Les pouvoirs du maire au Bénin: réflexion à l'aune de la récente réforme sur la décentralisationpar Ulrich Yeme Kevin ADANVOESSI Université d'Abomey-Calavi / Ecole doctorale des sciences juridiques politiques et administratives - Master recherche en droit 2023 |
B : Une quête de bonne gouvernance localeNe se limitant pas uniquement à la performance de l'action publique locale, la réforme institutionnelle est manifestement en quête d'une bonne gouvernance locale. La bonne gouvernance locale a fait l'objet de nombreuses études à travers le monde francophone. Mais globalement, elle fait appel à la lutte contre l'impunité. Selon l'OCDE, elle est une idée complexe qui est ancrée dans « l'élaboration de politiques axées sur les citoyens et sur la redevabilité par des institutions démocratiques efficaces. [La bonne gouvernance intègre donc] les principes de la redevabilité, de la transparence, de l'efficience et de l'efficacité, de la réactivité, de la participation citoyenne, de l'État de droit et de l'égalité »126(*). L'état des lieux de la gouvernance locale est peu reluisant (1) et c'est pour cela que la réforme institutionnelle a mis l'accent sur la redevabilité des acteurs communaux (2). 1 : Un état des lieux peu reluisantLes enjeux de la réforme institutionnelle de l'administration territoriale béninoise sont nombreux. Au-delà de la performance de l'action publique locale, réformer en profondeur la gestion locale au Bénin a pour enjeux de pallier certains maux de la décentralisation béninoise trop souvent évoqués. Il s'agit entre autres du faible régime de responsabilité des acteurs locaux, du manque de compétence des élus, du manque de ressources humaines qualifiées dans les communes ou encore de la bureaucratie lourde et prégnante. La réforme vise ainsi le renforcement de la transparence dans la gestion publique, la responsabilisation des gestionnaires quant à leurs obligations de compte rendu de leurs performances et de leurs résultats, l'amélioration de la qualité des services rendus aux citoyens, l'amélioration de l'efficience de la dépense publique, etc. La gestion solitaire et cavalière à laquelle les maires, auréolés de leur majorité au sein du conseil communal, se livraient laissait entrevoir un certain patrimonialisme doublé d'un clientélisme et d'un ethnocentrisme qui ne pouvaient présager que de la gabegie. C'est d'ailleurs pour rester dans la logique de la bonne gouvernance locale que le secrétaire exécutif est aujourd'hui positionné tel un fusible qui peut sauter lorsque les résultats attendus de lui ne se font pas remarquer au bout du rouleau ou qu'il est l'auteur de fautes lourdes. Le message est clair, le régime de responsabilité est désormais renforcé. 2 : Un problème de redevabilitéIl serait utopique de vouloir comparer les réalités d'un pays comme le Bénin à celles observables sous d'autres cieux. Cela est d'autant plus vrai lorsqu'on aborde la décentralisation, car les différences de perceptions et de réalités sont trop grandes127(*). La quête de la performance au Bénin a conduit à mener des réformes audacieuses là où d'autres Etats sont allés beaucoup plus en douceur. Cela se justifie en partie parce que les malversations de divers ordres sont davantage monnaie courante dans notre administration, en l'occurrence celle territoriale. En France par exemple, la NGP s'est beaucoup plus accentuée dans son volet structurel sur la création d'un Directeur Général des Services assisté par un adjoint et un secrétariat. Ce directeur que l'on retrouve dans les collectivités de plus de 2000 habitants a en charge la plupart des services techniques et administratifs de la mairie. Il est à peu près ce qu'était le Secrétaire Général dans les mairies au Bénin avant la réforme, mais avec des prérogatives plus poussées similaires à celles dont dispose le Responsable des Affaires Administratives et Financières (RAAF) dans la nouvelle réforme. Il est donc clair que la recherche de la performance en France n'a pas conduit à la création d'un Cerbère, un monstre à plusieurs têtes, comme cela a été le cas au Bénin avec le nouveau code. Au contraire, en France, la réforme s'est centrée autour de l'élu communal pour renforcer la démocratie locale. C'est sans doute parce qu'en France certaines réalités leur sont peu connues telles que l'achat de votes ou le siphonnage des deniers publics en toute impunité que la réforme structurelle au Bénin s'est légèrement détachée de celle française. Elle a voulu laisser aux politiciens la prise des décisions tandis que les techniciens se chargeront de l'application de ces décisions de la meilleure des manières possibles pour le développement de la collectivité et in fine de tout le pays. Ce faisant, la réforme met l'accent sur la redevabilité des acteurs. Désormais, les fonctions de chaque acteur sont clairement énoncées. Même les fonctions des adjoints au maire ainsi que les conditions et modalités de délégation de pouvoirs et de signature du maire et du secrétaire exécutif sont clarifiées128(*). De plus, le régime de responsabilité de chaque acteur local est renforcé dans le nouveau code de l'administration territoriale. En plus des sanctions administratives, le code précise désormais clairement que « la sanction administrative du maire ou de l'adjoint au maire ne fait pas obstacle aux poursuites judiciaires »129(*). En ce sens, on peut difficilement s'empêcher de penser au contexte de la décentralisation au Rwanda. En effet les similitudes sont frappantes lorsqu'on en vient à comparer les réformes de la décentralisation du Bénin et du Rwanda. Peut-être que ces deux nations ont fait de la recherche de la bonne gouvernance locale à travers une plus grande redevabilité des acteurs locaux leur cheval de bataille ? Toujours est-il que le Rwanda est un Etat décentralisé comme le dispose sa Constitution et qu'il est organisé en provinces qui regroupent des districts et d'autres entités administratives sans personnalité juridique130(*). De même, les districts du Rwanda ainsi que la Ville de Kigali sont dirigés par un Conseil de district, un comité exécutif et un secrétaire exécutif. L'étude de la législation rwandaise en matière de décentralisation montre d'autres similitudes. D'abord la province rwandaise est pour le Bénin ce que le département est131(*). Ensuite, les communes ont à leur tête un conseil communal là où les districts ont un conseil de district. Mieux, le comité exécutif d'un district est composé du maire, du vice-maire chargé du développement économique et du vice-maire chargé des affaires sociales132(*) tandis que le Conseil de supervision au Bénin est composé du Maire, de ses adjoints des présidents des commissions permanentes. En ce qui concerne le secrétaire exécutif, il est l'ordonnateur du budget au Rwanda133(*) et est désigné après concours134(*)tandis que le secrétaire exécutif au Bénin est l'ordonnateur du budget est nommé par le maire après tirage au sort. Et les similitudes ne s'arrêtent pas uniquement au niveau de la forme. Nous pourrions aller un peu plus en profondeur et analyser les attributions de chacun de ces organes. Cependant, la remarque saute déjà aux yeux : la recherche de la performance initiée par le Bénin au plan local se rapproche davantage de celle initiée par le Rwanda que de celle initiée par la France, l'Allemagne ou le Maroc pour ne citer que ces pays et ce sens que l'accent est mis sur la responsabilité des acteurs locaux. C'est à notre analyse parce que les défis liés à la redevabilité des acteurs locaux sont peu ou prou les mêmes aussi bien au Rwanda qu'au Bénin que la recherche de la performance de l'action publique locale s'est orientée vers un triptyque à la tête des collectivités. Cela prône à la fois une meilleure redevabilité institutionnelle et une bonne redevabilité citoyenne de la part des responsables locaux135(*). * 126 OCDE, Bonne gouvernance au niveau local pour accroitre la transparence & la redevabilité dans la prestation de services : expériences de Tunisie & d'ailleurs, Paris, 2018, p.7 * 127 ADAMOU Souradjou Karimou, Les déterminants de la qualité de la gestion des communes béninoises, op. cit., p.50 * 128 Décret n°2022-322 fixant les conditions et modalités de délégation de pouvoirs et de signature du maire et du secrétaire exécutif. * 129 Loi 2021-14, art.122 * 130 Selon l'article 140 de la loi rwandaise N° 87/2013 DU 11/09/2013 portant organisation et fonctionnement des entités administratives décentralisées : « la Ville de Kigali est subdivisée en Districts. Les Districts sont subdivisés en Secteurs. Les Secteurs sont subdivisés en Cellules. Les Cellules sont subdivisées en Villages. » Mais l'article 4 de la même loi avait précisé que « Les entités administratives décentralisées sans personnalité juridique sont le Secteur, la Cellule et le Village ». Ainsi donc, seules la Ville de Kigali et les Districts sont des collectivités territoriales décentralisées au Rwanda. * 131 Articles 2 et 3 de la loi rwandaise N° 01/2006 DU 24/01/2006 portant organisation et fonctionnement de la province * 132 Loi N° 87/2013 du 11/09/2013 portant organisation et fonctionnement des entités administratives décentralisées, art. 57 (Rwanda) * 133Ibid., Articles 112 et 135 * 134Ibid., Article 75 * 135 OCDE, Bonne gouvernance au niveau local pour accroitre la transparence & la redevabilité dans la prestation de services : expériences de Tunisie & d'ailleurs, Paris, 2018, p.10 |
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