Section 3 : Quelle explication pour
l'ajustement du taux de change :
mémoire longue
Les résultats des tests usuels de
cointégration peuvent provenir du fait que le processus d'ajustement du
taux de change réel vers sa valeur fondamental exhibe un
phénomène de persistance. En d'autres termes, le processus
d'ajustement est un processus à mémoire longue. Nous nous
proposons ici d'étudier cette possibilité.
3.1. Mémoire longue et processus ARFIMA
3.1.1. Définition de la mémoire
longue
L'hypothèse d'indépendance des
séries temporelles est dans la plupart des cas uniquement une
approximation de la véritable structure de corrélation des
séries. D'importantes corrélations pour de faites retards
peuvent parfois être détectés et des processus à
mémoire courte, comme par exemple les processus ARMA, peuvent
suffire à modéliser la structure de dépendance des
séries.
Toutefois, il existe de nombreux exemples de
donnés où les corrélations prises seules sont faibles,
mais dont la somme est extrêmement élevée. Le
périodogramme de
ces séries indique un pic dans le spectre
à la fréquence zéro. A l'origine, trois explications
possibles d'un tel pic sur le périodogramme (ou de manière
équivalente des corrélations décroissants lentement)
existent : la non stationnarité, les phénomènes
transitoires et la stationnarité avec une dépendance à
long terme.
La première explication a
été avancé par nombre d'auteurs et en premier lieu
par Klemes (1974), Potter (1976,1979) et Bhattacharya, Gupta
et Waymire (1983). Les phénomènes transitoires ont souvent
été évoqués pour expliquer l'effet Hurst. Les
processus stationnaires avec dépendance à long terme ont
été analysés en premier par Kolmogorov (1940) dans un
travail théorique.
Selon Hosking (1984), la mémoire
longue peut être définie de différentes
manières. En effet, le phénomène de la mémoire
longue est caractérisé par :
· Une fonction de corrélation décroissant
hyperboliquement au fur et à mesure
que le retard s'accroît, c'est-à-dire ñk
~ k-x, alors que celle des processus à mémoire
courte décroît exponentiellement (ñk ~ åk,
0 < å < 1) ,
· Une densité spectrale s'accroissent sans
limite quand la fréquence tends vers zéro, ou
· L'étendue normalisée, se comportant comme la
fonction TH, H > ½ et T étant la
taille de l'échantillon, plutôt que comme la
fonction T1/2, caractéristique des processus à
mémoire courte.
Cette dernière caractéristique de la mémoire
longue est appelée « phénomène
de Hurst ».
Mandelbrot et Wallis (1968, 1969a, b, c),
Mandelbrot et Van Ness (1968),
Mandelbrot et Taqqu (1979) ont été les
premiers à introduire de tels processus en statistique.
Les processus stationnaires les plus simples
avec une dépendance de long terme sont les incréments des
processus appelés processus « auto-similaires26
» avec pour paramètre d'autosimilarité H [1, 1/2].
Leur structure de corrélation est complètement
déterminée par H. Les processus auto-similaires gaussiens sont
appelés « mouvements browniens fractionnaires » et leur
dérivée « bruit gaussien fractionnaire27
».
Le mouvement brownien est un processus
stochastique en temps continu B (t) avec des incréments gaussiens. Sa
dérivée est le bruit gaussien en temps continu qui a une
densité spectrale constante. Mandelbrot et Van Ness (1968) ont
montré que la mémoire longue est compatible avec la
stationnarité en construisant le mouvement brownien fractionnaire,
BH (t), un processus stochastique stationnaire en temps continu avec une
fonction de corrélation décroissant hyperboliquement,
correspondant à une généralisation du mouvement
brownien. Les propriétés de base du mouvement brownien
fractionnaire sont :
· Le mouvement brownien fractionnaire de paramètre H,
habituellement 0<H<1,
est le dérivée fractionnaire (1/2 - H) ième
du mouvement brownien, la dérivée étant définie au
sens de Weyl ou de Riemenn-Liouville ;
· La densité spectrale du mouvement brownien
fractionnaire est proportionnelle à
w -2H - 1 ; où w correspond à la
fréquence ;
· La fonction de covariance du mouvement brownien
fractionnaire est proportionnelle à k 2H-2
où k est le retard.
Le processus bruit fractionnaire en temps
continu est ainsi défini comme B'H
(t), la dérivée du mouvement brownien
fractionnaire. Il peut également être vu comme
la dérivée fractionnaire (1/2 - H) ième du
bruit blanc en temps continu, auquel il se réduit pour H = 1/2.
26 La loi liée aux autocorrélations
fortes est largement reliée au concept de processus autosimilaire,
introduit par
Kolmogorov (1940).
27 Le mouvement brownien fractionnaire (Sowell, 1990)
est un processus stochastique continu gaussien
1+ 2 d
stationnaire, de moyenne nulle, de fonction de covariance E
Wd
(t ) - Wd
(s ) 2 =
t - s défini pour d
(-1/2 ; 1/2). Quand d = 0 , il se réduit au mouvement
brownien ordinaire.
On recherche un analogue en temps discret du
processus bruit fractionnaire en
temps continu. Hosking (1981) indique qu'une
possibilité est le bruit fractionnaire en temps discret proposé
par Mandelbrot et Wallis (1969), lequel est défini comme un
processus dont la fonction d'autocorrélation est la même
que celle du processus à incréments unitaires ?BH (t) = BH
(t) - BH (t-1) du mouvement brownien fractionnaire. Mandelbrot et Wallis
(1969) ont montré que ce bruit gaussien fractionnaire exhibe
effectivement le « phénomène de Hurst ».
Les méthodes d'identification de la
mémoire longue dans une série temporelle sont diverses. La
procédure la plus ancienne fait référence au calcul de
l'exposant de Hurst (1951) lors de son étude sur les flux du
Nil. Elle a été par la suite largement
développée par Mandelbrot, puis améliorée par Lo
(1991) . Les propriétés théoriques
de cette statistique ont été
étudiées par Mandelbrot et Wallis (1968, 1969)
et Mandelbrot (1972).
Un second type d'outils permettant de
détecter la présence d'une mémoire longue dans une
série temporelle est constitué des tests de rapport de
variances développés par Cochrane (1988) et Lo et Mac Kinlay
(1988, 1989). Le test du rapport des variances exploite le fait que la variance
des incréments d'une série suivant une marche aléatoire
est linéaire dans l'intervalle échantillonnal,
c'est-à-dire que la variance des différences qièmes
de la série est égale à q fois la variance des
différences premières de la série. Cependant, la
difficulté de l'utilisation de ces tests réside dans le
le choix nécessaire a priori d'un paramètre de
troncature du nombre de retards de la fonction d'autocorrélation. Afin
de contourner ce problème, on peut utiliser un test basé
sur les autocorrélations spatiales : le test BDS
élaboré par Brock, Dechert
et Scheinkmen (1987). Ce test ne vise cependant pas initialement
à une mesure de la mémoire des séries, mais teste
l'hypothèse nulle de série indépendamment
et identiquement distribuée (absence de mémoire)
contre une alternative non spécifiée (présence d'une
mémoire). Il présente néanmoins l'intérêt
de déceler tout type de dépendance, entre les séries
linéaire ou non linéaire, à la différence des tests
classiques
de marche aléatoire. En ce sens il semble
suppléer aux insuffisances des tests précédents. Ces
différentes procédures d'estimation ont été
appliquées par Lardic
et Mignon (1995) sur diverses séries de taux de change et
d'indices boursiers. Nous
nous intéressons ici à une approche alternative
d'identification et de modélisation de la
mémoire longue, à savoir les modèles
ARFIMA (Autorégressif, fractionnairement intégré,
moyenne mobile).
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