2.2- L'approche NATREX (Natural Real Exchange Rate)
Si l'approche FEER reste assez répandue
au sein des organisations
internationales et des instituts de recherche appliquée,
le NATREX de Stein, ainsi que
d'autres modèles assez proches tels que le BEER
(Behavioral Equilibrium Exchange
Rate) de Clark et MacDonald (1998), se sont
récemment imposés dans la littérature
académique. Ceci tient à la fois à des raisons
d'ordre théorique et empirique. Les
principales caractéristiques du modèle NATREX sont
détaillées dans l'encadré 1.
Encadré 1 : Equations du modèle NATREX
dans le cas d'un petit pays
Soit une petite économie ouverte. Elle ne peut
influencer le taux d'intérêt mondial, de
sorte que celui-ci est exogène. Le modèle NATREX
s'écrit alors, de façon synthétique :
r = r* : à moyen terme, le taux d'intérêt
réel est égal au taux d'intérêt réel
mondial
Y = y - rF : le PNB est la somme du PIB et des revenus de
facteurs (positifs si F < 0 par convention)
y = C + I + B : le PIB est la somme de la consommation, de
l'investissement et de la balance commerciale
C = cY - c'F : la consommation dépend positivement du
revenu (PNB) et négativement
de la dette extérieure
dk / dt = I (r, k, ä) / L : l'investissement par
tête dépend négativement du taux d'intérêt
réel et de l'intensité capitalistique, et positivement du
progrès technique
-dF / dt=BC (Q)=B- r*F=S-I : la variation de la position
extérieure nette est égale au solde de la balance courante
(somme de la balance commerciale et de la balance des revenus de
facteurs), lui-même comptablement égal à l'écart
entre épargne
et investissement.
Les variables exogènes sont r* : le taux
d'intérêt réel mondial, c : la propension marginale
à consommer (appelée «préférence pour le
présent»), ä: le progrès technique,
L : la population. Les variables endogènes sont Q:
le TCR, r : le taux d'intérêt réel national, y : le
PIB, Y : le PNB, C : la consommation (privée et publique), S :
l'épargne,
I : l'investissement, k : le capital par tête, F
: la dette extérieure nette (ou les actifs extérieurs nets
si F < 0), B : le solde commercial, BC : le solde courant.
La solution du modèle est le NATREX de moyen
terme Q [MT]. La solution de long terme est le NATREX de long terme Q
[LT], défini par Q [LT] = {Q [MT], dk / dt = 0,
dF / dt = 0}.
Les flux de capitaux ne sont pas
fixés de manière exogène. Ils résultent
directement des comportements d'épargne et
d'investissement, qui dépendent eux- mêmes de
déterminants explicites. En ce sens, par rapport à
l'approche FEER, le NATREX fait davantage le lien entre
l'évolution du TCR et les comportements microéconomiques
des agents. Outre le taux d'intérêt mondial, exogène
dans le cas d'un petit pays17, il existe principalement
deux fondamentaux 18 qui influencent les flux de capitaux et,
in fine, le taux de change d'équilibre. Le premier est le taux de
consommation ou "préférence pour le présent", qui
désigne la propension des ménages
et du gouvernement à consommer le revenu national. Par
exemple, lorsqu'une hausse des dépenses publiques n'est pas
compensée par une réduction de celles des ménages,
le taux de consommation s'accroît : ceci entraîne
une diminution de l'épargne soit, à investissement
inchangé, une augmentation des flux de capitaux entrants. Le
deuxième facteur fondamental est le progrès technique, dont
l'accroissement élève le niveau d'investissement : ici
encore, à épargne inchangée, il s'en suit une
amélioration du solde de la balance des capitaux.
Le modèle théorique se
fonde sur un lien de causalité comparable à celui
existant dans le FEER: les déterminants «structurels» de
l'épargne et de l'investissement engendrent un solde des flux de
capitaux de moyen terme ; ce dernier
détermine le solde de la balance courante
ex-post, qui est atteint par le biais d'un
ajustement du change réel. Au total, le TCR
d'équilibre est donc fonction des deux principaux
déterminants de l'épargne et de l'investissement, à
savoir la propension marginale à consommer ("préférence
pour le présent") et le progrès technique.
Les enseignements du modèle NATREX
peuvent différer selon l'horizon d'analyse retenu. Le NATREX est
un modèle dynamique. Du fait notamment des effets de
l'évolution de la position extérieure nette sur
l'épargne et sur le solde des
revenus de facteurs, le taux de change d'équilibre
évolue en effet au fil du temps. Sa
17 Mais endogène dans le cas de
vastes zones telles que les Etats-Unis ou la zone euro, dont le
poids dans l'économie mondiale est suffisant pour que leurs
comportements d'épargne et d'investissement influencent le taux
d'intérêt mondial.
18 Un troisième, les termes de
l'échange, est également susceptible d'être
intégré dans le modèle.
dynamique ne prend fin que lorsque la position extérieure
nette se stabilise, c'est-à-
dire lorsque le solde courant est nul : on atteint alors
l'équilibre de long terme, stable, déterminé par les deux
fondamentaux que sont le taux de consommation et le progrès technique.
Par conséquent, les enseignements du modèle peuvent
différer selon qu'on
se place à un horizon de moyen ou de long terme.
Il est possible d'illustrer cette distinction en examinant par exemple
l'impact d'une hausse du taux de consommation
sur le change d'équilibre. A investissement
inchangé, la baisse induite de l'épargne nationale fait monter le
taux d'intérêt réel national.
Ceci attire les capitaux et fait monter le
TCR, jusqu'à ce que le taux d'intérêt réel soit
à nouveau égal au taux d'intérêt réel
mondial. La hausse du TCR dégrade la balance courante, qui contrebalance
ex-post le nouveau solde des flux de capitaux. A
moyen terme, les effets d'une hausse du taux de consommation sont
donc les suivants :
entrées
de capitaux, appréciation du TCR, dégradation
du solde courant. Le TCR
d'équilibre précédent n'est toutefois pas
soutenable à long terme, car il entraînerait un accroissement
perpétuel de la dette extérieure. C'est pourquoi le modèle
impose que celle-ci se stabilise à long terme. Le
mécanisme par lequel cette stabilisation va intervenir repose sur
un "effet de richesse" (ici négatif) : à mesure que la
dette extérieure s'accroît, la richesse nette des ménages
et du gouvernement décline, ce qui
les incite à réduire leur consommation. A mesure
que l'épargne augmente, les capitaux sortent, ce qui
déprécie le TCR et redresse progressivement le solde
courant. Ce processus se poursuit jusqu'à ce que les flux de capitaux
et le solde courant deviennent nuls. La dépréciation du TCR va
plus que compenser son appréciation initiale, pour la raison suivante
: avec une dette extérieure plus forte qu'initialement, les
paiements d'intérêts sont supérieurs à ce qu'ils
étaient au départ, de sorte qu'un solde courant nul
ne peut être obtenu que moyennant un redressement du
solde commercial et donc une baisse du TCR. A long terme, les effets d'une
hausse de la préférence pour le présent sont donc les
suivants : hausse de la dette extérieure nette,
dépréciation du TCR. L'impact du progrès technique sur
le change d'équilibre de long terme apparaît a priori plus
favorable. La différence majeure avec une hausse du taux de consommation
tient
à ce que les entrées de capitaux financent non plus
la consommation, mais la formation
de capital. Cette accumulation va générer un
surcroît de production, et donc d'épargne.
Il est donc possible que le pays passe progressivement d'un
statut d'importateur à un statut d'exportateur net de capitaux, accumule
alors des excédents extérieurs, ce qui apprécierait le TCR
à long terme (cas du Japon dans les années 1970-1980). Cet
effet
est toutefois ambigu, dans la mesure où le
surcroît d'activité engendré par les gains de
productivité entraîne une hausse des importations, laquelle
tend à dégrader le solde courant. Les estimations
économétriques concluent toutefois presque
systématiquement à un impact positif du progrès technique
sur le change réel à long terme.
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