Section 3- Une brève revue de la
littérature empirique
Comme le rappellent Borowski et al.
[1998], les estimations du taux de change d'équilibre dépendent
bien évidemment des choix méthodologiques effectués. Il
existe
deux grandes catégories de méthodes d'estimation :
d'une part, les simulations réalisées
à partir d'un modèle macroéconomique
multinational complet (approche dynamique)
et, d'autre part, la construction d'une maquette
représentative du long terme d'un modèle donné; cette
seconde approche étant qualifiée de statique comparative. Cette
dernière méthode est la plus fréquemment utilisée
et consiste à comparer la situation historique à une situation
dite d'équilibre, sans se préoccuper de la transition
d'une situation à l'autre. Selon Borowski et al. [1998],
l'avantage de la méthode de statique comparative est qu'elle est simple
et transparente et qu'elle autorise ainsi un calcul de sensibilités
à des hypothèses alternatives.
Nous distinguerons ici les études
basées sur l'approche traditionnelle (approche macroéconomique
généralement appréhendée au travers de la
statique comparative) des études plus positives reposant sur une
démarche économétrique.
3.1- Les études basées sur l'approche
traditionnelle
Les évaluations empiriques de taux de
change réel d'équilibre ont
principalement été effectuées à
partir des travaux pionniers de Williamson [1983] :
citons notamment Barrell et Wren- Lewis [1989],
Barrell et In't Veld [1991],
Williamson [1991], Church [1992]. Rappelons que Williamson a
introduit la notion de taux de change d'équilibre fondamental
(Fundamental Equilibrium Exchange Rate, FEER) défini comme
le taux de change réel assurant à moyen terme la
réalisation simultanée de l'équilibre interne et
de l'équilibre externe. Un modèle macro
économétrique est alors utilisé pour assurer la
cohérence des différentes variables utilisées.
Néanmoins, ainsi que le rappelle Coudert [1999], un grand
nombre de travaux plus récents n'utilisent pas des modèles macro
économétriques complets, mais seulement des équations
de commerce extérieur. En inversant ces équations, une
relation peut être obtenue entre le taux de change réel, la
balance courante et l'output gap.
L'étude de Williamson [1991],
fondée sur l'utilisation de plusieurs modèles macro
économétriques multinationaux, a quant à elle pour
objet la comparaison de diverses estimations du taux de change
d'équilibre fondamental dans plusieurs pays
européens. En 1994, l'auteur utilise les simulations de
plusieurs modèles afin d'estimer
le taux de change réel d'équilibre des pays
industrialisés au début des années 90. Les
résultats qu'il obtient mettent en exergue d'importants écarts
significatifs entre change effectif et change d'équilibre pour les
Etats-Unis, le Japon et l'Allemagne.
Dans leur étude sur les taux de change
d'équilibre fondamentaux des dix grands pays industrialisés sur
la période 1984-1995, Borowski et al. [1998] retiennent
l'approche de statique comparative afin d'estimer ces taux de change
d'équilibre. Dans
ce cadre, les auteurs définissent l'équilibre
interne à la manière de Williamson [1985,
1991, 1994]. Ils supposent en effet que cet équilibre
interne est défini à partir d'une évaluation des rythmes
de croissance potentielle effectuée indépendamment de la
maquette retenue19. En conséquence, l'équilibre
interne est exogène au modèle dans la
19 La méthode de résolution
employée par les auteurs repose sur la construction d'une maquette de
long terme du commerce
extérieur issue du modèle NIGEM (National
Institute Global Econometric Model). La résolution de cette
maquette
est effectuée en log-linéarisant les
différentes équations du modèle à chaque
période au voisinage de l'état réalisé. Elle permet
alors d'obtenir, à chaque période, les écarts des taux de
change à leur valeur d'équilibre. Ceux-ci apparaissent ainsi
comme une combinaison linéaire des output gaps et des
écarts aux cibles de balance courante de l'ensemble des pays.
mesure où il est supposé que la croissance
potentielle et le taux de change réel sont
indépendants. Enfin, dans la détermination de
l'équilibre externe, les auteurs retiennent uniquement les interactions
entre les échanges de biens et services et le taux de change
réel. Les résultats obtenus par les auteurs montrent que
le franc a été proche de sa valeur d'équilibre
jusqu'en 1989 et se caractérise ensuite par un mouvement
d'appréciation réelle qui atteint un pic en 1991. A
partir de 1991, le franc retourne progressivement vers son niveau
d'équilibre qu'il atteint à la fin de l'année
1995. Concernant le mark, les résultats mettent en avant l'existence
d'une importante sous- évaluation de 1983 à 1993. A partir de
1993, le mark rejoint ensuite rapidement son niveau d'équilibre pour
l'atteindre en 1995. Ces résultats confirment ainsi ceux obtenus
par Barrell et In't Veld [1991]. Borowski et al.
[1998] cherchent également à évaluer le rôle
joué par les outputs gaps et les écarts aux
cibles de balance courante dans les surévaluations et les
sous-évaluations réelles des monnaies. Concernant la France, les
auteurs soulignent que de 1986 à 1988, l'output gap et
l'écart à la cible de balance courante contribuent tous
deux à la surévaluation du franc. A partir de 1989, ces deux
effets se compensent partiellement avant de se renforcer mutuellement de 1992
à 1995.
Du point de vue de l'Allemagne, les résultats montrent
que de 1984 à 1990, la sous évaluation du mark s'explique
principalement par l'écart à la cible de la balance
courante; l'excédent de la balance courante ayant pour effet
d'éloigner le taux de change réel du mark de son niveau
d'équilibre. A la fin de l'année 1990 la sous-
évaluation du mark résulte essentiellement du rôle
joué par l'output gap; l'écart à la balance
courante n'exerçant plus aucun effet en raison de l'importante
détérioration de son solde. Enfin, les facteurs expliquant le
retour vers l'équilibre du taux de change réel du mark
à partir de 1993 sont difficiles à identifier dans la mesure
où l'économie allemande ne semble jouer aucun rôle.
Borowski et al. [1998] se sont
également attachés à déterminer les taux de
change d'équilibre de dix pays industrialisés (sur la
période 1987.4 à 1997.2) dans le cadre des relations de long
terme du modèle multinational NIGEM dans deux scénarios :
un scénario à cibles de balances courantes nulles dans tous les
pays et un scénario à cibles de balances courantes
"réalistes". Leurs résultats mettent alors en
avant la grande sensibilité des conclusions au choix des
cibles de balances courantes.
Ainsi, dans le scénario de référence
d'équilibre de tous les comptes courants, le dollar apparaît
nettement surévalué en termes réels sur la période
1988-1997. En revanche, lorsque l'on retient un scénario de cibles
de balances courantes réalistes, le dollar apparaît sous
évalué à partir de 1996 malgré l'important
mouvement d'appréciation qu'il a subi. Borowski et al.
[1998] concluent alors qu'en diminuant l'ampleur de l'ajustement
à réaliser pour les Etats Unis, l'impact des conjonctures
étrangères et la résorption des
déséquilibres externes du reste du monde l'emportent sur
l'impact du déficit courant américain. Notons que les
auteurs mettent également en avant cette sensibilité des
résultats au choix des cibles de balance courante dans le cas
de la France. Ainsi, dans le cas de cibles nulles, le franc apparaît
surévalué jusqu'en 1994.
En retenant une cible plus réaliste (cible de compte
courant d'un point de PIB), cette surévaluation s'atténue
très sensiblement. Une telle conclusion semble confirmée par Joly
et al. [1999].
Joly et al. [1999] ont en effet
également cherché à estimer le taux de change réel
d'équilibre dans le cas de la France sur la période
1977-1997. En retenant initialement une cible de compte courant soutenable
consistant à laisser inchangée la dette externe du pays, les
auteurs montrent que le franc (en termes réels) n'est pas
surévalué par rapport à l'ensemble des
monnaies des partenaires. En supposant ensuite que la cible de compte courant
soutenable consiste à rembourser la dette externe en un nombre
donné d'années, les résultats de Joly et al.
[1999] font ressortir l'existence d'une certaine sous-évaluation
du change en fin de période. Globalement, il ressort de cette
étude que le franc n'est pas surévalué à la fin des
années quatre-vingt-dix et qu'il aurait plutôt tendance
à s'apprécier à moyen terme. Selon les auteurs, ce
résultat témoigne du fait que la France ne souffre pas de
problème de compétitivité dans ses échanges
extérieurs et que le niveau du change effectif réel n'a
pas constitué un obstacle à une croissance plus soutenue au
cours de la décennie quatre-vingt-dix.
Mentionnons également l'étude
de Borowski et Couharde [1999] visant à définir la
parité d'équilibre (en termes nominaux, et non pas réels)
de l'euro vis à vis du
dollar en retenant les spécifications de long terme des
équations du modèle NIGEM.
En supposant une cible de compte courant globalement
équilibrée pour l'ensemble des
pays considérés, les auteurs montrent que
c'est l'excédent courant de la zone euro, combiné au
déficit américain, qui se trouve à l'origine de la
sous-évaluation de l'euro
vis à vis du dollar au premier trimestre 1998. Cette
sous-évaluation est telle que, au premier trimestre 1998, le taux de
change d'équilibre de l'euro s'établit au niveau de
1,20$US. Les auteurs relativisent cependant ce résultat
pour deux raisons principales. D'une part, cette parité peut
être surestimée du fait des incertitudes pesant sur le
chiffrage de l'excédent commercial de la zone euro. D'autre
part, l'accentuation du déficit courant américain et celle du
surplus courant européen se font en grande partie
sur des zones non prises en compte dans l'étude,
ce qui peut à nouveau conduire à surestimer la sous
évaluation de l'euro.
On constate que les études
précédemment citées portent essentiellement sur les pays
industrialisés. A cet égard, les travaux de Coudert
[1999] portant sur les pays émergents apparaissent
intéressants et permettent de compléter ce bref
aperçu de la
littérature empirique. Coudert [1999]
cherche à évaluer les taux de change
réels
d'équilibre de 16 pays émergents d'Asie et
d'Amérique latine sur la période 1977-1997
par le
biais d'un modèle incorporant deux types d'effets :
d'une part, l'effet Balassa
et d'autre part, la soutenabilité de la dette
extérieure liée aux paiements des intérêts (la
soutenabilité de la dette extérieure est définie
par la stabilisation en pourcentage du PIB). L'auteur montre alors que les
périodes de surévaluation détectées sont souvent
suivies de crises de change. C'est ainsi notamment le cas au Mexique, avant les
deux crises de 1981 et 1994, au Brésil depuis 1995 et en Thaïlande
en 1996. Dans ce cadre,
on peut également mentionner les travaux de Mongardini
[1998]. Cette étude portant
sur la monnaie égyptienne met en avant le fait que le
taux de change égyptien était fortement surévalué
avant 1993 mais qu'aujourd'hui, cette surévaluation est nettement plus
faible; le taux de change se trouvant proche de son niveau
d'équilibre.
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