§2. Le régime juridique des CANI
Le régime juridique des CANI est dominé
essentiellement et spécifiquement par un ensemble de règles plus
restreint énoncées d'une part à l'article 3 commun aux
quatre Conventions de Genève (A) et d'autre part dans le Protocole
additionnel II de 1977(B).
A. L'article 3 commun aux quatre Conventions de
Genève de 1949
Les dispositions de cet article s'appliquent, selon la lettre
de la convention aux Conflits armés ne présentant pas un
caractère international et surgissant sur le territoire de l'une des
Hautes parties contractantes.61
Cette disposition s'exprime négativement [ne...pas] sur
les conflits auxquels doit s'appliquer l'article précité, car, en
effet, il est question des conflits «ne présentant
pas» un caractère international.
C'est donc indirectement que cette disposition nous renvoie
à l'article 2 commun aux conventions de Genève62 qui
traite des conflits qui présentent un caractère international
ou des conflits entre les Etats.
L'on peut comprendre par conflits armés ne
présentant pas un caractère international ceux dans
lesquels « l'une au moins des parties impliquées n'est pas
gouvernementale.»63
A y voir clair, il est question-là des conflits
armés auxquels participent un ou plusieurs groupes armés non
étatiques, c'est-à-dire ces conflits qui peuvent opposer les
forces armées d'un État et des groupes armés non
étatiques organisés ou pas. Il est question des situations
d'affrontements armés entre l'armée régulière et
les groupes insurgés, ou même entre ces groupes
60 TPIY, Affaire Tadic, Arrêt relatif à
l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle
d'incompétence, 2 octobre 1995, para. 70.
61 Lire art. 3, paragraphe 1 des Conventions de Genève de
1949.
62 Lire article 2 commun aux quatre Conventions de Genève
de 1949.
63 VITE S., Op.cit., p.6.
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organisés entre eux se déroulant sur le
territoire d'une Haute Partie Contractante, ou d'un Etat
donné.
La prise en compte de la définition des CANI
nous fait remarquer que l'article 3 a pour vocation de régir les
relations conflictuelles qui se créent entre les forces armées et
les groupes armés ou ces groupes armés entre eux peu importe le
temps que ces conflits peuvent durer dans les frontières d'un Etat.
« Toutefois, cette disposition s'applique indépendamment au concept
de frontières étatiques.»64
L'on doit se fixer sur le fait que pour qu'il y ait
application de cet article, il doit y avoir la guerre, c'est-à-dire une
situation des violences qui ont atteint un seuil considérable le
distinguant des autres situations comme les cas des tensions internes, les
troubles intérieurs, les actes sporadiques et isolés à
l'intérieur d'un Etat qui relèvent en principe du droit
pénal étatique.
Il est alors préoccupant de se demander comment
déterminer ce seuil, alors qu'en cas des situations de conflits, les
violences sont toujours en nombre plus ou moins considérable. Pour
déterminer le seuil, on doit tenir compte de deux critères
fondamentaux qui sont notamment :
? L'intensité des violences et ?
L'organisation des parties.65
En ce qui concerne le critère d'intensité, les
éléments caractéristiques du conflit peuvent être
:
Le caractère collectif de la lutte ou le fait que
l'État soit contraint de recourir à
son armée, ses forces de police n'étant plus en
mesure de faire face seules à la
situation ;
La durée du conflit ;
la fréquence des actes de violence et des
opérations militaires ;
la nature des armes utilisées ;
le déplacement des populations civiles ;
le contrôle territorial exercé par les forces
d'opposition ;
le nombre de victimes (morts, blessés,
déplacés, etc.) sont aussi des éléments
qui peuvent être pris en compte. 66
Rassurons toutefois qu'il s'agit ici de facteurs
d'appréciation, des
éléments objectifs observables qui permettent de
déterminer si oui ou non le
64 Idem.
65TPIR, Affaire Rutaganda, Jugement du 6
décembre 1999, paragraphe 93. 66 VITE S., Op.cit., p.9.
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seuil d'intensité est atteint pour une situation
particulière. Ce sont des conditions translatives et non cumulatives.
Pour ce qui est du critère d'organisation des parties,
il doit se constater que les parties aux violences armées ont atteint un
niveau d'organisation minimal. C'est-à-dire une structuration de leur
organisation.
Du côté de l'Etat, les forces gouvernementales
sont présumées être organisées. L'organisation est
un facteur ontologique à leur existence. Ici ne peut plus se poser la
question du degré de leur structuration ou organisation.
Mais quant aux groupes armés non gouvernementaux, les
indicateurs déterminants sont par exemple « l'existence d'un
organigramme exprimant une structure de commandement, le pouvoir de lancer des
opérations coordonnant différentes unités, la
capacité de recruter et de former de nouveaux combattants ou l'existence
d'un règlement interne.»67 A cela nous pouvons ajouter
le recrutement des combattants par une personne considérée comme
chef.
C'est à conclure que lorsqu'une situation de violences
n'a pas atteint l'une ou l'autre condition, translativement, elle est tout
simplement qualifiée de tension interne ou trouble intérieur.
Le trouble intérieur est une notion dont le contour est
difficile à cerner en droit, mais pour laquelle le CICR estime qu'il y
en a l'existence, lorsqu'il y a des situations dans lesquelles : «sans
qu'il y ait à proprement parler de conflit armé non
international, il existe cependant, sur le plan interne, un affrontement qui
présente un certain caractère de gravité ou de
durée et comporte des actes de violence.»68 Cette
situation oblige à l'Etat d'employer les moyens et mécanismes
nationaux de protection notamment la police voire l'armée en vue de
rétablir l'ordre public et garantir la protection des personnes et de
leurs biens.
Pour ce qui est des tensions internes, «elles couvrent
des circonstances de moindre violence impliquant, par exemple des arrestations
massives, un nombre élevé de détenus politiques,
la pratique de la torture ou d'autres formes de mauvais traitements,
des disparitions forcées et/ou la suspension des garanties judiciaires
fondamentales.»69
67 VITE, Idem. p.9.
68 Id.
69 Ibid., p.11.
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Pour catégoriser les CANI, certains auteurs
pensent qu'il faut prendre aussi en compte un autre critère, celui de la
motivation ou du mobile des groupes non gouvernementaux impliqués dans
les violences ou dans les conflits.
C'est alors qu'il faut prendre en compte pour ce faire le
mobile politique ou l'objectif qui doit exclusivement être politique.
Cela étant, une association des malfaiteurs, une bande
des gangs ou une organisation à but purement criminel au sein d'un Etat
ne doivent pas être considérées comme des parties aux
CANI.
Ce critère, en DIH n'est pas de droit mais de
fait. Cela parce que la plupart des conflits au sein des Etats ont un mobile
politique. C'est un critère qui n'est pas déterminant dans la
mesure où les objectifs et les motivations des groupes non
gouvernementaux sont divers. D'ailleurs, nombre d'entre les groupes non
gouvernementaux exercent des activités criminelles diverses tout en
ayant à l'esprit un but politique.
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