2.1.4- Endogénéisation de l'équilibre
interne
Nous avons précédemment
présenté l'approche macroéconomique de base dans
laquelle l'équilibre interne était supposé
exogène. Nous nous proposons à présent de
lever cette hypothèse.
L'endogénéisation de
l'équilibre interne est relativement complexe et repose sur
l'écriture d'une boucle prix salaires en niveau dont l'une
des caractéristiques est de faire
dépendre le chômage d'équilibre du niveau
des variables susceptibles d'engendrer des tensions inflationnistes (coin
fiscal15, taux de remplacement, ...). L'équation de prix se
résume alors à l'application d'un taux de marge sur les
coûts salariaux unitaires. Quant
à l'équation de salaire, elle est telle que les
entreprises fixent le niveau de l'emploi une fois déterminé le
montant du salaire (modèle de "droit à gérer"). Dans ce
cadre, l'un des déterminants fondamentaux du taux de chômage
d'équilibre est constitué des termes de l'échange
intérieurs. On peut alors montrer (voir Borowski et al.
[1998]) Qu'il existe une relation inverse entre le taux de change effectif
réel et la production potentielle qui transite par le marché du
travail. En effet, si le change réel se déprécie,
il s'ensuit naturellement une hausse des prix domestiques
que doivent se partager firmes et salariés. Si les salariés
refusent de supporter cette
Augmentation - qui induit naturellement une baisse de leur
pouvoir d'achat - les firmes sont alors contraintes de réduire le volume
de l'emploi en raison de la hausse du coût réel du travail. Il en
résulte une hausse du taux de chômage d'équilibre et une
baisse du
niveau de la production potentielle.
15 On rappelle que le coin fiscal est défini
par l'écart entre le coût réel du travail payé par
l'employeur et le pouvoir d'achat d'un salarié.
Certains auteurs, tels que Barrell [1993]
mettent cependant en avant un certain
nombre d'arguments allant à l'encontre de
l'endogénéisation de l'équilibre interne. Il souligne
en particulier que si l'offre de travail est inélastique
à long terme, le coin fiscal ne conserve aucun impact durable sur le
niveau du chômage. Ainsi, l'impact du taux de change effectif sur le
chômage d'équilibre mis en évidence empiriquement ne serait
en réalité qu'une importante rigidité nominale des
salaires. Comme le soulignent Borowski et al. [1998], la
discussion relative à la nécessité
d'endogénéiser ou non l'équilibre interne reflète
l'ambiguïté attachée au taux de change d'équilibre
fondamental au sens où il s'agit d'un concept de "moyen terme".
Joly et al. [1998] ont
cependant proposé une extension de l'approche
macroéconomique 16 en prenant en compte les effets
du taux de change réel sur l'équilibre interne, et en
particulier sur le taux de chômage : les auteurs suggèrent ainsi
d'endogénéiser le bloc d'offre habituellement supposé
rigide à court terme. Il est alors possible de définir un
équilibre macroéconomique déterminant simultanément
le taux
de change réel et l'offre potentielle. La
définition du taux de change réel d'équilibre ne change
pas : il s'agit toujours de la valeur du change réel assurant
la réalisation simultanée des équilibres interne et
externe. L'équilibre externe n'est pas modifié par rapport
à la définition précédemment donnée.
Cependant, l'équilibre interne n'est plus indépendant du change
réel et la confrontation des deux courbes permet alors de
déterminer non seulement le change réel d'équilibre mais
également le niveau potentiel
du PIB. La courbe de l'équilibre interne est
décroissante dans la mesure où une
dépréciation du change réel augmente le chômage
d'équilibre et a impact négatif sur l'offre potentielle. Ainsi
que le rappellent Joly et al. [1998] ceci repose sur le fait que
les salaires nominaux s'indexent sur les prix à la
consommation et non pas sur les prix
à la production. Le mécanisme est alors le
suivant. Une dépréciation du change réel engendre une
augmentation des prix à la consommation relativement aux prix
à la production, entraînant par la même une augmentation du
coût nominal du travail par
rapport aux prix de production. Le coût réel
du travail est alors augmenté, ce qui
16 On pourra également se reporter
à Cadiou [1999] pour une brève revue de la
littérature sur l'endogénéisation du bloc d'offre du
modèle.
implique naturellement une baisse de la demande de travail de la
part des entreprises
et donc une hausse du chômage. Graphiquement, on a donc la
représentation suivante :
Taux de change réel
équilibre interne équilibre externe
R*
Y* PIB domestique
Figure 6. Détermination du taux de change
réel d'équilibre
(Cas où l'équilibre est
endogène)
Il est possible, à la suite de Joly
et al. [1998], de transposer cette représentation
dans le plan (taux de chômage, taux de change réel).
En effet, les effets de demande
intervenant dans la relation entre le taux de chômage et le
taux de change réel sont tels
qu'une dépréciation du change stimule les
exportations et engendre une baisse du chômage. Les effets d'offre
sont tels qu'une dépréciation du change réel
détériore les termes de l'échange et conduit les
entreprises à diminuer leur demande de travail
et donc à accroître le chômage. On a alors la
représentation graphique suivante :
Taux de change réel
demande offre
R*
u* Taux de chômage
Figure 7.taux de change réel
d'équilibre dans le plan
(Taux de chômage, taux de change
réel)
Après avoir mis en avant que l'essentiel
du chômage en France est un chômage
de type structurel (par opposition à conjoncturel), Joly
et al. [1998] soulignent que le
lien entre le taux de change réel et le chômage
doit être initialement appréhendé par le biais des effets
d'offre conditionnant le chômage structurel. Ainsi, sur le
marché du travail, une dépréciation du change réel
a pour effet d'augmenter le niveau de chômage d'équilibre, et non
pas de le faire diminuer eu égard au traditionnel effet
keynésien. Joly et al. [1998] notent cependant, en
faisant référence au coin salarial et à la
dégradation des termes de l'échange, que le problème du
chômage en France ne relève pas d'un éventuel
mésalignement du change réel, mais plutôt des
rigidités spécifiques
au marché du travail. En conséquence, la
solution au problème du chômage en France passe par des
politiques structurelles d'amélioration du fonctionnement du
marché du travail.
Globalement, le fait
d'endogénéiser l'équilibre interne ne modifie pas
les principaux résultats obtenus lorsque celui-ci était
exogène. Néanmoins, cette
endogénéisation permet de tenir compte de
l'ensemble des déterminants potentiels du chômage
d'équilibre. Comme le montrent Joly et al. [1996], toute
variable susceptible d'accroître le chômage d'équilibre
(coin fiscal, fiscalité indirecte, taux d'intérêt
réel, ...) peut engendrer une augmentation du taux de change
réel et par là même limiter la hausse du
chômage d'équilibre. Inversement, les déterminants du
chômage d'équilibre peuvent être enrichis par la prise en
compte de l'équilibre externe. Joly et al. [1996] prennent
ainsi l'exemple de l'impact d'un choc pétrolier sur un pays
importateur de pétrole. L'augmentation des prix du pétrole a
pour conséquence une dépréciation du change réel,
en supposant donnés la cible de compte courant et l'équilibre
interne. La courbe décrivant l'équilibre externe se
déplace alors vers le haut indiquant une
dépréciation du change réel et une augmentation du
chômage d'équilibre.
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