Paragraphe II : La technique juridictionnelle : Une
protection effective des droits de l'homme
Le professeur Christian AUTEXIER écrit : « La
caractéristique primordiale d'un droit fondamental est d'être
justiciable ... c'est-à-dire susceptible d'être mis en oeuvre par
un juge »163. Dans le cadre européen la garantie
est justement dominée par le mécanisme judiciaire établi
par la Convention des droits de l'homme dont le régime initial
réalisait en deux temps. D'abord, toute requête individuelle ou
étatique devait être adressée à la Commission
européenne des droits de l'homme et, ensuite, le rapport de la
Commission était transmis pour décision au Comité des
ministres du Conseil de l'Europe. Ce dernier choisissait soit de saisir la Cour
européenne, soit il décidait lui-même sur le
bien-fondé de la violation164. Une réforme s'est
imposée. Alors, le protocole n°11, ouvert à la signature le
11 mai 1994 et entrée en vigueur le 1er novembre 1998 a
porté restructuration du mécanisme de contrôle
établi par la Convention en remplaçant la Commission par une Cour
nouvelle et à plein temps, en privant le Comité des ministres du
Conseil de l'Europe de ses attributions juridictionnelles, et à rendre
obligatoire le droit de recours individuel à Strasbourg165.
La réforme qui remplace les article 19 à 56 de la Convention a eu
pour but de répondre aux critiques formulées au système
originaire notamment le double examen des requêtes qui ne pouvait pas
faire face à l'explosion du nombre de requêtes individuelles
introduit devant la Commission, la durée de la procédure pour
obtenir une décision Au fond incompatible avec le principe de bonne
administration de la justice166. Siégeant, dans la
majorité des cas, en chambres de sept juges et, exceptionnellement, dans
la Grande Chambre composée de dix-sept juges ; la nouvelle Cour unique
est désormais compétente pour statuer en droit sur la violation
alléguée de la convention et le contrôle européen
des droits de l'homme est pleinement juridictionnel. Conformément aux
articles 41(1) et 47, l'adhésion à la Convention emporte par
elle-même la reconnaissance de la compétence obligatoire de la
Cour suite à la suppression de la clause facultative par le protocole
n°11. Elle demeure, dans le même temps, dotée
d'attributions
163 AUTEXIER (Christian) Cité par FRESSEIX (Patrick)
« Les droits fondamentaux, prolongement ou dénaturation des droits
de l'homme ? » In Revue du Droit public et de la Science politique en
France et à l'Etranger, N°2, Paris, LGDJ, Mars-avril 2001,
p.549.
164 WACHSMANN (Patrick), Op.Cit., pp 226-228
165 BERGER (Vincent), « La gestion des requêtes par
la Cour européenne des droits de l'homme » in Institut des droits
de l'homme des avocats européenne et Institut des droits de l'homme du
barreau de Bordeaux, « Le procès équitable et la protection
juridictionnel du citoyen », Colloque organisé pour le
cinquième anniversaire de la Convention européenne des droits de
l'homme, Bordeaux, 29-30 septembre 2000, Bruxelles, Bruylant, 2001, pp
115-130
166 ERGEC (Rusen), Op.Cit., p.21.
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consultatives relatives à l'interprétation de la
Convention et de ses protocoles (13 au total)167. Pouvant être
saisie à la fois par un Etat partie (article 33) comme par toute
personne physique ou toute organisation non gouvernementale et groupe de
particuliers se prétendant victimes de violation (article 34), la Cour a
établi une jurisprudence considérable. Même si le
système de protection reste perfectible, les spécialistes
s'accordent pour reconnaitre la grande valeur du mécanisme
européen. En effet, de l'avis du professeur Vincent BERGER, depuis le
1er novembre 1998, « le nombre de requêtes enregistrées
pendantes s'est accru d'environ 122%. Le rendement de la Cour a lui aussi
beaucoup augmenté en partie grâce à l'adaptation des
méthodes de travail »168. Ce succès est,
sans doute, dû à la portée des arrêts rendus par la
Cour dont les effets juridiques sont certains (A) et incontestable (B) à
l'égard des parties à la Convention.
A-Des arrêts à effets juridiques
certains
Dès que la Cour déclare la recevabilité
de la requête, elle poursuit l'examen contradictoire de l'affaire, examen
au cours duquel les parties peuvent produire des preuves écrites, les
témoins ou experts peuvent être entendu et les descentes sur les
lieux éventuellement effectuées conformément aux articles
38 de la Convention et 42 du règlement intérieur de la Cour.
Avant tout, la Cour se met à la disposition des parties au conflit en
vue d'un « règlement amiable »169 à
défaut duquel il est abordé l'examen du fond de l'affaire.
L'examen commence par une nouvelle invitation aux parties à se
présenter des observations complémentaires comprenant la demande
de « satisfaction équitable »170.
Normalement, la solution d'instance est un arrêt dûment
motivé (article 45 de la Convention) dans lequel les juges
européens se prononcent sur le point de savoir si, dans l'affaire qui
leur est soumise. Il y a ou non violation des droits garantis par la Convention
et, le cas échéant, sur la réparation au titre de la
167 GOMIEN (Donna), Vade mecum de la Convention
européenne des Droits de l'homme, Strasbourg, Direction des droits
de l'homme, Conseil de l'Europe, 199, pp 146- 148
168 BERGER (Rusen), Op.Cit., p.121.
169 Prévu à l'article 38 (1) (b) de la
Convention, le règlement amiable consiste le plus souvent en l'octroi au
requérant d'une compensation financière ou en d'autres mesures
comme la remise de peine, l'autorisation d'entrer dans le pays d'où il
avait été expulsé, ou même en l'engagement de l'Etat
à faire en sorte que la législation incriminée soit
modifiée.
170 La première obligation d'un Etat partie mis en
cause pour violation des droits de l'homme est le paiement de la satisfaction
équitable (normalement une somme d'argent) éventuellement
accordée par la Cour au requérant en vertu de l'article 41 de la
Convention (couvrant selon le cas, les dommages matériel, moral et ou
frais et dépense). Le paiement constitue une obligation stricte et
clairement définie dans l'arrêt. Voir, par exemple l'affaire
colozza et rubinat, arrêt du 12 février 1985.
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satisfaction équitable171. Les arrêts
rendus présentent un caractère définitif (1) et sont
obligatoire pour les parties (2).
1-Le caractère définitif
Dans les conditions énoncées à l'article
44 de la Convention, l'arrêt n'est pas susceptible de constatation ou de
modification. Mais il peut faire l'objet d'une demande en interprétation
ou une demande en révision en cas de découverte d'un fait qui,
par sa nature, aurait pu exercer une influence décisive sur l'issue
d'une affaire déjà tranchée et qui, à
l'époque de l'arrêt, était inconnu de la Cour et ne pouvait
raisonnablement être connu d'une partie172.
La Cour a mis en l'accent sur le « caractère
exceptionnel » de cette procédure de révision qui porte
atteinte à « l'autorité de la chose jugée
»173, et sur la nécessité d'un « examen
strict » de la recevabilité d'une telle demande (affaire Pardo
c. France, 10 juillet 1996, recevabilité Rec. 1996,860). Elle a
été très peut utiliser et une demande en
interprétation ne peut tendre à faire modifier le dispositif
clair et précis d'un arrêt (Hentrich c. France, 3 juillet
1997, Req., 1997, 1285)174.
Jean-Marie BECET et Daniel COLARD n'hésitent pas
à qualifier les arrêts rendus par la Cour européenne des
droits de l'homme d'une « qualité technique remarquable
» en donnant quelques exemples notamment les affaires Lowless c /
Irland, arrêt du 1er juillet 1961 ; Beker
c. Belgique, arrêt du 27 mars 1962 ;
l'affaire linguistique belge, arrêt du 23 juillet 1968
;Delcourt c. Belgique, arrêt du 17 janvier 1970 ; Ringeisen
c/ Autriche, arrêt du 16 juillet 1971, du 22juin 1972 et du 23 juin
1973 ; Golder c/ Grande Bretagne, arrêt du 18 janvier 1978 ;
Handyside c/Grande Bretagne, arrêt du 7 décembre 1976 ;
affaire G.Kloas c/RFA, arrêt du 6 septembre 1978 pour ne citer
que ces célèbres175. Les Etats ont ainsi l'obligation
de se conformer à ces arrêts rendus par la Cour.
171COHEN-JONATHAN (Gérard), aspects
européens...,Op.Cit., p.45.
172 ERGEC (Rusen), Op.Cit., p.149.
173 Comme tout acte juridictionnel, les arrêts de la
Cour européenne sont revêtus de l'autorité de la chose
jugée, c'est-à-dire une autorité servant de fondement
à l'exécution forcée d'un droit judiciairement
établi, et faisant obstacle à ce que la même affaire soit
à nouveau portée devant un juge.
174 SUDRE (Frédéric), Droit international et
européen, Op.Cit., pp451-452.
175 BECET (Jean-Marie) et COLARD (Daniel), Op.Cit, pp 253-254.
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2-La force obligatoire des arrêts de la
Cour
En vertu de l'article 46 (1) de la Convention, les Etats
« s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs
de la Cour dans les litiges auxquels ils sont parties »176.
Cet engagement implique pour l'Etat défendeur des obligations
juridiques bien précises. D'un côté, il s'agit de mesures
en faveur des requérants pour faire cesser l'acte illicite s'il
perpétue et en effacer autant que possible les conséquences
(restitutio in integrum) et, de l'autre de prendre des mesures
nécessaires pour éviter de nouvelles violations
semblables177. Dans son arrêts du 13 juillet 2000 (§249)
au sujet de l'affaire Scozzari et Guintala Grande Chambre a
résumé l'obligation des Etats en ce qui concerne l'adoption des
mesures générales pour prévenir de nouvelles violations,
et individuelles pour réparer les conséquences de la violation
pour le requérant comme suit : « ... l'Etat défenseur
reconnu coupable de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non
seulement à verser aux intéressés les sommes
allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi
à choisir, sous le contrôle du Comité des ministres, les
mesures générales et le cas échéant, individuelles
à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme
à la violation constatée par la Cour et d'en effacer autant que
possible les conséquences (cf mutatis mutandis, l'arrêt
papanichalopoulos et autre c/Grèce du 31 Octobre 1995 (article 50),
série AN°330-§4 ».
D'autres décisions ont illustré ces obligations
notamment les résolutions DH (99) 245dans l'affaire Parti socialiste
C. /Turquie et DH (99) 434 relatives à l'action des forces de
sécurité en Turquie ainsi que les règlements
adoptés par le Comité des ministres pour l'application de
l'article 46 (2)178.
Bien que les Etats aient la liberté dans le choix des
mesures pour rectifier la situation du requérant et prévenir une
nouvelle violation comme l'affirme régulièrement la Cour depuis
l'arrêt Marckx du 13 juin 1979 (Voir aussi pouwels, 26
mai 1988 ; Z c. Finlande, 25 février 1977) pour s'acquitter de
l'obligation découlant de l'article 53 de la Convention qui fait peser
sur l'Etat défendeur une simple obligation de résultat ; cette
liberté va cependant de pair avec
176 DE SCHUTTER (Olivier) et allii, Op.Cit., p.467.
177 COHEN-JONATHAN (Gérard), « Quelques
considérations sur l'autorité des arrêts de la Cour
européenne des droits de l'homme », Liber Amicorum
Marc-André Eissen, Op.Cit., pp 43-46
178 Aux termes de l'article 46 (2). Le Comité des
ministres reçoit les arrêts définitifs qui lui sont
transmis par la Cour afin d'en surveiller l'exécution. Ladite
surveillance peut prendre la forme d'un contrôle des réformes
législative ou administratives engagées par les Etats à la
suite d'un constat de violation.
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le contrôle du Comité des ministres qui veille
à ce que les mesures soient appropriées et permettent
effectivement d'atteindre les résultats voulus par l'arrêt de la
Cour179.
Ainsi, si le choix est, en fait, purement théorique par
rapport à la nature de la violation constatée, la Cour peut
elle-même directement ordonner la mesure à prendre. Cette
possibilité a été utilisée pour la première
fois en 2004, en ordonnant, dans deux affaires, la libération des
détenus arbitrairement en violation de l'article 5 de la Convention. Il
s'agit notamment de l'arrêt Assanidze c/Georgie et l'arrêt
ilascu c/Russie et Moldavie.
Récemment encore, en réponse à une
résolution du Comité des ministres à propos d'arrêts
révélant un problème structurel sous-jacent,
résolution (2004) (3) la Cour a également entrepris de mieux
identifier les problèmes sous-jacents entrainant des violations et de
donner des indications quant aux mesures d'exécution
nécessaires180. Finalement, la responsabilité d'un
Etat auquel la Cour a montré les insuffisances de son droit sera
d'autant plus lourde que l'obligation violée est essentielle.
Cependant, en toute occurrence, il a « l'obligation
positive » de mettre son droit en conformité avec la convention
pour assurer aux individus qui se trouvent sous sa juridiction la «
garantie » à laquelle ils ont droits. Désormais, ses
juridictions ne peuvent plus jouer sur le principe de la présomption de
conventionalité qu'elles attribuent bien souvent à la loi ou
à une jurisprudence déterminée181. L'exigence
de se conformer à la jurisprudence de la Cour Européenne des
droits de l'homme constitue ainsi un renfort énorme pour
l'autorité de la Cour de Strasbourg et contribue à faire
respecter davantage ses décisions en général.
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