La répression d’infractions d’affaires en droit pénal de l’Ohada.par Roger Bokungu Université Catholique du Congo - Licence en droit 2018 |
CHAPITRE II. LA REPRESSION DES INFRACTIONS DU DROIT PENAL DE L'OHADA DANS LA PRATIQUE DES ETATS MEMBRES : ÉTAT DE LA QUESTION ET PERSPECTIVESSi l'article 5 alinéa 2 du Traité de l'OHADA dispose en effet que les actes uniformes peuvent inclure des dispositions d'incrimination pénale, il ajoute que « les États Parties s'engagent à déterminer les sanctions pénales applicables ».121 Le législateur communautaire avait-il besoin de préciser que les États Parties « s'engagent » à déterminer les sanctions applicables, alors même qu'en signant et en ratifiant le Traité, ils se sont engagés à l'exécuter de bonne foi conformément à l'article 26 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités122, conformément au principe de pacta sunt servanda.123 Il semble donc que le législateur a entendu exercer une sorte de pression morale sur les États pour prendre des sanctions pénales d'affaires. De là, certains auteurs ont écrit que le législateur n'a pas imaginé que certains États hésiteraient à accomplir cette noble tâche.124Cela conduit à effectuer en premier lieu, un état de la question de la répression des infractions en droit pénal de l'ohada (Section 1). En plus, il semble que le législateur communautaire pressentait des résistances qu'il a davantage engagé les États parties à prendre des sanctions pénales. Mais fallait-il s'arrêter à cette exigence pour croire que le tour est joué, n'y avait-il pas moyen de prendre des dispositions plus contraignantes pour amener les États à se conformer au droit communautaire dans son ensemble, notamment en instituant le recours en manquement d'État tel que prévu par le nouveau Traité de la CEMAC125 ou en droit de l'union européenne. 121 Art. 5 al. 2 du Traité de l'Ohada, in code vert :traité et actes uniformes commentés, Paris, Juriscope, 2014, p.10 122 Art. 26 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, Nations unies, recueil des Traités, Vol. 1577. 123 Le principe de bonne foi peut impliquer que le but du traité et l'intention commune des parties doivent prévaloir sur son application littérale. Le principe de bonne foi oblige les Parties à l'appliquer de façon raisonnable et de telle sorte que son but puisse être atteint (CIJ, 25 sept. 1997, arrêt Gabcikovo, Rec. 199, § 142). 124SOCKENG R., « La délinquance économique et financière », in revue de l'E.R.SU.MA, Cotonou, mars 2008, p. 26 125 La Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC), mise en place par le Traité du 16 mars 1994, révisé le 25 juin 2008. Voir en ce sens, l'article 4 du nouveau traité de la CEMAC 42 D'où la nécessité de proposer en second lieu, des perspectives à la répression effective des incriminations en droit pénal de l'ohada (Section 2), gage de la sécurité juridique et judicaire. SECTION 1. ETAT DE LA QUESTIONLa présente section a pour objet d'effectuer d'une part un constat relatif à quelques aspects du droit pénal de l'ohada (§2) ainsi que d'en analyser les implications subséquentes d'autre part (§2). §1 CONSTAT RELATIF A QUELQUES ASPECTS DU DROIT PENAL DE L'OHADALa réalité montre en effet que le législateur communautaire a été déçu en comptant sur la seule bonne foi des parties contractantes. Ainsi, certains actes uniformes actuellement en vigueur ont défini les agissements punissables que les États Parties se doivent de compléter en prenant des sanctions pénales. Plus de deux décennies après la définition de certaines de ces infractions et comme évoqué ci-haut, seuls neuf de dix sept États ont élaboré et publié des lois portant répression des infractions y relatives.126 Les autres États restent dans l'attentisme, créant ainsi des dysfonctionnements dans l'administration de la justice communautaire. Il se crée ainsi, de manière concomitante, des « paradis pénaux » et « des enfers pénaux ».127 L'investisseur, peu enclin à respecter le droit communautaire, se déportera vers le pays le moins répressif ou « pays refuge ».128 Au delà de cela, le constat majeur des quelques aspects du droit pénal de l'ohada fait état de la question de la non fixation des peines par le législateur communautaire. A. La Question de la non fixation des peines par le législateur de l'OHADALe rattachement des peines aux législations nationales demeure en effet une option contestable, mais qui semble reposer sur des considérations ou raisons diverses et d'importance inégale qu'il est possible de présenter en distinguant entre elles selon qu'elles sont d'ordre juridique ou économique. S'agissant des justifications d'ordre juridique de l'attribution de compétence de détermination des sanctions pénales aux États membres, c'est que la principale raison 126 TCHANTCHOU H. ET AKUETE AKUE M., op. cit. p. 20 127 POUGOUE P. G et alii, op. cit, p. 236 128 Idem, p. 237 43 invoquée est relative à la différence de système pénal des États signataires du Traité ohada.129Elle est justifiée par la nécessité de prévoir des peines conformes au système pénal de chaque État membre, par conséquent adaptées à leurs valeurs et leurs réalités. L'affirmation de portalis selon laquelle la lecture des lois pénales d'un peuple peut donner une juste idée de sa morale publique et de ses moeurs privées trouverait donc ici sa pleine signification. Le droit de l'ohada a opté pour le système libéral et c'est pourquoi il n'est pas étonnant qu'elle accorde une certaine liberté aux États dans le choix de leurs systèmes pénaux et, par ricochet, des sanctions encourues par les contrevenants à la norme communautaire. Cependant, cette argumentation ne résiste guère à l'analyse car rien ne s'opposait à ce que les États mettent en harmonie leur conception philosophico-juridique en vue de mettre en place un dispositif répressif commun en laissant aux juges une marge d'appréciation permettant de moduler les peines prévues au moment de leur application en fonction des particularités de chaque espèce. C'est ce qui serait le plus conforme au mouvement d'harmonisation qu'ils ont enclenché. D'autres arguments relatifs notamment à la rupture de l'égalité des justiciables de l'ohada devant les sujétions résultant des peines appliquées peuvent être invoqués. En effet, les États membres de l'ohada ne sont pas à un même niveau de développement.130 Cette disparité économique des États se répercute sur le pouvoir d'achat des justiciables. Ainsi, le produit national brute par habitant de la République Démocratique du Congo par exemple était de 700 en 2014 alors que celui de la Guinée Bissau était de 1460 à cette même date. Dès lors, soumettre le citoyen congolais et le citoyen bissau-guinéen à une même amende, par exemple, pour la violation de l'article 886 de l'acte uniforme portant droit des sociétés commerciales, relatif à l'émission d'actions avant l'immatriculation de la société, heurterait le principe de l'égalité de ces deux justiciables devant la norme communautaire. D'un autre côté, la recherche d'une plus grande efficacité de la répression pénale justifierait que les normes soient rapprochées au maximum du citoyen, il faut que les 129 Tel est le cas notamment de l'exposé des motifs de la loi sénégalaise no 98-22 du 26 mars 1998 portant sur les sanctions pénales applicables aux infractions contenues dans les actes uniformes. 130 Voir à ce propos S.E. le juge Mohammed bedjaouI, «remarques conclusives », in Actes du huitième congrès annuel de la SADC, sur le thème : « L'intégration régionale est-elle une solution aux problèmes économiques de l'Afrique? » Caire, septembre 1996. 44 destinataires de la loi pénale sentent que celle-ci constitue l'expression de leurs profondes aspirations mais surtout de leur volonté propre. Concernant à présent les raisons d'ordre économique, c'est que selon l'article 1 er du Traité ohada, l'objectif poursuivi par cette institution est « l'élaboration et l'adoption de règles communes, simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies ».131 Cela signifie que les États parties au Traité ohada, ont conscience qu'ils ne sont pas à un même niveau de développement, d'où des disparités économiques dont il faudrait qu'ils tiennent compte dans leur projet communautaire. La justice a un coût, un prix qu'il faut payer chaque fois qu'elle est réclamée, la justice pénale étant le monopole de l'État, c'est à lui de la prendre en charge, mais les États africains ne sont pas riches. C'est pourquoi la nationalisation de la sanction pénale pourrait s'interpréter comme une manière de faire respecter le droit issu de l'ohada en fonction de leur capacité financière et économique à prendre en charge le phénomène criminel. La disparité flagrante des niveaux de développement des pays africains membres de l'ohada semble être à la base du rattachement des sanctions aux législateurs nationaux.132 En pratique, cela signifierait, dans un État comme la République Démocratique du Congo par exemple, que les sanctions privatives de liberté qui seront consacrées seront fonction de la capacité d'accueil et de gestion des prisons de ce pays, que la décision d'emprisonner un dirigeant d'entreprise «en délicatesse» avec la loi pénale dépendra de la capacité de cet État de se passer des finances. Mais nos États ne risquent-ils pas de privilégier les sanctions pécuniaires pour s'enrichir au détriment des sanctions privatives de liberté. En d'autres termes, la délinquance ne risque-t-elle pas de devenir un fonds de commerce à la disposition des États membres de l'Ohada. Ainsi, par la multiplication des amendes, la délinquance financera elle-même les politiques qui seront mises en oeuvres par les États pour endiguer la criminalité. De ce fait, à défaut de neutraliser le phénomène criminel, les États tâcheront d'en minorer le coût économique, cependant, il leur faudrait également maîtriser toutes les conséquences d'une telle option.133 131 Art. 1 du Traité de l'ohada, in code vert : traité et actes uniformes commentés, Paris, Juriscope, 2014, p.79 132 POUGOUE P. G et alii, op. cit, p. 234 133 Idem, p. 235 45 |
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