Les droits des agriculteurs et le marché mondial des gènes( Télécharger le fichier original )par Monia BRAHAM epse YOUSSFI Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis II - DEA en Droit de l'Environnement 2006 |
ConclusionRêve tiers-mondiste, impérialisme biologique665(*) ou égocentrisme européen666(*), le concept des droits des agriculteurs traduit la confrontation entre ces trois logiques dont le recoupement révèle l'affrontement entre aspiration Etatique, stratégies des multinationales et politique d'intégration régionale ; Dans les relations économiques internationales, l'étude de ce concept s'impose comme on l'a démontré dans le double cadre de la globalisation économique et environnementale. En effet, c'est l'économie de l'immatériel qui semble aujourd'hui au coeur d'un débat focalisé non seulement sur les gènes en tant qu'informations virtuelles667(*) mais également sur les savoirs agricoles traditionnels considérés comme des savoirs exploitables668(*) , le premier rêve tiers-mondiste attaché à ce concept tel que formulé dans le système de la FAO est toujours d'actualité et ce en dépit de sa décomposition dans plusieurs instruments internationaux. Le rattrapage de l'écart technologique entre le Nord et Sud et les impératifs de développement agricole et de la sécurité alimentaire devraient être au centre des négociations portant sur le régime international de la répartition juste et équitable des avantages issus de la biodiversité. Cette vision de l'équité fondée également sur le principe de la souveraineté sur les ressources biologiques et qui implique une appropriation Etatique des RPG et des ST qui y sont associés est aujourd'hui contrecarrée par cette tendance incontournable vers la marchandisation généralisée du vivant végétal au profit du pouvoir transnational. L'appropriation privative de ces ressources économiques considérées comme un patrimoine commun de l'humanité moyennant les DPI est aujourd'hui entretenue par ces tendances vers l'insertion des ST dans le commerce international afin de sécuriser l'accès des multinationales au matériel végétal et d'imposer une seule vision favorable à l'impérialisme biologique : Celle de la gestion du marché des gènes par la demande. La protection juridique des ST agricoles des communautés agricoles qu'elles soient locales ou autochtones moyennent les DPI encadrant la propriété intellectuelle traditionnelle est une apparence de régulation au profit des communautés détentrices des RPG et des ST qui implique l'instauration d'une équité intra-Etatique pour le partage des retombées économiques de la valorisation d'un bien, perçu également comme un bien de l'humanité, entre l'Etat national et les communautés traditionnelles. Les impératifs d'une régulation intra-étatique semblent aujourd'hui l'emporter sur les revendications d'une nouvelle éthique économique qui responsabilise les acteurs les plus puissants au niveau du marché mondial des gènes à savoir les multinationales et sur les aspirations tiers-mondistes d'une régulation inter-étatique pour la gestion équitable des RPG, bien commun de l'humanité. La globalisation économique conformément à la théorie du libre échange favorise la liberté d'accès à ces ressources vitales pour l'humanité au détriment d'une égalité entre les pourvoyeurs et les demandeurs des gènes, le régionalisme politique contribue également à l'accentuation des disparités en terme de développement entre les pays nantis et les PED à travers la défense de la multi-fonctionnalité de l'agriculture669(*) qui implique le maintien de la vision du tiers monde comme réservoir des gènes et la préservation des systèmes de l'agriculture traditionnelle au détriment d'autres choix économiques qui favorisent la transition vers la modernisation de l'agriculture et l'adaptation de l'innovation biotechnologique au contexte spécifique des PED afin de résorber les effets de la fracture moléculaire. La conservation de l'agro-biodiversité dans les conditions in situ est conforme au rôle des agriculteurs en tant que gardiens de la biodiversité, la fonction de l'entretien du milieu rural s'insère dans cette vision de la multi-fonctionnalité de l'agriculture et des préoccupations environnementales qui risquent d'être au détriment des impératifs du développement agricole et de la sécurité alimentaire dans les PED. Selon certains auteurs, l'impérialisme biologique est indissociable de l'impérialisme écologique670(*), les objectifs de la protection de l'environnement largement consacrés dans le cadre de cette vision de la multi-fonctionnalité de l'agriculture ne devraient pas ralentir les efforts des PED pour leur essor technologique et économique, ni favoriser le pillage des ressources économiques du Sud au profit du pouvoir multinational. Dans le cadre de la globalisation environnementale, le concept des droits des agriculteurs est conforme à l'objectif de la conservation in situ des RG, ainsi il répond à l'objectif de la protection de la biodiversité au profit de l'humanité. Les agriculteurs sont au centre d'une certaine vision de la solidarité internationale pour la protection de l'environnement global. Contrairement au principe de la solidarité commune et différenciée, l'approche proposée actuellement de la solidarité internationale vise à responsabiliser les acteurs Etatiques sans tenir compte de leur stade de développement et sans leur imposer des engagements fermes pour la protection de l'agro-biodiversité . Par ailleurs, l'amélioration des conditions socio-économiques des agriculteurs et la promotion des économies rurales sont quelque peu éclipsées par les impératifs de conservation in situ de la biodiversité. La protection et la promotion des droits des agriculteurs est fonction des priorités nationales qui peuvent paradoxalement relever de préoccupations environnementales et économiques, les intérêts du commerce semblent l'emporter si on superpose les droits des agriculteurs au privilège du fermier, la reconnaissance d'un système sui generis pour la protection juridique des variétés traditionnelles ou de la semence de ferme, conforme à l'objectif de la conservation de l'agro-biodiversité n'est pas envisageable vue le traitement holistique de la question des ST dans le cadre de l'OMPI. La concrétisation des droits des agriculteurs dans le TIRPGAA est également indissociable du système multilatéral d'accès et de partage des avantages issus des RPGAA, le financement de la conservation à travers le marché constituent un appui international aux droits des agriculteurs, seulement la confusion entre conservation et répartition des avantages pose la problématique épineuse de la répartition des charges de la conservation au profit de l'humanité et de la question du surcoût pour la protection de l'environnement global. Les impératifs de la gestion des RPGAA appréhendées comme un bien économique mondial constitue le prolongement de la patrimonialisation de ces ressources et devraient prévaloir sur ceux de la conservation in situ de l'agro-biodiversité. Les limites des implications de l'application du principe de la répartition équitable des avantages issus de la biodiversité au profit des agriculteurs dans le cadre du système multilatéral additionnées aux incertitudes d'un régime international juste et équitable de la répartition des avantages issus de la biodiversité dans le cadre de la vision mercantiliste du vivant végétal, vision prédominante dans les débats sur la biodiversité et largement consacrée par le Droit international au profit du pouvoir transnational démontrent que les agriculteurs sont loin d'être considérés comme des acteurs du marché mondial des gènes, ni d'ailleurs les Etats ; La logique du bien public mondial dans le cadre de la vision de la FAO se construit également au détriment d'une appropriation Etatique des RPGAA, pourtant très conforme au principe de la souveraineté sur les ressources biologiques. La solidarité internationale pour la protection de ces ressources vitales de l'humanité se heurte à une volonté délibérée à assurer la survivance de la règle de la liberté d'accès aux RPG, cette liberté est encadrée juridiquement à l'encontre des revendications d'une égalité pour l'accès aux technologies et aux conditions indispensables pour le bien être social et économique des populations agricoles, égalité conforme aux principes équitables du droit de l'environnement. L'équité recherchée devrait être instaurée non seulement dans les rapports de l'homme avec la nature mais également dans les rapports entre les hommes ; Dans la cadre de la mondialisation, la solidarité environnementale est indissociable d'une solidarité économique, elle devrait être construite dans le cadre d'une nouvelle vision éthique, celle du commerce équitable et non sur le mercantilisme dont les dérives ne font que penser catastrophes écologiques et disparités accentuées en terme de développement. Table de matièresPremière partie : La reconnaissance internationale des « droits des agriculteurs » face à l'émergence du « marché mondial des gènes » Chapitre I : Emergence conflictuelle du concept des « droits des agriculteurs » dans le régime de la liberté d'accès aux RPG.......................................38 Section I : les RPG: Le statut du patrimoine commun de l'humanité............................39 § 1- La liberté d'accès aux ressources phyto-génétiques...........................................39 A- RPG régies par l'Engagement International de la FAO........................................40 * 665 L'impérialisme biologique est attribué selon les visions européennes au pouvoir des multinationales agro-biotechnologiques cristallisé autours de la question de la brevetabilité du vivant. On a pu démontrer que l'impérialisme biologique est historiquement dissocié de cette vision : Il peut être plutôt analysée par rapport à la survivance de la règle de la liberté d'accès aux ressources biologiques, règle de Droit classique considéré par la doctrine dans le clivage Nord/Sud comme un Droit de pillage des ressources naturelles. * 666 L'égocentrisme européen hérité du colonialisme peut être analysé aujourd'hui par rapport à l'idée de la multifonctionnalité de l'agriculture qui signifie selon la vision européenne la conservation de la biodiversité du Sud, réservoir de gènes pour maintenir l'équilibre sociétal en Europe :maintenir les populations sur l'espace rural moyennant un système de redistribution de subventions à la production et à l'exportation qui nécessite également la préservation des intérêts des marchés internationaux des denrées alimentaires. Ainsi, conservation signifie ralentissement du processus de développement agricole dans les pays du Sud et disparité en terme de développement économique entre le Nord et le Sud. * 667 Aubertin (Catherine), Boivert (Valérie), Vivien (Frank-Dominique), « la construction sociale de la question de la biodiversité », article précité, P 11. * 668 Friedberg (Claudine), « Les droits de propriété intellectuelle et la biodiversité : Le point de vue d'une anthropologue, article précité, P 47. * 669 Van Der Steen (Daniel), « les enjeux des politiques agricoles et les dynamiques internationales », article précité, P 357. * 670 « L'écologie peut certes être manipulée pour servir les intérêts des pouvoirs en place, mais c'est bien la logique dominante avec les rapports de domination et des inégalités structurelles qui l'accompagne continue à être la menace principale qui pèse sur l'indépendance des peuples et la préservation de la nature », Fritz (Jean Claude), « le développement comme système de domination de la nature et des hommes » in Le patrimoine commun de l'humanité, Droits des peuples, culture et nature, Université de Bourgogne, Faculté de Droit et de sciences politiques de Dijon, 6-7 Avril 1995, P 24. |
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