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La répression d’infractions d’affaires en droit pénal de l’Ohada.


par Roger Bokungu
Université Catholique du Congo - Licence en droit 2018
  

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B. Le risque d'apparition de paradis pénaux

Les paradis pénaux, encore appelés «pays refuge»136 ou «forum shopping», seront constitués par ceux d'entre les pays de l'espace ohada qui, pour diverses raisons adopteront les sanctions les moins lourdes et attirent par la même occasion les investisseurs peu enclins à se conformer aux prescriptions de la loi communautaire.137

Ce risque est grave puisque à terme peuvent se mettre en place de vraies multinationales du crime avec des pays exportateurs et des pays importateurs de la criminalité. de la même manière que certaines sociétés procèdent pour s'en tirer à bon compte au plan interne, à la budgétisation des infractions qu'elles commettent en ouvrant des comptes destinés exclusivement à la prise en charge de leurs dépenses actuelles ou éventuelles nées de leurs activités délictuelles, les multinationales peuvent choisir le territoire de commission de leur forfait pour échapper à la rigueur de telle législation ou bénéficier de la douceur de telle autre.

C'est d'ailleurs ce qui explique le développement de la criminalité transnationale avec notamment la complexité liée à la décentralisation du pouvoir de décision et la dispersion des acteurs dans un espace interconnecté.

De ces considérations, il résulte que la dévolution de compétence aux législateurs nationaux pour la détermination des sanctions attachées aux infractions contenues dans les Actes uniformes, même si elle peut être défendue au fond, pose des problèmes de politique criminelle dont l'acuité pourrait encore longtemps alimenter la réflexion et la recherche.

L'apparition des paradis pénaux, faute d'unification des sanctions pourrait conduire à ce résultat absurde qu'en cas de pourvoi en cassation portant sur une infraction pénale, celui-ci

135 POUGOUE P.G. et alii. Op.cit., p.237

136 DELMAS-MARTY M., Droit pénal des affaires, partie générale : responsabilité, procédure, sanction, Tome 1, Paris, PUF, 1990, p.26

137 POUGOUE P.G. et alii. Op.cit., p.238

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soit partager entre la CCJA compétente pour apprécier si le délit est constitué, et la cour de cassation nationale compétente pour apprécier la légalité de la sanction.138

En effet, La Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA est la juridiction de cassation des États membres, dès lors qu'il s'agit d'un litige soulevant des questions relatives à l'application des Actes uniformes.

Ceci ressort de l'article 14 du Traité OHADA qui, après avoir établi que « la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage assure dans les États parties, l'interprétation et l'application commune du présent Traité, des règlements pris pour son application et des Actes uniformes », mentionne expressément que la Cour est « saisie par la voie du recours en cassation » et qu'elle « se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d'appel des États parties, dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l'application des Actes uniformes... à l'exception des décisions appliquant des sanctions pénales ».139

Cette disposition, qui traduit, selon certains, la supranationalité judiciaire au sein de l'OHADA exprime explicitement la substitution de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage aux juridictions de cassation nationales, pour les litiges dénoués par l'application du droit uniforme de l'organisation. L'article 14 alinéa 5 étend même cette substitution aux juridictions de fond, lorsqu'il y a cassation.

En effet, cette disposition prévoit qu'en cas de cassation, la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage évoque et statue au fond.140 Ce pouvoir d'évocation permet ainsi à la Cour Commune, de ne pas opérer de renvoi après cassation de la décision qui lui a été déférée et de se substituer ainsi, à la juridiction nationale de fond, qui aurait été normalement compétente pour statuer après la cassation.

Il faut signaler qu'à côté du mécanisme de cassation, la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage peut aussi être saisie, à titre consultatif, par toute juridiction nationale saisie d'un contentieux relatif à l'application des Actes uniformes 141 , mais ce recours consultatif nullement obligatoire n'est pas le mode spécifique par lequel le Traité de l'OHADA entend faire de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage, instrument d'interprétation uniforme du

138 MUANDA N., L'escroquerie et la distribution des dividendes fictifs en droit pénal des sociétés issu de l'OHADA : esquisse d'une théorie de droit pénal congolais des sociétés, Op. cit. p.69.

139 Art. 14 du traité de l'Ohada, in code vert : traité et actes uniformes commentés, Paris, Juriscope, 2014, p.80

140 Art. 14 al. 5 du Traité de l'ohada, in code vert : traité et actes uniformes commentés, Paris, Juriscope, 2014, p.80

141 Art. 14 al. 2 du Traité OHADA, in code vert : traité et actes uniformes commentés, Paris, Juriscope, 2014, p.80

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droit de l'OHADA. Le mode spécifique est celui de la cassation et de la substitution de la compétence de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage, aux juridictions nationales.

Ce mécanisme de substitution imaginé par les rédacteurs du Traité de l'OHADA, est susceptible d'engendrer des relations conflictuelles avec les juridictions nationales, dès lors qu'il s'agira de délimiter la portée exacte de cette substitution.

Celle-ci dépend du droit à contrôler par la Cour Commune. Formellement, le Traité vise le traité, les règlements pris pour l'application du Traité et les actes uniformes. On peut, cependant, douter que les règlements entrent dans ce cadre. En effet, les règlements ont pour seul objet, les rapports entre les organes de l'OHADA et entre l'Organisation et les États membres.

Il est donc impossible qu'un contentieux judiciaire privé ouvrant droit à cassation, puisse impliquer l'application d'un règlement.

Substantiellement, le Traité exclut «...les décisions appliquant des sanctions pénales ».142 On peut penser que cette disposition exclut la compétence de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage, dès lors qu'il s'agit d'un pourvoi en cassation en matière pénale.

Ceci impliquerait que les pourvois en cassation en matière pénale devraient nécessairement être portés devant les juridictions nationales de contrôle de légalité, même s'ils sont fondés sur un moyen tiré de la violation d'un acte uniforme, puisqu'il ne faut pas perdre de vue que les actes uniformes peuvent contenir des dispositions d'incrimination pénale, mais non celles infligeant les sanctions, qui restent du domaine de la loi nationale.

Une telle interprétation, qui supprime le pouvoir de substitution de la C.C.J.A. en matière pénale, évite la complexité et les lenteurs.143 En effet, s'il faut admettre que la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage est compétente pour statuer sur les dispositions d'incrimination mais non sur les dispositions établissant les sanctions, il faut admettre que la Cour Commune, après s'être prononcée sur l'application des dispositions d'incrimination, devrait renvoyer l'affaire devant une juridiction nationale de cassation ou d'appel pour qu'il soit statué sur les sanctions.

142 Art. 14 al. 3 du Traité OHADA, in code vert : traité et actes uniformes commentés, Paris, Juriscope, 2014, p.80

143 ISSA-SAYEGH J., « La fonction juridictionnelle de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA », in Revue de droit uniforme, n°123, Yaoundé, 1999, p. 5 et s.

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La solution consistant à écarter la compétence de la Cour de l'OHADA en matière pénale présente, quant à elle, l'inconvénient d'abandonner l'interprétation des dispositions des actes uniformes établissant des incriminations, aux seules jurisprudences nationales.

Ceci pourrait conduire à avoir autant d'interprétations du même texte, qu'il y a d'États parties144, ce qui ne conduit manifestement pas à l'émergence d'un droit pénal des affaires harmonisé.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que, dans un même litige, une partie peut déférer une décision au pourvoi en cassation, en se fondant sur la violation de la disposition d'incrimination et de celle établissant la sanction. Cette observation, sur la cassation en matière pénale, est susceptible d'être étendue à toute espèce de pourvoi en cassation et laisse, alors, entrevoir le danger d'une relation conflictuelle de portée beaucoup plus large entre la Cour Commune et les juridictions nationales.

Il n'est évidemment pas impossible d'imaginer qu'un pourvoi en cassation implique à la fois, une ou plusieurs règles de droit uniforme et une ou plusieurs dispositions de droit national non harmonisé.

Comment faut-il, dans ce cas, régler le partage de compétences entre la juridiction commune et les juridictions nationales, faut-il attribuer compétence pour l'intégralité du litige, à la Cour commune, au contraire, faut-il attribuer compétence intégrale à la juridiction nationale de contrôle de légalité, faut-il former deux pourvois en cassation contre la même décision, l'un devant la juridiction nationale de cassation, et l'autre, devant la juridiction commune, faut-il former un seul pourvoi avec deux moyens destinés à deux juridictions différentes, de sorte que la juridiction nationale de cassation renvoie l'affaire devant la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage, après s'être prononcée sur l'application des dispositions de droit interne non harmonisé, ou l'inverse, c'est-à-dire, d'abord saisir la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage qui, après s'être prononcée, renvoie devant la juridiction nationale de contrôle de légalité.145

Cette situation de conjonction de moyens fondés sur des normes juridiques différentes est, pourtant, loin d'être exceptionnelle. Elle ne trouve dans les relations instituées entre les juridictions nationales et la juridiction commune de l'OHADA, aucune solution satisfaisante.

144 DIOUF N., « Actes uniformes et droit pénal des États signataires du Traité de l'OHADA : la difficile émergence d'un droit pénal communautaire des affaires dans l'espace OHADA », in revue RBD, n° spécial, Cotonou, 2001, p. 73.

145 MEYER P., « la sécurité juridique et judiciaire dans l'espace ohada », in Penant, n° 855, Niamey, 2006, p.9

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En effet, aucune des alternatives évoquées ci-dessus n'est satisfaisante. Certaines, notamment celle qui consiste à former un seul pourvoi avec des moyens soumis à des juridictions différentes sont même impraticables.146 Toute situation incertaine qui suscite des solutions alternatives, est source de conflits potentiels, et donc, d'insécurité juridique.

Il n'est donc pas étonnant qu'un tel conflit de détermination de la juridiction compétente, Cour Commune ou juridiction nationale de contrôle de légalité se soit posé dans l'affaire Snar Leyma rendue par la Cour Suprême du Niger, le 16 août 2001.147

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci