Les pouvoirs du maire au Bénin: réflexion à l'aune de la récente réforme sur la décentralisationpar Ulrich Yeme Kevin ADANVOESSI Université d'Abomey-Calavi / Ecole doctorale des sciences juridiques politiques et administratives - Master recherche en droit 2023 |
B : L'apport des juridictions administratives à l'autonomie locale la libre administration des collectivitésTout comme pour les juridictions constitutionnelles, il est utile de s'intéresser à la pratique ailleurs (2) après qu'on ait fait l'état des lieux au Bénin (1). 1 : Au BéninSans surprise, le juge administratif s'est plus contenté de contrôler la légalité de certains actes qui avaient rapport à la mise en oeuvre des principes de la décentralisation. En 2003, la Chambre administrative de la Cour Suprême a été sollicitée pour constater le caractère manifestement illégal de la circulaire n° 0163/MISD/DC/SG/DGAT du 17 janvier 2003 prise par le ministère de la décentralisation afin de renforcer le pouvoir d'installation des conseils élus de la collectivité qu'a l'autorité de tutelle77(*). La circulaire étendait les attributions du représentant de l'Etat en matière d'installation des conseils élus. Il devait désormais être présent à l'installation du maire et apposer sa signature sur le procès-verbal en qualité de superviseur. Les contestations évoquaient dans l'ensemble la partialité du préfet et visaient l'annulation de l'élection d'exécutifs communaux au motif que la présence de l'autorité de tutelle compromettait les conditions d'un vote libre et secret des maires. Dans son arrêt 002/CA/ECM du 5 février 2004, la Cour suprême a débouté les requérants au motif que « ... l'irrégularité ainsi commise par le Préfet de l'Atlantique et du Littoral et fondée sur la signature incriminée, ne présente pas de caractère substantiel, dès lors que ladite signature ou même la présence dudit Préfet dans la salle de l'élection du maire, n'ont en rien empêché les organes légaux chargés de sa supervision, d'exercer leurs droits, comme l'atteste le même procès-verbal de constat d'élection »78(*). 2 : En FranceEn France, pays ayant une vieille tradition de la décentralisation, il existe une abondante jurisprudence administrative relative aux compétences des élus locaux et au fonctionnement des collectivités. Par exemple, l'exception d'inconstitutionnalité est invoquée à travers la procédure de la Question Prioritaire de Constitutionnalité chaque fois que la libre administration semble être restreinte par la branche exécutive de l'Etat français79(*). D'ailleurs le Conseil d'Etat a plusieurs fois rappelé que la libre administration est une liberté fondamentale80(*). Une liberté à laquelle le législateur a entendu donner une protection juridictionnelle particulière81(*). Ensuite, pour le Conseil d'Etat, seul le législateur a compétence pour intervenir chaque fois qu'il faut toucher aux principes fondamentaux de la libre administration82(*). Mais les exemples de l'immission du pouvoir exécutif, détenteur des « rênes du pouvoir politique » dans l'administration des collectivités prouvent que le principe de libre administration n'empêche pas l'Etat de dissoudre des conseils municipaux83(*). En ce qui concerne également l'autonomie financière des collectivités territoriales, le Conseil d'Etat a eu à prendre des décisions fortes84(*). Ce que nous pouvons retenir en résumé, c'est que les fondements juridiques de la décentralisation au Bénin incluent les bases constitutionnelles. Les bases constitutionnelles de la décentralisation consacrent l'autonomie locale à travers le principe de la libre administration. Ce principe dispose de garantie juridictionnelle et fait partie des droits et libertés susceptibles d'être invoqués par les justiciables devant toutes les juridictions85(*). Mais sa modulation est laissée au soin du législateur béninois qui selon l'article 98 de la Constitution détermine les principes fondamentaux de la libre administration. C'est ce que le législateur a fait en votant certaines lois sur la décentralisation au début des années 2000. * 77 Voir en ce sens l'arrêt n° 349/CA/ECM du 31 juillet 2003, Cour Suprême (Bénin), Contentieux des élections locales et l'arrêt n° 002/CA/ECM du 05 février 2004, Cour Suprême (Bénin) * 78 Arrêt 002/CA/ECM du 05 février 2004, Cour Suprême, Bénin * 79 Voir par exemple l'arrêt Parc d'activité de Blotzheim et autres, CE N°340213 du 26 novembre 2010 et Cons. Const. Dec N°2010-95 du 28 janvier 2011 QPC. Voir aussi la décision CE N° 346204 du 20 avril 2011, Départements de la Seine-Saint-Denis et de l'Hérault et Cons. const., déc. 30 juin 2011 N° 2011-143 QPC, Départements de la-Seine-Saint-Denis et de l'Hérault. * 80 Voir en ce sens les arrêts du Conseil d'Etat CE, 24 janvier 2002 N°242128 portant Commune de Beaulieu-sur-Mer contre ministre de l'Intérieur et CE, 1er mars 2006 N°290417 portant Ministre délégué aux collectivités territoriales * 81 Voir en ce sens le considérant 3 de l'arrêt Commune de Venelles contre Morbelli CE, 18 janvier 2001 N°229247, cité par LONG Marceau et coll., Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 18e Edition, Paris, Dalloz, 2011, p.777 ; voir aussi la requête N°3653 au niveau du tribunal des conflits en date du 19 novembre 2007 : Maire de Limeil-Brévannes contre préfet de Val-de-Marne. * 82 Voir arrêt Ordre des architectes de 1981, CE, ass., 29 avril 1981, * 83 Voir les arrêts N° 339145 du 23 mars 2011 (Becavin et autres), N° 93824 du 19 janvier 1990 (Bodin) et N°295296 du 4 juin 2007 (René Caltabellota) * 84 BORNER-KAYDEL Emmanuelle, « Le principe de libre administration des collectivités territoriales dans la jurisprudence du Conseil d'État », Les Annales de droit, p25-32 * 85 FAVOREU Louis et coll. (Dir.), Droit des libertés fondamentales, 7e édition, Paris, Dalloz, 2016, p.227 |
|