PREMIERE PARTIE : LA PREVENTION DU DETOURNEMENT
DES DENIERS PUBLICS
46 - Le délit de détournement
des deniers publics prévu par l'article 432-15 du code pénal qui
dispose : « Le fait, par une personne dépositaire de
l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public,
de détruire , détourner ou soustraire des fonds publics ou
privés est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150000 euros
d'amende...»31 a amené l'État congolais
à adopter un arsenal de mesures préventives eu égard au
danger que représente ce délit au sein de notre administration
publique.
47 - En effet, pour prévenir la
déviance des agents publics au sein de l'administration, le code
pénal congolais en vigueur, notamment dans son article 169 dispose :
« Tout agent ou préposé d'une personne morale de droit
public qui aura frauduleusement détourné, dissipé tout ou
partie des deniers publics ou privés sera puni des travaux forcés
à temps...»32. Cet article réaffirme la
volonté du législateur congolais de maintenir l'administration
publique saine car l'agent public ne doit pas tomber dans l'interdit.
48 - C'est ainsi, toujours dans cette
perspective qu'il a paru aisé d'adopter une nouvelle loi sur la
corruption, la concussion, la fraude et les infractions assimilées qui
abroge toutes dispositions antérieures contraire relatives à la
corruption33.
Face à ce décor, il parait très utile
d'apprécier les mesures prises par le législateur en vue de
l'application de ces normes. À cet effet, il conviendra donc dans cette
logique d'examiner d'abord le cadre juridico-politique de la prévention
du
détournement des deniers publics (chapitre I) et
ensuite les limites de la prévention (chapitre II).
31 -Art.432-15 c.pen. 32- Art.169 c.c.pen.
33 -Art.32 Loi n°5-2009 du 22 septembre 2009 sur la corruption,
la concussion la fraude et les infractions assimilées en
République du Congo.
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CHAPITRE I : Le cadre juridico-politique de la
prévention du
détournement des deniers publics
49 - L'agent public a le devoir de se
conduire toujours de manière à préserver et à
renforcer la confiance du public dans l'intégralité,
l'impartialité et l'efficacité des pouvoirs
publics34.C'est dans cette perspective que l'appareil
législatif Congolais dans sa réaction contre l'infraction de
détournement des deniers publics, laisse observer un corpus des textes
destinés à préserver l'intégrité des agents
publics. Face à cet impératif, il sied d'étudier en amont
les fondements juridico-organiques (section I) et en aval les fondements
politico-déontologiques (section II).
Section I : Les fondements juridico-organiques de la
prévention du détournement des deniers
50 - Les textes visant à lutter contre
le délit de détournement de deniers publics poursuivent tous sa
prévention et son éradication. Ces textes préviennent les
comportements hostiles à la bonne gouvernance. Ils visent à
conserver l'intégrité des agents publics par l'assainissement de
l'administration des pratiques malsaines notamment le détournement des
deniers publics. En outre dans cet élan de prévention, le
gouvernement a aussi doté le Congo des organes de lutte contre la
corruption et la fraude par le décret n° 2004-324 du 08juillet 2004
dans son article 1 qui dispose : « Il est créé une
commission nationale de lutte contre la corruption, la concussion et la fraude
» 35 et la loi n°16-2007 du 19 septembre portant création
de l'observatoire anti-corruption notamment dans son article1 qui
prévoit : « Il est créé pour participer à
la lutte contre corruption, la concussion et la fraude, un organe
dénommé observatoire anti-corruption ».36
34- C.VIGOUROUX, Déontologie de la fonction
publique, Paris, 2ème édition, Dalloz, 2012, p.71.
35 -Art.1 Décret n°2004-323 du 05
juillet 2004 portant création, attributions et composition de la
commission nationale de lutte contre la corruption, la concussion et la
fraude.
36 - Art.1 Loi n°16-2007 du 19 septembre 2007
portant création de l'observatoire anti-corruption.
37 - Rapport sur les conventions internationales de
lutte contre la corruption et la responsabilité de la personne morale,
2007, p.4.
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51 - En raison de l'importance du rôle
que représente ces textes et organes dans la prévention du
détournement des deniers publics il conviendra d'étudier le
regard normatif de la prévention en matière de
détournement des deniers publics (Paragraphe I) ainsi que le regard
organique de la prévention (Paragraphe II).
Paragraphe I : Le regard normatif de la
prévention
52 - La République du Congo regroupe
un ensemble des normes juridiques destinées à combattre le
détournement des deniers publics ; ces normes sont d'ordre international
(A) et national (B).
A- Les normes internationales
53 - De toutes les conventions
internationales, la convention des Nations Unies contre la corruption est celle
qui concerne le plus grand nombre de pays.
Adoptée par l'Assemblée générale
à New-York le 31 octobre 2003, elle a été ouverte à
la signature du 9 au 11 décembre 2003 à Mérida (Mexique),
puis jusqu'au 9 décembre 2005 à New-York. Elle est entrée
en vigueur le 14 décembre 2005.37
54 - La convention des Nations Unies repose
sur les fondements suivants :
- la gravité des problèmes que pose la
corruption et la menace qu'elle constitue pour la stabilité et la
sécurité des sociétés compromettent le
développement durable de l'état de droit ;
- la corruption n'étant plus une affaire locale, mais
un phénomène transnational qui frappe toutes les
sociétés et toutes les économies, ce qui rend la
coopération internationale essentielle pour la prévenir et la
juguler et qu'une approche globale et multidisciplinaire est nécessaire
pour prévenir et combattre la corruption. Cette convention a pour objet
:
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- de promouvoir et renforcer les mesures visant à
prévenir et combattre la corruption de manière plus efficace ;
- de promouvoir, faciliter et appuyer la coopération
internationale et l'assistance technique aux fins de prévention de la
corruption et de la lutte contre celle-ci ; - et de promouvoir
l'intégrité, la responsabilité et la bonne gestion des
affaires publics et des biens publics.38
55 - Pour ce faire, la convention
prévoit la mise en place par les États parties, aussi bien des
mesures de prévention que des mesures concernant les incriminations, la
détection et la répression de la corruption et des autres faits
constituant des manquements à la probité, du blanchiment du
produit du crime, du recel ainsi que de l'entrave au bon fonctionnement de la
justice. 39
56 - S'agissant de la mise en jeu de la
responsabilité, l'article 26 de la convention dispose que
«chaque État partie doit adopter les mesures
nécessaires, conformément à ses principes juridiques, pour
établir la responsabilité des personnes morales qui participent
aux infractions visées par le texte ».40
57 - Il précise que cette
responsabilité des personnes morales peut être pénale,
civile ou administrative. Celle-ci est sans préjudice de la
responsabilité pénale des personnes physiques qui ont commis les
infractions et qu'elle doit faire l'objet de sanctions efficaces,
proportionnées et dissuasives, de nature pénale ou non
pénale, y compris des sanctions pécuniaires.
58 - A la date du 28 janvier 2008, 140 pays
ont signé la convention des Nations unies contre la corruption et 107
d'entre eux l'ont ratifiée. Parmi les pays ayant ratifié la
convention des Nations Unies contre la corruption figurent, entre autres,
38 - Rapport sur les conventions internationales de
lutte contre la corruption et la responsabilité de la personne morale,
2007, p.5.
39 - Rapport sur les conventions internationales de
lutte contre la corruption et la responsabilité de la personne morale,
2007, p.4.
40-Ibid.
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l'Australie, la Bulgarie, la Chine, la Finlande, la France, le
Luxembourg, la Fédération de Russie, l'Espagne, le Royaume Uni et
les États- Unis, ainsi que de nombreux pays africains comme l'Afrique du
Sud, l'Angola, le Cameroun, le Gabon et le Sénégal. La Belgique,
l'Allemagne, Israël, l'Italie, le Japon, la Nouvelle-Zélande,
Singapour et la Suisse font partie des pays qui n'ont procédé
qu'à sa signature.41
59 - S'agissant de la Convention de l'Union
Africaine, celle-ci est adoptée le 11 juillet 2003 par l'Union
africaine. Cette Convention est entrée en vigueur le 5 août 2006.
L'Union africaine a été créée à Lomé
(Togo) le 11 juillet 2000 au sommet de l'Organisation de l'Unité
Africaine (OUA) dont elle a pris la succession. Composée de 53
États, elle a pour fondement, notamment, la nécessité de
promouvoir et de protéger les droits de l'homme et des peuples, de
consolider les institutions démocratiques, d'encourager la culture de la
démocratie, de promouvoir la bonne gouvernance et d'assurer le respect
de l'État de droit.42
60 - La Convention sur la prévention
et la lutte contre la corruption s'est donnée comme objectif de
promouvoir et renforcer des mécanismes nécessaires pour
prévenir, détecter, réprimer et éradiquer la
corruption et les infractions assimilées dans les secteurs public et
privés. Cette convention organise aussi la coopération entre
États parties pour assurer l'efficacité des actions et mesures
mises en place.43
61 - Si son champ d'application impose aux
États parties d'adopter les mesures législatives et autres
adaptées pour définir comme infractions pénales les actes
de corruption et actes assimilés tels qu'ils sont définis par
l'article 4, aucune
41 - Rapport sur les conventions internationales de
lutte contre la corruption et la responsabilité de la personne morale,
2007, p.4.
42 - Rapport sur les conventions internationales de
lutte contre la corruption et la responsabilité de la personne morale,
2007, p.5.
43-Ibid.
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disposition ne fait référence à la
nécessité pour les États de mettre en place une
responsabilité de la personne morale.44
62 - En outre, il importe de rappeler que la
République du Congo est un pays très actif dans l'implication aux
initiatives de bonne gouvernance et du bien-être collectif. Sa
détermination n'est pas moins importante sur l'échelle
internationale en matière de prévention et de lutte contre le
détournement des deniers publics.
63 - La ratification de la Convention des
Nations Unies contre la corruption de 2003 par le décret n°
2005-375 du 14 septembre 2005 et celle de la Convention de l'Union Africaine
sur la prévention et la lutte contre la corruption par le décret
n°2005-376 du 14 septembre 2005 seront le support de cet engagement
international.
64 - En effet la convention des Nations Unies
contre la corruption de 2003 vise à sauvegarder
l'intégrité des agents publics des États, cette
réalité est rapporté en son article 1 qui dispose : «
La présente Convention a pour objet : de promouvoir
l'intégrité, la responsabilité et la bonne gestion des
affaires publiques et des biens publics » 45
65 - La mission que s'est assignée
l'organisation internationale vise à restaurer les valeurs. À cet
effet, elle encourage l'implication de chaque membre de la
société dans la lutte contre le détournement des deniers
publics.
66 - Cette Convention lie les pays
préoccupés par l'ampleur et l'impact de la corruption sur ses
multiples facettes. La notion de corruption est parfois employée dans un
sens plus large, par exemple, lorsque l'on parle d'un régime corrompu ou
de la criminalité des potentats on vise toutes les formes d'exploitation
abusive d'une position de pouvoir dans le but de s'enrichir :
détournement, abus de
44 - Rapport sur les conventions internationales de
lutte contre la corruption et la responsabilité de la personne morale,
2007, p.7.
45-Art.17 convention des nations unies contre la
corruption, 2003.
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confiance, gestion déloyale ou vol portant sur les
avoirs de l'État ou d'entreprise en main de
l'État.46
67 - Il convient de relever aussi que la
convention des Nations Unies est un rempart contre les agents publics qui de
par leurs comportements déviants portent atteinte à la confiance
publique de l'État et cela s'illustre parfaitement par l'article 17 de
cette convention qui dispose :
« Soustraction, détournement ou autre usage
illicite de biens par un agent public. Chaque État Partie adopte les
mesures législatives et autres nécessaires pour conférer
le caractère d'infraction pénale. Lorsque les actes ont
été commis intentionnellement, à la soustraction, au
détournement ou à un autre usage illicite, par un agent public,
à son profit ou au profit d'une autre personne ou entité, de tous
biens, de tous fonds ou valeurs publics ou privés ou de toute autre
chose de valeur qui lui ont été remis à raison de ses
fonctions ».47
68 - Cependant l'Union Africaine s'est aussi
assignée une tâche dans le combat contre le détournement
des deniers publics dans son article 4-1-d qui dispose :
« La présente Convention est applicable aux
actes de corruption et infractions assimilées ci-après : (...) le
détournement par un agent public ou toute autre personne, de biens
appartenant à l'État ou à ses démembrements qu'il a
reçus dans le cadre de ses fonctions, à des fins n'ayant aucun
rapport avec celles auxquelles ils sont destinés, à son propre
avantage, à celui d'une institution ou encore à celui d'un tiers
».48
69- En effet les États membres ont
pensé aussi à l'unité de législation sur la
corruption et actes de corruption, cela ressort du préambule de ladite
convention qui prévoit : « Les États membres de l'Union
Africaine convaincus de la nécessité de mettre en oeuvre, en
priorité une politique pénale commune pour protéger
la
46-M.DJAGHAM, La lutte contre la corruption : une
question internationale, RDL.,n°02,2016,p.11. 47 - Art.17
convention des nations unies contre la corruption, 2003.
48-Art.4.1-d Convention de l'union Africaine sur la
prévention et la lutte contre la corruption, 2003.
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société contre la corruption, y compris
l'adoption de mesures législatives appropriées et de mesures de
prévention adéquate ; » 49
70 - Ainsi tout ressortissant de la
République du Congo, État membre de l'Union Africaine qui aurait
été victime ou coupable de corruption et infractions
assimilées dans cette sphère se verrait appliquer cette loi
commune, même en dehors de ses frontières. Par ailleurs, la lutte
contre la corruption n'est pas une prise de conscience qui relève du
seul apanage de l'organisation internationale ; l'ordre juridique interne
Congolais met en lumière une lutte et une prévention de grande
portée.
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