
Temps sur cible (%)
48
46
44
42
40 Répété
Aléatoire
38
e1 e2 e3 e4 e5 e6 e7 e8 e9 e10 e11 e12
Essais
Figure 4.10 : Evolution de la RMSE et du temps sur cible au
fil des essais pour les segments
répétés et aléatoires dans
l'expérience 4.
Une ANOVA est réalisée avec les essais (N=12) et le
type de segment (répété versus
aléatoire) comme facteurs intra sujets. Cette
analyse statistique vient conforter ces observations. Tout d'abord,
un effet significatif des essais ressort pour les deux variables
dépendantes (F(11,231)=3.59; p<.001 pour la RMSE et F(11,231)=4.54;
p<.001 pour le temps
sur cible) avec une augmentation des performances, ce qui
traduit une amélioration non spécifique des performances.
Plus important encore, la précision de la poursuite est
meilleure sur le segment répété que sur les segments
aléatoires dès le premier essai. La
différence est significative (F(1,21)=26.83, p<.001 pour la RMSE
et F(1,21)= 44.54; p<.001 pour le temps sur cible), et
la taille d'effet est grande (Eta carré partiel
égal à 0.56 pour la RMSE et égal à 0.68 pour le
temps sur cible). Cependant, cette différence n'augmente pas au
fil des essais comme l'indique l'interaction non significative entre les
essais et le type de segments (F(11,231)=0.59 ; p=.831 et F(11,231)= 1.44 ;
p=.152).
Pour expliquer cette différence de performances entre
les segments répétés et aléatoires constatée
dès le premier essai, il paraît judicieux de faire une analyse
plus détaillée permettant d'étudier les performances sur
chacun des trois fragments A, B et C composant le segment
répété, afin de les comparer avec celles obtenues sur les
segments aléatoires. Ainsi, le plan d'analyse utilisé est : S22
* E12 * T4 avec S représentant les sujets, E le nombre d'essais et T le
type de fragments avec quatre modalités (« fragment A »,
« fragment B », « fragment C » et
« segment aléatoire »). L'évolution de
la RMSE et du temps sur cible pour les fragments
répétés et pour le segment aléatoire est
représentée sur la Figure 4.11.
Dès le premier essai, une différence importante
apparaît entre le fragment C et les deux autres fragments ainsi qu'avec
le segment aléatoire, tant sur la RMSE (erreur inférieure de
15
à 20 pixels pour le fragment C) que sur le temps sur cible
(temps supérieur de 15 à 20 %). Par
la suite, les performances sur l'ensemble des fragments
augmentent mais la différence initiale demeure approximativement
constante jusqu'au dernier essai. Concernant les autres fragments,
il ressort que les performances les meilleures sont d'abord obtenues
sur le fragment A, puis sur le segment aléatoire et enfin que c'est le
fragment B qui donne lieu aux moins bonnes performances.
55
Fragment A
50 Fragment B
Fragment C
45 Aléatoire
RMSE (pixels)
40
35
30
25
20
15
e1 e2 e3 e4 e5 e6 e7 e8 e9 e10 e11 e12
Essais
70
Fragment A
65 Fragment B
Fragment C
60 Aléatoire
Temps sur cible (%)
55
50
45
40
35
30
e1 e2 e3 e4 e5 e6 e7 e8 e9 e10 e11 e12
Essais
Figure 4.11 : Evolution de la RMSE et du temps sur cible au
fil des essais pour les fragments A, B,
C et pour les segments aléatoires
Du point de vue statistique, nous retrouvons des résultats
similaires à ceux obtenus lors
de la précédente analyse, puisque le segment
répété est constitué de l'enchaînement
successif des trois fragments A, B et C. De fait, un effet simple des essais
est obtenu pour la RMSE (F(11,231)=3.7; p<.001) et pour le temps sur cible
(F(11,231)=4.11; p<.001) ainsi qu'un effet simple du type de fragment
(F(3,63)=56.72; p<.001 pour la RMSE et F(3,63)=137.69; p<.001 pour le
temps sur cible). De plus, aucun effet significatif de l'interaction
essais x type de fragment ne ressort ni sur la RMSE (F(33,693)=1.29;
p=.126) ni sur le temps sur cible (F(33,693)=1.20; p=.204).
De plus, des comparaisons planifiées ont
permis d'observer la différence de
performances entre les fragments répétés
et les segments aléatoires. Il ressort que les résultats obtenus
sur le fragment C sont significativement supérieurs à
ceux obtenus sur le segment aléatoire, aussi bien pour la RMSE
(F(1,21)=132.50; p<.001) que pour le temps sur cible (F(1,21)=225.93;
p<.001). Ces résultats indiquent que le fragment C semble
plus facile à pister. Une explication éventuelle réside
dans la construction même de ce fragment. En effet, celui-ci est
constitué uniquement de trois mouvements de faible amplitude.
Au vu de ces résultats, il est vraisemblable de penser que
l'écart de performances entre
le segment répété et les segments
aléatoires, mis en évidence dans la première analyse, soit
dû principalement à la plus grande facilité du fragment
C.
Test de reconnaissance
Le test de reconnaissance effectué est en tout point
identique à celui effectué dans nos expériences
précédentes. Une ANOVA S22 * T2 est réalisée dans
le but de comparer le degré
de reconnaissance entre les segments répétés
et aléatoires. Les notes attribuées aux segments
déjà vus sont largement supérieures (6.42)
à celles attribuées aux segments aléatoires (5.15)
comme l'illustre la Figure 4.12.
8.5
Degré de reconnaissance
8
7.5
7
6.5
6
5.5
5
4.5
4
3.5
3
Vus Non Vus
Type de segments
Figure 4.12 : Degré de reconnaissance des
différents types de segments. Les barres d'erreurs
représentent l'écart type de la
moyenne.
Ceci est confirmé par l'analyse statistique
effectuée. Celle-ci révèle une différence
significative entre les segments vus versus non vus:
F(1,21)=5.52; p<.028 montrant que cette fois, les sujets reconnaissent
mieux le segment répété standard que les autres
segments aléatoires.
Afin d'affiner ces résultats, une analyse statistique
supplémentaire est effectuée sur les fragments A, B et C
(déjà vus) et les segments aléatoires (non vus). Le plan
d'analyse est : S22
* T4 avec S représentant les sujets et T
le type de fragment avec quatre modalités (A, B, C et
aléatoire). La Figure 4.13 indique que les
fragments A et B sont les mieux reconnus. Les notes obtenues sur ces
deux fragments sont bien supérieures à ce que le hasard
permettrait d'attendre. Le segment aléatoire obtient une note proche du
hasard, à savoir 5. A l'opposé, le fragment C est le moins
bien identifié avec une note moyenne inférieure à
tous les autres fragments.
10
9
Degré de reconnaissance
8
7
6
5
4
3
2
1
0
A B C Non Vus
Type de fragments
Figure 4.13 : Degré de reconnaissance des
différents types de segments. Les barres d'erreurs
représentent l'écart type de la
moyenne.
Les différences observées entre tous ces
fragments se retrouvent du point de vue statistique (F(3,63)= 10.32;
p<.001). De plus, des comparaisons planifiées révèlent
un écart
Discussion sur l'expérience 4 71
significatif entre le fragment A et le segment
aléatoire (F(1,21)=16.50; p<.001) et entre le
fragment B et le segment aléatoire (F(1,21)=12.81;
p<.002). Par contre, aucun effet ne ressort entre le fragment C
comparé au segment aléatoire (F(1,21)=0.91; p=.350).
Au final, le test de reconnaissance révèle que
les fragments A et B sont « reconnus » puisque les notes
attribuées à ces fragments sont bien supérieures
aux notes du segment aléatoire. A l'opposé, la situation
inverse se produit pour le fragment C. Il s'agit d'un fragment de
faible difficulté donnant lieu à de très bonnes
performances lors de la phase de pratique, mais qui n'est pas reconnu lors du
test de reconnaissance.
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